La population ne cesse de dénoncer les comportements dangereux, problématiques et totalement impunis des chasseurs en France. Le collectif UnJourUnChasseur a été créé par les amis de Morgan Keane, un jeune homme de 25 ans sauvagement abattu par un chasseur dans son jardin, alors qu’il coupait du bois, il y a presque un an. Face à la multitude d’accidents liés à la chasse et des témoignages qui ne cessent d’affluer sur les réseaux sociaux, la parole s’ouvre et les fêlures dans l’omerta ambiante laissent apercevoir une colère sourde chez le reste de la population. Maintenant que la pétition au Sénat a atteint les 100 000 signatures, on espère qu’enfin le gouvernement entendra la voix du plus grand nombre. Décryptage d’une lutte en bonne voie.

Alors qu’Emmanuel Macron annonçait déjà des promesses de campagne pour 2022 lors de son allocution du 9 novembre 2021, les débats autour de la chasse se font de plus en plus houleux. D’un côté, le président de la Fédération Nationale de chasse dit clairement à RMC qu’il « n’en a rien à foutre de réguler », niant là-même le principal argument en faveur des chasseurs, ces fameux 1ers écologistes de France qu’ils se disaient, et de l’autre les pétitions en faveur d’une régulation de la chasse et les dénonciations publiques pullulent sur les réseaux sociaux.

Depuis le début de la saison, de nombreuses initiatives appellent à réguler cette activité alors même que les accidents se sont multipliés ces derniers jours. Nous pensons ici à cet automobiliste mort des suites d’une blessure par balle au cou, tandis qu’il conduisait près de Rennes. Quelques jours plus tôt, le 28 octobre, en Haute-Savoie, une autre personne était grièvement blessée d’une balle dans le thorax, alors qu’elle se promenait sur un sentier.

Au total, c’est plus d’une vingtaine d’accidents qui ont été recensés ces deux derniers mois. En septembre, une cyclotouriste a notamment reçu du plomb dans la cuisse en Dordogne ; une automobiliste a pris une balle dans l’épaule en Corse ; un homme de 60 ans a aussi été blessé à la tête dans le Var, avant de mourir une semaine plus tard à l’hôpital…

Des centaines de témoignages sont relayés sur UnJourUnChasseur, preuve d’un phénomène de masse qui n’a rien d’isolé. Photo : screen-shot des posts instagram de @Unjourunchasseur

« Nous refusons d’accepter la banalisation de ces drames »

Face à la répétition de ces tragédies, l’émoi est palpable. Sur le site du Sénat, la pétition portée par le collectif Un jour un chasseur (update : actuellement 122 000 signatures !), créé à la suite de la mort de Morgan Keane en décembre 2020, exige la mise en place d’une réforme des pratiques de chasse.

Alors que la deadline des 100 000 signatures était prévu pour mars, il n’a fallu que deux mois, pendant l’ouverture des activités cynégétiques, pour que le compte soit déjà atteint, et ce malgré les bugs de la plateforme et un processus de signature très contraignant. Une première, qui témoigne du ras-le-bol de l’impunité totale de cette minorité, qui empêche le reste de la population de vivre durant la moitié de l’année (la période de chasse est ouverte de septembre à février en France métropolitaine).

Cette pétition demande un plus strict encadrement de la chasse avec notamment des jours sans chasse, les mercredis et dimanches, ainsi que durant les vacances scolaires.

Maintenant que le seuil de 100 000 a été dépassé, le Sénat a l’obligation de se saisir des revendications. Il a déjà annoncé la création d’une mission sénatoriale sur le sujet, sans que l’on sache cependant pour l’instant sur quoi elle va déboucher. Les sénateurs ont annoncé vouloir auditionner différents acteurs, dont @unjourunchasseur, pour faire des propositions permettant de mieux encadrer la chasse.

A surveiller, puisque ce ne serait pas la première fois que le gouvernement balaye les revendications populaires pour une poignée de main sous le bureau, de nombreux décideurs étant de fervents chasseurs. Une sur-représentation politique qui pose de nombreux problèmes déontologiques et fait barrages à la volonté générale.

Le collectif UnJourUnChasseur réclame ainsi la mise en place de plusieurs mesures : l’interdiction de la chasse le dimanche et le mercredi donc; mais aussi une formation plus stricte pour les chasseurs ; un suivi des armes de chasse et des comportements à risque ; un renforcement des sanctions pénales en cas d’accident et un meilleur accompagnement des victimes.

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Les six amies de Morgan Kaene avancent sur une ligne de crête. Elles ne se revendiquent pas « antichasse ». Leurs réformes seraient également bénéfiques pour les chasseurs, clament-elles à Reporterre. « Entre 2000 et 2020, d’après la Fédération de la chasse, il y a eu 3.330 accidents, dont 421 morts, dit Sara. La majorité des victimes était des chasseurs. C’est dans leur intérêt de changer. Il faut qu’ils renouent la confiance avec le reste de la population. »

« C’est simplement du bon sens, pour éviter un prochain mort. »

Des drames complètement banalisés

C’est peut-être le plus gros point noir du tableau : les « accidents » de chasse, qui parfois n’ont rien d’accidentel (personnes visées consciemment, chiens et chats abattus, tirs sur des terrains privés…) restent la plupart du temps impunis. Deux raisons à cela : la majorité des victimes ne portent pas plainte par peur de représailles ou par résignation sur le fait que la police locale ne fera rien ; et dans la plus grande partie des cas : c’est vrai.

