La « Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques » (IPBES), expose dans un nouveau rapport rendu public ce 6 mai, l’accélération massive du déclin de la biodiversité animale et végétale en raison des activités humaines. Décryptage.
Vaste compilation et résumé des études parues pendant la dernière décennie, le premier rapport de l’IPBES place le monde entier face à la dégradation généralisée des écosystèmes. Pendant que la production des biens a rapidement progressé depuis le début du 19e siècle, la nature a été profondément altérée par les êtres humains presque partout sur le globe : 75 % des terres et 66 % des océans sont concernés. 25 % des espèces animales et végétales sont menacées. Malgré un ralentissement de la déforestation depuis les années 2000, 32 millions d’hectares de forêts primaires ou en voie de régénérescence ont été abattus entre 2010 et 2015. « Depuis 1900, l’abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué d’au moins 20 % en moyenne. Plus de 40 % des espèces d’amphibiens, près de 33 % des récifs coralliens et plus d’un tiers de tous les mammifères marins sont menacés », détaillent les auteurs dans le résumé en Français. La hausse globale des températures pendant les 150 dernières années en raison de l’émission massive de gaz à effet de serre ne fait qu’exacerber la tendance.
Menace existentielle pour l’Humanité
Comme le souligne le résumé à l’intention des décideurs, les écosystèmes sont essentiels au bon fonctionnement des sociétés humaines. Deux milliards d’êtres humains dépendent du bois pour se chauffer, pendant que 4 milliards d’individus ont principalement recours à des médecines naturelles pour se soigner. Dans le même temps, 75 % des cultures alimentaires reposent sur la pollinisation. Autrement dit, au fur et à mesure du déclin des espèces, les êtres humains sapent leurs propres conditions d’existence et mettent leur avenir en péril. Le fait que la productivité de 25 % des terres est en baisse illustre le danger qui pèse sur la sécurité alimentaire mondiale. D’où cette crainte scientifiquement fondée qu’il est désormais nécessaire de formuler : alors que les populations sont face à des problèmes de plus en plus complexes à résoudre en raison de la baisse des services écosystémiques, les sociétés humaines ne risquent-elles pas d’accroître paradoxalement leur pression pour maintenir leur productivité ?
Non, pas de coupable idéal
« Le rythme de changement global dans la nature pendant les 50 dernières années et sans précédent dans l’histoire humaine », constatent les auteurs sans détour. Le principal facteur du bouleversement planétaire en cours réside dans l’usage des terres et des eaux, suivi de l’exploitation directe des organismes, du changement climatique, de la pollution et de l’introduction d’espèces invasives. L’agriculture « moderne » est la principale responsable des modifications apportées aux écosystèmes et de la disparition des forêts et prairies tout autour du monde : un tiers des terres y sont consacrées. En d’autres termes, le nœud du problème réside dans les activités qui alimentent non seulement l’économie, mais aussi la subsistance immédiate des populations.
Il serait certainement futile de rechercher un seul et unique coupable au cœur des sociétés termo-industrielles (mode de développement qui ne concerne pas seulement l’Occident), tant le déclin des espèces remet fondamentalement en cause le mode de vie de chacun ainsi qu’un développement qui se fait partout par un accroissement de la pression sur l’environnement, notamment pour faire progresser les terres arables. Ainsi, il ne suffira pas de demander aux plus grandes entreprises du monde de cesser de commettre l’irréparable, si les individus ne souhaitent pas se passer à leur tour des ressources que ces dernières leur mettent à disposition : hydrocarbures peu chers et produits agricoles bon marché. Notons qu’intervenir par des mesures politiques à ces deux niveaux est par nature impopulaire à toutes les échelles de la société, car cela remet en cause les conditions d’existence matérielle de chaque individu. Pendant ces dernières décennies, électeurs, politiques et entreprises se sont mutuellement rejeté les responsabilités, contribuant à maintenir un statu quo destructeur.
Plus spectaculaire que les précédentes alertes parce qu’il émane d’un panel international de scientifiques sous l’égide de l’ONU, le premier rapport du « GIEC de la biodiversité » ne fait qu’acter ce que nous savions déjà : la biodiversité connaît une chute vertigineuse, phénomène inédit à l’échelle de l’histoire humaine de par son ampleur et sa rapidité. Le document, qui fera certainement plus facilement autorité en raison de la légitimité de l’instance dont il émane, ne saurait jouer le simple rôle d’énième mise en garde suivie de son lot d’indignations habituelles. Il expose l’échec collectif et international pour préserver l’environnement, ainsi que l’incapacité systémique à réagir en dépit de notre connaissance de la problématique.
Le constat sans appel et implacable de l’IPBES ne doit pas nous tromper. Alors que les scientifiques mettent en exergue la disparition sous nos yeux d’un million d’espèces, la destruction généralisée des écosystèmes menace de manière immédiate l’équilibre des sociétés humaines. La question n’est plus de savoir comment l’Humanité réussira à endiguer un phénomène qui prend les allures de cataclysme global, mais celle des mesures à prendre pour empêcher que l’appauvrissement de l’environnement ne déstructure radicalement les sociétés. Désormais, la question doit être posée : comment allons-nous nous adapter à la nouvelle contrainte environnementale tout en tentant de réduire le pillage de la planète ? Quelle place aura le capitalisme dans un tel monde ? Va-t-on poursuivre en fuite en avant productiviste en niant la réalité ?
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