Refugees welcome. À contre courant des politiques anti-migrants qui sévissent en Italie et un peu partout en Europe, des exemples montrent que l’accueil et l’intégration des réfugiés permettent de lutter contre la désertification rurale, redonnent vie à des espaces et des emplois délaissés. À Riace, petit village de Calabre, les rues désertes et les commerces abandonnés ont repris vie grâce à une politique étonnante et à contre-courant du maire Domenico Lucano. Des échoppes du sud de l’Italie aux fermes bio de Normandie, des réfugiés y apportent tous leurs savoir-faire et revitalisent les coins oubliés du Vieux Continent.
Elle n’était connue que pour ses deux bronzes grecs datant du Ve siècle avant J.C, découverts aux larges de ses côtes en 1972. Depuis, la commune de Riace s’est élevée comme figure de proue de l’accueil des réfugiés. Notamment grâce à son maire Domenico Lucano. Mais le combat que mène celui qu’on surnomme affectueusement « Mimmo » ne date pas d’hier. Déjà en 1998, alors qu’il n’était pas encore à la tête du village, il a vu le débarquement de 300 réfugiés Kurdes sur les plages voisines comme l’opportunité de redonner vie à Riace qui se vidait de ses habitants. « Le premier sentiment était une pulsion d’humanisme. J’ai suivi cet instinct, cette conscience qu’il fallait aider ces gens. Comment un être humain peut-il rester indifférent à cela, aux drames que vivent ces autres êtres humains à côté de lui ? J’ai compris à travers mon expérience quotidienne que cet instinct a été le déclic pour Riace. Cela nous a sauvé. Parce que sinon Riace n’existerait plus », confiait-il à Cafébabel, en novembre dernier.
Des 3 000 âmes qui y vivaient en 1960, il n’en restait que 900 à la fin des années 90. La faute à l’immigration ? Pas vraiment. Comme tous les villages du sud de l’Italie, Riace voyait ses habitants partir pour les grandes villes du nord, dans l’espoir d’une vie plus rémunératrice. Un phénomène d’exode rural qui laissera le village, comme tant d’autres, pratique mort. « Riace se trouvait à un moment où les gens désertaient le village, et l’arrivée de ces personnes a apporté une espérance. Cela nous a permis d’envisager un futur ensemble. L’accueil de ces gens était une richesse, un intérêt qui a permis de construire une communauté, alors que la notre s’éteignait ».
L’arrivée des réfugiés a soudainement fait revivre les ruelles typiques mais désertes du village. En 2016, Riace comptait à nouveau 2300 habitants. Les commerces se sont relancés, les habitations furent de nouveau occupées, l’école menacée de fermeture faute d’un nombre suffisant d’enfants a pu rester ouverte. Par le projet de « Mimmo », c’est tout le village qui a recommencé à vivre. Et les migrants ont pu trouver leur place dans ce modèle : ils travaillent dans les commerces et les chantiers, vivent de leur artisanat ou aident les agriculteurs locaux.
« Une utopie sociale »
Mais dans cette « utopie sociale » fonctionnelle, comme il aime l’appeler, Lucano a naturellement vu des obstacles de taille se dresser face à son projet. D’un côté, la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, qui voit dans les réfugiés une main d’œuvre malléable à exploiter. De l’autre, la politique radicale du gouvernement italien avec comme ministre de l’Intérieur Matteo Salvini. La réussite même de l’expérience est totalement niée par les autorités. Après la suspension des subventions, indispensable pour l’insertion sociale des migrants, le maire de Riace a été arrêté le 2 octobre dernier pour « incitation à l’immigration clandestine ». « Ce délit, ces mots, incitation à l’immigration clandestine… je crois qu’aucun être humain ne peut être considéré comme clandestin. Ce mot devrait disparaître du vocabulaire. C’est humiliant pour la dignité d’un être humain ». La philosophie de Domenico Lucano a une fois de plus attiré les foudres de Matteo Salvini, et Mimmo est désormais interdit de séjour dans son propre village. Depuis le 17 octobre, il vit à une dizaine de kilomètre dans la commune voisine de Caulonia. Depuis, il est devenu une véritable icône de résistance en Italie, se voyant décerner le titre de citoyen d’honneur dans de nombreuses villes et se faisant inviter aux quatre coins du pays pour partager son expérience humaniste et respectueuse.
D’autres modèles d’intégration des réfugiés et de solidarité ont vu le jour un peu partout en Europe. Si le sud de l’Italie est étroitement lié à l’arrivée de migrants sur le continent, le besoin d’intégration sociale et professionnelle pour ceux arrivés en France est aussi important. Pour y répondre, l’association Fermes d’avenir propose des formations itinérantes au maraîchage agroécologique. Affiliée au secteur solidarité du groupe SOS, qui gère 12 centres d’accueil pour demandeurs d’asile et un dispositif d’accueil pour personnes migrantes, la structure a lancé un programme de compagnonnage pour les réfugiés.
Le but est de les former aux métiers de maraîchers bio et favoriser leur insertion sociale et professionnelle, grâce à son réseau de fermes partenaires. Parmi les demandeurs d’asile recensés par le groupe SOS, près de 10% disent avoir une expérience agricole. Les réfugiés choisis pour intégrer la formation forment ainsi un binôme avec un Français pour faciliter l’apprentissage de la langue et l’insertion sociale. Ils apportent donc toute leur expérience et leurs savoir-faire, habitués à des conditions climatiques plus difficiles. Face à l’urgence écologique, qui devraient rendre les migrations de populations plus importantes, les réfugiés ont bien plus à apporter aux pays du Nord qu’on l’imagine. Dans toute l’Europe, les initiatives fleurissent pour favoriser ces échanges. Face aux politiques anti-migrants, la solidarité, elle, n’a pas de frontières.
Romain Fameli pour Cafébabel & Mr Mondialisation
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Sources :
– Interview de Domenico Lucano. Tous propos recueillis par Cafébabel (https://www.youtube.com/watch?v=7s4CuIYHkaI) sauf la partie sur l’utopie sociale par le Huffington Post (https://www.huffingtonpost.fr/2018/12/10/on-a-rencontre-domenico-lucano-le-maire-pro-migrants-de-riace_a_23591252/)
– Article de Libération sur l’urgence écologique et la formation des réfugiés : https://www.liberation.fr/france/2018/11/21/s-attaquer-a-l-urgence-ecologique-en-formant-les-refugies_1691747
– Information sur Ferme d’avenir directement sur leur site : https://fermesdavenir.org/fermes-davenir/pole-formation/programme-compagnonnage