« Le gendarme nous a dit qu’il fallait qu’on laisse tomber et qu’on rentre chez nous »

« Nous sommes repartis sans porter plainte », témoignage sur Un Jour un Chasseur concernant la complicité de la gendarmie sur les dérives des chasseurs (photo : instagram Un Jour Un Chasseur)

La tension est palpable. Récemment, Sara a reçu des menaces : « On m’a mise en garde, on est venu me voir pour me dire de faire attention, “ce serait dommage qu’il y ait un autre accident”. » La trêve demandée par la famille n’a pas non plus été respectée. Les chasseurs ont continué à tirer le lendemain de la mort de Morgan.

Contacté par Reporterre, André Manier, le président de la Fédération de la chasse du Lot n’a pas montré l’ombre d’une empathie. Il ne veut rien entendre d’une potentielle réforme de la chasse. « C’est un drame, j’en conviens, mais il faut qu’on arrête un petit peu. D’ailleurs, c’est malheureux mais ce ne sera ni le premier ni le dernier. Le risque zéro n’existe pas. Combien de morts il y a en voiture, au ski ou à la piscine ? Faut arrêter de se focaliser sur la chasse. On fait le maximum, croyez-nous. » Pas sûr que cette réponse suffise aux six amies de Morgan, pour une pratique sans autre utilité que la mort.

Et pas sûr qu’elle suffise aux autres.

Un supposé rôle de « régulation » que même le Président de la FNC dément

Le Président de la FNC a récemment avoué que l’intention d’avoir un rôle de régulation était, comme le démontrent les associations depuis des années, une vaste fumisterie pour conserver le privilège morbide de tuer par pure passion et divertissement dominical.

Il était temps que l’intox montre son vrai visage… La chasse n’a aucun rôle de régulation. Un gibier sur 4 provient d’un élevage, en France, comme le révèle cette enquête de L214 et Pierre Rigaux. Ainsi, 9 faisans sur 10 tués à la chasse sont issus d’élevages. De la chair à canon entretenue pour alimenter le jeu d’un petit nombre. Généralement lâchés quelques jours ou quelques heures avant les tirs, 80 % d’entre eux meurent dans les premières 48 h : 50 % d’entre eux sont tués par les chasseurs, 30 % sont prédatés : « La mortalité, favorisée par l’inadaptation de ces oiseaux à l’environnement de lâcher entraîne aussi une prédation importante et rapide par des carnivores ou des rapaces. » (ANSES, 2016, p. 2 et 6).

On apprend de fait, sur l’article de l’enquête, que « Pour satisfaire la demande des chasseurs tout en étant viables économiquement, les éleveurs sont soumis à une double contrainte totalement insoluble : “produire” des oiseaux en très grand nombre comme dans n’importe quel élevage industriel, tout en essayant de faire en sorte que ces oiseaux aient un comportement sauvage pour l’intérêt les chasseurs, c’est-à-dire être au moins capables de fuir et de voler.

Or dans ces élevages, les poussins grandissent sans leurs parents et sans rien apprendre de la vie dans la nature… Une fois lâchés, ils se retrouvent totalement démunis, inadaptés, ne savent pas comment se nourrir ni éviter les prédateurs, et beaucoup d’entre eux errent au bord des routes tels des poules égarées… Au final, les perdrix et faisans d’élevage ne sont ni tout à fait domestiques (ils sont nerveux et supportent très mal la captivité), ni tout à fait sauvages (ils sont inadaptés à la liberté). » Pierre Rigaux, naturaliste.

Pour Sébastien Arsac, porte-parole de L214 : « Sur ces images, la chasse apparaît sous son vrai jour : on est très proche de la chasse à la galinette cendrée. Ainsi, des millions d’animaux sont élevés pour devenir de la chair à fusil.

On retrouve les images très classiques des élevages de masse : des animaux encagés, d’autres qui grandissent entassés dans l’obscurité pendant une partie de leur vie. Après un passage en volière, ces animaux sont lâchés, complètement inadaptés à un milieu qui leur est inconnu, sans savoir se débrouiller seul, avec une horde de chasseurs à leurs trousses.

Malgré l’opposition majoritaire des Français – et en particulier 71 % des ruraux ! – aux élevages et lâchers pour la chasse, nous avons peu d’espoir de voir la législation changer rapidement vu le peu de courage politique de nombreux élus mais on peut au moins barrer la route à ces pratiques cruelles. »

La lutte se déplace de plus en plus sur le terrain politique. Yannick Jadot, le candidat écologiste à la présidentielle, a annoncé vouloir interdire la chasse le week-end et les vacances scolaires. « Il faut que la nature soit accessible à tout le monde. Quand j’entends que les trois quarts des personnes qui vivent dans la ruralité n’osent pas aller se promener le dimanche quand il y a des tirs de fusil, ce n’est pas normal », déclare-t-il sur BFMTV.

La bataille est lancée. Selon le député du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, engagé dans la campagne de Yannick Jadot, « rarement une de nos mesures n’avait soulevé autant d’enthousiasme et de commentaires positifs. Il y a une grande attente. La majorité de la population veut vraiment que la situation évolue », assure-t-il à Reporterre. D’après un sondage du Journal du dimanche, 69 % des personnes interrogées se disent, en effet, favorables à l’interdiction de la chasse le week-end et pendant les vacances scolaires.

Mais ces propositions ne sont pas sans rappeler la loi Voynet, adoptée en juillet 2000. