Bisphénols, dioxines, paracétamol et phtalates… Autant de composés chimiques coupables de la baisse de la fertilité masculine constatée principalement dans les pays les plus développés à haute consommation de produits industriels transformés. Si le lien entre polluants de notre environnement et déclin de la qualité du sperme a déjà été observé, leurs différents degrés d’implication dans ce phénomène et l’influence d’un « effet cocktail » ont récemment été analysés dans une nouvelle étude scientifique. Menée par Andreas Kortenkamp de l’Université Brunel à Londres et Hanne Frederiksen de l’Université de Copenhague, l’analyse hiérarchise, parmi les substances les plus suspectées de nuire à la qualité du sperme humain, les plus déterminantes d’entre elles. « Notre évaluation révèle des dépassements alarmants des expositions combinées acceptables », concluent les chercheurs.
Si le déclin vertigineux de la fertilité humaine n’est plus un secret, il n’en demeure pas moins une énigme. Identifié depuis une trentaine d’année, ce phénomène biologique peut en effet être expliqué par une grande diversité de facteurs : alimentation, tabagisme actif, polluants environnementaux, exposition au stress, etc. L’effet cocktail de ces expositions affectant notre santé a des conséquences inévitables sur notre capacité à nous reproduire.
Un déclin massif et persistant de la fertilité masculine
Les chiffres sont saisissants. En 2017 déjà, une chute de 50% à 60% de la concentration spermatique a été observée au cours des quatre dernières décennies. Les conclusions de Shanna Swan, spécialiste mondialement reconnue de l’épidémiologie environnementale, attestaient ainsi du « déclin significatif de la santé reproductive masculine » dans les pays occidentaux.
Parue dans la revue scientifique Environment International ce jeudi, l’étude menée conjointement par Andreas Kortenkamp de l’Université Brunel à Londres et Hanne Frederiksen de l’Université de Copenhague a analysé quant à elle les risques d’un « effet cocktail » de près d’une trentaine de produits chimiques potentiellement perturbateurs de la santé reproductive masculine.
Grâce à des échantillons d’urine d’une centaine d’hommes danois âgés de 18 à 30 ans et à des données déjà existantes (principalement issues de l’Agence européenne des normes alimentaires), les scientifiques ont ainsi été capables de mesurer l’impact potentiel de chaque produit chimique, qui a ensuite été additionné à l’aide d’une méthode établie pour produire une mesure de risque globale.
Des taux 100 fois supérieurs aux valeurs acceptables
Les résultats sont sans appel : « les expositions tolérables aux substances associées à la détérioration de la qualité du sperme sont largement dépassées » annoncent les chercheurs qui constant que « les bisphénols, les dioxines polychlorées, les phtalates et les analgésiques sont à l’origine de ces risques. » L’étude révèle ainsi que tous les participants avaient été exposés à des polluants dangereusement combinés. Les plus atteints d’entre eux enregistraient des niveaux 100 fois supérieurs aux valeurs acceptables. Selon les estimations des chercheurs, le niveau médian d’exposition combinée de la population générale à ces produits est environ vingt fois supérieur au seuil de risque acceptable.
On retrouve en tête de liste le Bisphénol A (BPA) et ses succédanés (BPS, BPF), responsables des risques les plus élevés selon les auteurs de l’étude. Ces composés sont majoritairement présents dans les plastiques alimentaires (bombonnes d’eau, boîtes de conserves, canettes, biberons,…) ou non alimentaires (DVD, verres de lunettes, prises et interrupteurs électriques, papiers thermiques,…). D’autres plastifiants tels que les phtalates auraient également un impact sur la fertilité des hommes. Utilisés entre autres pour assouplir les objets en PVC, on les retrouve eux aussi dans de nombreux articles du quotidien : adhésifs, ballons, nappes, tuyaux, rideaux de douche, cosmétiques, jouets…
Les plastiques largement mis en cause
La liste ne s’arrête pas là : les dioxines, polluants organiques persistants dans l’environnement qui s’accumulent dans les chaînes alimentaires et principalement dans les graisses animales, sont elles aussi désignées comme facteur aggravant. Enfin, les scientifiques ont identifié le paracétamol, antalgique bien connu des ménages, comme perturbateur principal du développement des organes génitaux du foetus lorsque le médicament est consommé par la mère durant sa grossesse. En plus de faire baisser le nombre de spermatozoïdes de l’enfant à naître, sa consommation peut potentiellement entrainer d’autres troubles tels que le développement d’un cancer du sein, des testicules non-descendants ou encore le rétrécissement du pénis. « Des efforts soutenus pour réduire les expositions à ces substances sont nécessaires pour atténuer les risques », estiment sans surprise les chercheurs.
Co-directeur de l’étude, Andreas Kortenkamp explique également au Guardian que « compte tenu de la multitude de produits chimiques auxquels les humains sont exposés, ces contraintes signifient presque certainement que nous avons sous-estimé les risques de mélange ». Il vise particulièrement les produits chimiques dit « éternels », les PFAS, qui n’ont pas été pris en compte pour cette étude. Plus généralement, d’autres facteurs sont aussi certainement responsables de la baisse de la fertilité mondiale, rappelle le chercheur. « Nous ne disons pas que les produits chimiques sont le seul facteur », la pollution de l’air peut par exemple également affecter la qualité du sperme.
« Notre analyse a un caractère prédictif »
De manière générale, les résultats du scientifique britannique et de son équipe ne permettent pas de faire un lien direct entre l’exposition des participants à l’étude et leur propre fertilité. En effet, l’exposition aux différents polluants analysés est surtout déterminante pour l’homme en devenir lorsqu’il est encore au stade de foetus dans le ventre de sa mère. Une donnée particulièrement difficile à obtenir…
Dans tous les cas, les scientifiques appellent à affiner les recherches tout en enclenchant la machine politique. « Notre analyse a un caractère prédictif qui pourrait être vérifié dans des études épidémiologiques adéquates sur la qualité du sperme », peut-on lire dans la revue. « Cependant, des mesures réglementaires telles que l’interdiction du BPA dans les matériaux en contact avec les aliments ne devraient pas être retardées jusqu’à ce que de telles vérifications soient disponibles, ce qui peut prendre un certain temps », concluent-ils.
Sources :
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0160412022002495
https://www.wionews.com/science/chemical-pollutants-cause-deteriorating-sperm-quality-report-486985