Alors que s’achevait la première semaine d’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi Agriculture et Alimentation (Loi #EGalim), et pendant laquelle bon nombre d’amendements attendus tels que l’interdiction légale du glyphosate ou l’obligation de placer des caméras dans les abattoirs, se sont vus rejetés par la majorité En Marche, Guillaume Meurice est allé à la rencontre de ces représentants du peuple. Les « arguments » utilisés pour expliquer les motivations de leur vote laissent les auditeurs pantois et nous rappellent que le lobbying des grands groupes s’est mue en véritable système.
Le poids des lobbies dans la vie parlementaire, et donc la politique française, a pu être observé à de nombreuses reprises ces dernières années. Une séquence de Cash Investigation datant de 2016, montrant un parlementaire interrompant une interview pour contacter d’urgence un groupe de pression de l’agro-alimentaire, dont il est « proche », pour obtenir un conseil, est particulièrement parlante. Certains ne s’en cachent désormais plus. Les relations entre les grands groupes d’intérêts privés et le monde politique sont manifestes. Une indication sur l’origine du gouffre entre le discours politique à destination de l’électeur lambda » et les véritables décisions prises après les élections ?
EGalim : les lobbies pointés du doigt
Selon de nombreux observateurs du monde politique (François Ruffin, Benoît Hamon, Yannick Jadot) et associatif (L214, foodwatch), le déroulé de l’examen de la loi agriculture et alimentation depuis le 22 mai en est une nouvelle illustration. Faut-il s’en étonner ? Si on entend souvent des reproches contre les institutions européennes, il faut comprendre que ces influences s’exercent particulièrement au niveau des nations et des hommes politiques de chaque pays. En 2015, Transparency International concluait un rapport alarmant sur le lobbying dans 19 pays européens. Leur conclusion ne laisse aucun doute possible : « Aucun pays et institution de l’UE ne s’est doté d’un cadre satisfaisant en matière de traçabilité de la décision publique, d’intégrité des échanges et d’équité d’accès aux processus de décision publique ».
Ces dérives sont particulièrement palpables dans l’une des derrières chroniques acerbes de Guillaume Meurice. Derrière l’humour, entre les lignes, se dessinent les limites d’un modèle décrit comme démocratique. Alors que l’humoriste de France Inter tente d’obtenir des réactions à chaud de la part des élus ayant voté contre les amendements concernant l’interdiction du glyphosate, le broyage des poussins mâles vivants, le plastique dans les cantines, l’un de ses interlocuteurs admet que les lobbies sont particulièrement actifs auprès des élus français. « Vous subissez la pression des lobbies ? », demande Guillaume Meurice. « Ah oui, oui, oui, répond sans sourciller son interlocuteur candide, sur EGalim c’est une centaine de mails par semaine« . L’élu admet à demi-mot des pressions à caractère menaçant à travers des messages « pas gentils ». Tout aussi saisissant, les réponses des députés qui peinent à expliquer pourquoi ils n’ont pas voulu intégrer un calendrier de sortie du glyphosate à la loi ou le refus des caméras dans les abattoirs. Les lobbies ne sont ils pas là pour leur fournir des informations afin qu’ils puissent décider de manière « éclairées » ? Plus personne n’est dupe.
Macron et La République en marche font le jeu des grands groupes industriels
Si les groupes d’influence jouent en rôle important sur la vie parlementaire et peuvent infléchir l’opinion des élus – et qu’il est nécessaire de mettre en place un cadre légal pour empêcher les dérives que l’on peut observe – les élus sont tout autant responsables de cette situation inconfortable pour toute démocratie (pour ne pas dire Corpocratie). Dans une tribune publiée dans « Le Monde » Maxime Combes, membre d’Attac, rappelait que « dès que les enjeux deviennent sérieux, dès qu’il s’agit de prendre des décisions qui vont toucher à la puissance des lobbies, aux pouvoirs et droits acquis des multinationales ou aux règles qui organisent l’économie mondiale, Emmanuel Macron et son gouvernement tergiversent, reportent à plus tard ou limitent leurs ambitions en se conformant aux exigences des acteurs économiques et financiers ». En d’autres termes, les personnes actuellement au pouvoir défendraient les intérêts des grandes puissances économiques. Rappelons que, déjà avant les élections présidentielles, l’ONG internationale SumOfUs tirait une liste des conflits d’intérêts pour chaque candidat : Emmanuel Macron était alors la figure la plus concernée par de potentiels conflits d’intérêt.
Pourtant, le projet de Loi Agriculture et Alimentation semblait être l’occasion rêvée pour entamer une transition vers un modèle agricole plus durable et ouvrir le pays à des pratiques plus respectueuses des animaux. Association et ONG s’étaient préparées de longue date afin d’encourager une transition, alors même que le modèle agro-industriel actuel nous entraîne droit dans un mur, aussi bien d’un point de vue social qu’environnemental. La détresse du monde agricole se fait ressentir un peu plus fort chaque année – la récente affaire Lactalis avait été l’occasion de rappeler que les producteurs de lait, sous la pression des industriels, vendent leur lait à un prix qui ne le permet pas d’avoir une activité économique rentable si bien qu’une partie d’entre eux accumulent les dettes. De multiples études récentes concernant la mort des sols ou l’effondrement de la biodiversité dans les campagnes ont par ailleurs confirmé une tendance lourde : la destruction systématique de la nature, souvent de manière irréversible, par les activités humaines. Dans ce contexte, on peine à comprendre que de quelconques intérêts financiers industriels puissent encore primer sur ces considérations vitales pour lesquelles nous ne pourrons plus intervenir demain.
Nos travaux sont gratuits et indépendants grâce à vous. Soutenez-nous aujourd’hui en nous offrant un thé ?☕