Comment repenser les modes d’organisation du paysage à l’heure de la crise écologique ? Dans son livre Petit traité du jardin punk (Terre vivante, 2018), Eric Lenoir plaide pour un jardinage du « laisser-faire », méthode qui donne à la nature la possibilité de reprendre ses droits et qu’il expérimente sur son propre terrain, le Jardin Le Flerial. Dans l’interview qui suit, l’auteur et horticulture nous explique pourquoi nous devons apprendre à reconsidérer le désordre à sa juste valeur, et ce même au cœur de nos jardins.

Mr Mondialisation : Qu’est-ce que le jardin punk ?

Eric Lenoir : C’est un jardin qui doit, par définition, être rapide à faire, facile à faire, écolo. C’est « un jardin de fainéant qui veut respecter la nature ».

Mr Mondialisation : Est-ce que cela signifie qu’il n’y a pas de règles à suivre ?

Eric Lenoir : Il y a une petite série de règles, qui sont des règles de principe et non de construction. Il faut qu’il soit pas cher à faire, résistant aux agressions, non nuisible, écologiquement intéressant et plus beau que l’existant. Si ce que vous avez vous plaît déjà, il ne faut pas tout recommencer.

Mr Mondialisation : Quelle est l’intention ?

Eric Lenoir : Le jardin punk peut être nourricier ou paysager, ou les deux à la fois, l’un n’empêche pas l’autre. Rappelons-nous qu’un jardin cesse d’être un unique milieu naturel dès lors qu’on met le premier coup de scie.

Mr Mondialisation : Dans les premières pages de votre ouvrage, vous écrivez justement : « Ne l’oublions pas, si les jardins ont été ce qu’ils ont été, c’est notamment parce que l’Homme a cherché à se préserver de menaces bien réelles. Si nous voulons réapprendre à cohabiter avec le monde sauvage, cela ne se fera pas sans réalisme conscient des menaces possibles ». Pouvez-vous expliquer ?

Eric Lenoir : Le jardin a été créé pour s’affranchir de la nature. Il était vivrier au départ, avant de devenir rapidement ornemental, dès l’antiquité. L’objectif est d’artificialiser le lieu afin de le rendre propice à y faire pousser des végétaux. Pour que les jardins soient productifs, à notre goût, il a fallu se protéger du vent, des animaux nuisibles, des visiteurs indésirables… Le jardin permet de se protéger contre l’adversité, quelle qu’elle soit, et elle peut être naturelle.

Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut de la biodiversité. Mais quand une personne se retrouve devant une vipère à sa porte, elle n’a plus forcément le même point de vue (rires). Dans le discours écologiste, on a tendance à idéaliser, à tout vouloir re-naturaliser. C’est une bonne chose en soi, mais il ne faut pas oublier qu’on a l’humain en chemin et que l’humain a eu de bonnes raisons de se protéger de la nature. Il l’a certes fait de manière excessive, les jardins sont ainsi devenus une consécration de l’artificialisation et de la maîtrise de la nature. Maintenant on cherche à faire le chemin inverse en développant des solutions pour le faire correctement.

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Aujourd’hui si l’on peut se permettre un jardin punk, c’est aussi parce qu’on peut se louper. En se loupant, il arrive de faire de belles découvertes (rires).

Potager collectif dans une cité HLM (Champs-sur-Marne) © Eric Lenoir

Mr Mondialisation : Où commence-t-on son jardin punk ?

Eric Lenoir : N’importe où. En ville, à la campagne, sur une friche industrielle, sur le balcon, dans un potager. On commence juste par tout reconsidérer.

Mr Mondialisation : Comment vous est-il venu l’envie de réinventer le jardin, loin des règles admises ?

Eric Lenoir : J’ai eu cette envie très tôt, mais je n’ai pas tout de suite su comment faire. J’ai été obligé de faire et d’expérimenter pour comprendre comment y arriver. Ce qui me posait problème, c’était d’abord l’absurdité de l’entretien. L’entretien d’un jardin est une hérésie tel qu’il se pratique le plus souvent. On taille des haies, puis on a des déchets de taille dont on ne sait pas quoi faire et qu’il faut emmener dans une déchetterie en voiture. Rien que l’idée est complètement absurde. Il y a aussi le problème du gazon. C’est joli, mais c’est plusieurs passages par an d’une tondeuse alimentée par des énergies fossiles ou de l’électricité, tout ça pour rendre le milieu moins propice à la nature, plus sensible à la chaleur l’été, moins apte à capter l’eau. Il fallait trouver d’autres voies.

Le principal problème du jardin punk, c’est que ça peut effrayer culturellement. On nous a toujours appris que si on se laissait faire, on se ferait déborder par les végétaux. Dans mon jardin expérimental, je passe 3 ou 4 demi-journées à entretenir par an, pour 1,7 hectare ! L’essentiel, c’est d’empêcher le développement des arbres pionniers et des ronces, qui sont les précurseurs de la forêt. Je veux montrer aux élus qu’il est possible de créer et d’entretenir des espaces verts avec très peu de moyens.

Mr Mondialisation : Quelles seraient les trois plantes indispensables du jardin punk ?

Eric Lenoir  : Il n’y a pas d’indispensable. Chaque jardin a sa plante privilégiée selon la terre, les conditions d’ensoleillement.

Pour vous répondre un peu différemment, les trois plantes à considérer seraient l’arbre qui est déjà en place et adulte, la plante qui va réapparaître parce que vous avez arrêté d’entretenir, et celle que vous aimez et que vous allez réussir à planter.

Eric Lenoir. Crédit image : F. Givaudan.

À propos de l’auteur : Eric Lenoir est paysagiste et pépiniériste dans l’Yonne, en Bourgogne, en plein cœur de la France.

Diplômé de l’École Du Breuil, il s’est au fil du temps spécialisé dans les milieux sauvages et aquatiques, tout en ne perdant pas de vue sa formation initiale pour les jardins plus traditionnels. Passionné, très sensible à la notion d’écologie, il propose une approche à l’écart des sentiers battus, avec un regard résolument singulier.

Eric Lenoir, Petit traité du jardin punk, Terre vivante, 2018, 96 pp. Prix : 10 euros.
ISBN : 9782360984152


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