Dans les salles le 6 mars 2019 (voir les séances), Fukushima – le Couvercle du Soleil nous replonge au cœur de la catastrophe de Fukushima qui a secoué le Japon le 11 mars 2011. S’il s’agit d’une fiction mettant en scène des personnages inventés, le film s’attache toutefois à relater avec exactitude la manière dont les évènements ont été gérés par les membres du Cabinet du Premier ministre de l’époque qui apparaissent sous leur vraie identité. Des révélations qui lui aura valu d’être boycotté en salles au Japon.
« Fukushima – le Couvercle du Soleil » sera dans nos salles à partir du 6 mars prochain, mais sa sortie au Japon date du 20 juillet 2016. Il est probable que peu de Japonais en aient le souvenir vu que sa projection s’est limitée à 39 salles, principalement dans des cinémas d’Art et d’Essais ou dans le cadre d’associations. Les grandes salles de cinéma, sous l’influence de la puissante compagnie d’électricité Tepco (qui exploitait la centrale de Fukushima), ayant refusé de le diffuser. Silence aussi du côté des médias japonais qui se sont gardés d’en faire toute publicité. Malgré ce boycott officieux, le film a déjà pu être projeté 350 fois sur le territoire nippon, et la production du film compte bien continuer de faire croître ce chiffre.
Vu le sujet abordé, on se doutait que ce film ferait grincer quelques dents tant il met en avant l’incapacité des responsables politiques à gérer l’enchaînement d’évènements catastrophiques ayant eu lieu à la centrale de Fukushima dans les heures et les jours après le séisme dévastateur. Si les politiciens ont pu être cités sous leur vrai nom, il n’en est pas de même pour Tepco, qui pour éviter toute poursuite judiciaire, a été rebaptisé « Tobi ». Mais le spectateur ne sera pas dupe.
Il est à noter que même en France le film a suscité la polémique, un débat ayant été annulé après la diffusion du film dans un cinéma à Cosne-sur-Loire, suscitant la colère du collectif « Sortir du nucléaire » à l’origine de l’initiative. Il faut dire que la France comme le Japon partagent cet amour quasi sacré du nucléaire en faisant de cette énergie le pari économique du 20eme siècle. Malheureusement pour le Japon, cette idylle risquée se transforma en gouffre économique mais aussi en sacrifices de vies humaines. Le coût du démantèlement de Fukushima dépasse l’entendement : plus de 20 000 milliards de yens (environ 180 milliards d’euros).
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Pour nous faire ressentir les conséquences de la catastrophe, le film aborde différents points de vue : à Tokyo on suit les évènements de la Résidence du Premier ministre où sont rassemblés les responsables politiques par l’intermédiaire de Nabeshima un journaliste politique au club de presse de la Résidence. Il essaie de comprendre la situation et celle de sa femme Manami, gagnée par l’inquiétude et qui, comme la plupart des Japonais, ne peut se fier qu’aux informations diffusées à la télévision. À Fukushima, la situation est dévoilée via une famille qui sera évacuée et dont le fils Shûichi, travailleur à la centrale de Fukushima, y est retourné par sens du devoir alors qu’il était en congé. Les évènements sont narrés de manière chronologique avec à l’écran la mention écrite précise de l’heure et la date à laquelle ils se sont déroulés.
Très vite, le spectateur comprend que le Cabinet du Premier ministre se révèle totalement dépassé par les évènements. Le Directeur de l’Agence de Sûreté Nucléaire est incapable de comprendre ce qu’il se passe à la centrale. Et pour cause, cet homme a une formation d’économiste (!). À noter qu’il n’est culturellement pas rare au Japon qu’un membre à la tête d’une organisation n’aient pas de spécialisation dans le domaine particulier de ladite organisation. Par ailleurs, les déclarations officielles du gouvernement ont toujours un temps de retard sur les informations diffusées à la télévision. Il en sera ainsi par exemple concernant l’explosion d’hydrogène du réacteur n°1. Lors de la conférence de presse qui suit cet évènement grave, le porte-parole du gouvernement n’a pour ainsi dire aucune information inédite à donner aux journalistes, les médias apparaissant mieux renseignés que les autorités.
