Des images prises par un drone offrent un spectacle peu rassurant. On y voit un village en Gambie dans lequel sont entreposés des milliers de troncs de bois de vène coupés de manière illégale au Sénégal et destinés à alimenter le marché chinois. La vidéo interpelle sur les activités de la Chine régulièrement décriée en raison de ses activités économiques en Afrique. Le point.

Le marché chinois du bois de vêne

De bonne qualité, le bois de vène est très apprécié en Chine où il est utilisé pour confectionner des meubles. Alors qu’au Sénégal, le bois de vène appartient aux espèces protégées par la loi depuis 1998 et est à ce titre interdit d’exportation, des entreprises tirent à profit la proximité du pays avec la frontière gambienne pour installer des activités illégales qui empiète sur le territoire voisin. Selon les informations, ce trafic est rendu possible par la complicité des douaniers et la passivité des autorités étatiques des deux pays probablement pour des questions économiques.

Un drone a donc capturé des images inédites de ces activités illégales mais tolérées par les différents acteurs sur le terrain. Les chiffres relevés par l’enquête donnent quelques indices sur l’ampleur de la déforestation en cours. En 2015, la Chine a acheté 58 000 m3 de bois en provenance de la Gambie soit environ 140 000 arbres. Face à ce désastre environnemental passé sous silence, l’ancien ministre de l’environnement du Sénégal est intervenu afin d’interpeller le gouvernement et l’opinion publique sur la nécessité de prendre rapidement des mesures au risque que la région ne subisse un désastre écologique. En effet, en cas d’inaction, la région se transformera en désert.

Dans certains pays d’Afrique, l’exploitation de bois a été récemment interdite du fait de la surexploitation des réserves. En Côte d’Ivoire par exemple, le gouvernement a adopté une interdiction d’exploitation du bois de vêne en 2013 qui selon les médias locaux « a déclenché la colère des opérateurs Chinois ». Ce n’est pas la première fois que sont dénoncées les activités de la Chine sur le continent Africain. En effet, depuis quelques années déjà, les médias interpellent de manière régulière l’opinion publique sur l’accaparement des terres par la Chine. Se trouve en jeu la souveraineté alimentaire des habitants. En effet, dans la très grande majorité des cas, les produits de la culture de ces terres ne nourrissent pas les populations mais sont destinés à l’exportation. Mais peut-on vraiment mettre l’ampleur de la situation uniquement sur le dos de la Chine ?

La vidéo

La Chine, principale responsable du pillage de l’Afrique ?

Au delà du cas d’espèce, cette vidéo n’est pas sans rappeler d’autres documents et études dans lesquels sont révélées les activités chinoises « borderline » en Afrique. La Chine serait un des acteurs les plus importants dans l’accaparement des terres en Afrique. Mais qu’en est-il de la responsabilité de l’occident ?

Quand on se penche de plus près sur la question, il est difficile de ne pas mettre en perspective le rôle premier que l’on voudrait accorder à la Chine dans cette spoliation des terres. Déborah Brautigam explique au monde : « Certains journalistes pensent que le fait de raconter que les Chinois achètent à tour de bras des terres en Afrique est une histoire excitante, et l’on trouve toujours des analystes pour confirmer ce type d’informations sans aucune vérification sur le terrain. Ces informations sont évidemment reprises par la presse internationale qui aime critiquer la Chine ». Et, en effet, si le mot « Chine » fait gros titres quand il est question d’accaparement des terres, il est moins courant que le même accaparement des terres ou la déforestation ne soit associée à l’occident, et pourtant… Comme le résume l’International Center for Trade and Substainable Development : « Une conviction largement répandue veut que la Chine soit à la conquête des terres en Afrique au péril de la sécurité alimentaire et la stabilité politique des pays africains. »

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De nombreuses sources documentées et chiffrées permettent effectivement de nuancer cette conviction. À cet égard, la Land Matrix où sont recensées depuis quelques années l’ensemble des activités foncières qui ont lieu mondialement est particulièrement utile. Elle indique en effet que jusqu’en 2013 la Chine n’arrivait qu’en 19ème position en ce qui concerne l’achat de terres en Afrique. Les cinq premières places étaient occupées par les Émirats Arabes Unis, l’Inde, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Italie. Et pour cause, l’industrialisation des pratiques est aujourd’hui généralisée. Si la Chine tente aujourd’hui de répondre à la demande monstrueuse de sa population, nombre de pays à travers le monde exploitent les terres Africaines depuis de nombreuses années à des niveaux bien plus élevés.

800px-Central_African_Republic_-_Log_transportPhoto : JG Collomb / Wikimedia

De nombreux reportages ont d’ailleurs mis en lumière le rôle de multinationales, entreprises et gouvernements dans le pillage des ressources africaines. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, le journaliste Tom Burguis, enquêteur au Financial Times expliquait : « Au cœur de cette machine à piller se trouve l’abus d’une fonction publique à des fins privées ». Il précise qu’à l’origine de ce pillage on trouve « surtout des réseaux transnationaux branchés sur l’économie mondiale qui servent leurs propres intérêts ». Sont en cause la faiblesse des institutions, une corruption élevée ou encore des pratiques qui remontent aux temps de la colonisation. Ainsi, le nom du pays incriminé à bien peu d’importance, la pratique étant transnationale et systémique.

Une même ambition internationale

Les raisons pour lesquelles la Chine est souvent mise en première ligne dans un processus dans lequel elle n’est qu’un acteur parmi d’autres sont nombreuses. La Chine est considérée comme appartenant à un régime politique et économique qui s’oppose au modèle occidental : ses agissements sont donc considérés avec méfiance et jugés de manière plus sévère, même de manière implicite, par les journalistes (voir le poids de la structure sur l’individu). Par ailleurs, la Chine est un pays qui fait globalement peur à l’opinion. Avec une population en croissance constante de près de 1,4 milliards d’habitants, son développement économique et géopolitique ne peuvent laisser indifférents. D’autant que les décisions portant sur les politiques agricoles et alimentaires ont des conséquences au niveau mondial.

Soulignons en conclusion que les pays africains ainsi que leurs dirigeants et populations sont aujourd’hui instrumentalisés au profit d’enjeux géopolitiques et économiques qui dépassent les considérations d’un seul pays en particulier, tous ayant embrassé les logiques productivistes en dépit de leur politique. De plus, les pays d’Afrique subissent la concurrence entre les États-Unis et l’Europe d’un côté et les pays émergents de l’autre. Dans son dernier documentaire – Nous venons en amis (2015) – Hubert Sauper montre comment cette concurrence peut aboutir, en définitive, à guerres, à la misère, aux pillages et à l’exploitation des peuples et leurs ressources.

https://www.youtube.com/watch?v=BsylPVn37K0


Sources : grain.org / ictsd.org / ledauphine.com / lemonde.fr

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