L’isolement des autorités est rendu encore plus manifeste lorsque ces dernières réalisent que la Tobi (alias Tepco), la compagnie électrique de l’est du Japon, a un contact permanent avec les employés toujours présents dans la centrale de Fukushima au moment de l’incident, mais n’a pas jugé utile d’en informer les autorités. Ces dernières ne s’en rendant compte qu’à leur arrivée au siège de la société. Un manque de communication sidérant étant donné l’ampleur de la crise en jeu. Mais d’où émerge aussi une question cruciale : si le gouvernement avait disposé de toutes les informations, la crise aurait-elle pu être mieux gérée ?
En comparaison, la région de Fukushima est peu montrée, ce qui fait s’interroger le spectateur sur ce que peuvent ressentir les personnes sur place. On assiste rapidement à l’évacuation de la population, ballottée par des directives changeantes. Cette foule est « humanisée » par la famille de Shûishi, un jeune employé de la centrale retourné au cœur de l’enfer. Avec elle, on perçoit leur peur, l’incertitude de leur sort et l’ignorance dans laquelle on la laisse. Pour rappel, la population a été évacuée dans un rayon de 20 km autour de la centrale. Seules restaient directement menacées les vies des 700 employés parmi lesquelles le jeune Shûishi. Mais leur ordonner de quitter la centrale revenait à laisser la situation hors de tout contrôle et à terme à engendrer une contamination radioactive de grande ampleur. Car si un réacteur venait à « exploser » en exposant son combustible à l’air libre, la ville de Tokyo aurait pu être mortellement touchée et la radioactivité s’étendrait sur une grande partie du Japon.
C’est en particulier via la figure du journaliste Nabeshima que le spectateur est placé au cœur du drame. Nabeshima, renseigné par le secrétaire du Directeur de Cabinet adjoint Sakashita, assiste en direct à l’impuissance du pouvoir. Et par les prédictions à chaque fois exactes que lui transmet M. Yokoyama, un ex-responsable de l’énergie nucléaire qui a démissionné, il sait que la situation va empirer sans que rien ne puisse l’en empêcher. Il prend aussi conscience que les premières mesures prises par les autorités sont insuffisantes, le rayon d’évacuation de la population autour de la centrale devrait être au moins du double de ce qui a été décidé.
À travers les yeux de Nabeshima, on ressent toute la détresse de celui qui connaît l’ampleur de la catastrophe, mais ne peut en être qu’un témoin impuissant. Il devient aussi la voix de la colère populaire, s’interrogeant sur les véritables responsables de cette catastrophe, sur les circonstances qui lui ont permis de se produire dans un pays à l’activité tectonique connue, puis plus tard, sur la manière dont la crise a été gérée. Des questions dont les réponses restent encore en suspens et franchement peu débattue au Japon, si pas étouffées.
En dernier lieu, on reviendra sur le titre du film, Fukushima – le Couvercle du Soleil, qui selon la production peut être interprété comme ceci : « Le réacteur nucléaire est un petit soleil qui fait des fissions nucléaires à répétition. Quand il y a un accident majeur, il faut pouvoir fermer la cuve. Or, ce fut impossible. Pour une alternative à l’énergie nucléaire, il faut utiliser l’énergie solaire. À ce moment-là, il faut ouvrir la porte du soleil ». Un titre à plusieurs sens symboliques donc, qui laissera au spectateur le choix de son interprétation.
Une chose semble certaine, même un film, aussi brillamment réalisé soit-il, peine à effleurer l’étendue de l’angoisse ressentie lors d’un tel évènement, quand le temps semble s’être arrêté, que flotte dans l’air comme une odeur de métal rouillé, de larmes et de regrets. Mais comment nous pardonnera, une fois encore, l’Humanité.
Si vous souhaitez organiser une projection, un guide est disponible à l’adresse suivante : https://tinyurl.com/y32jx78q
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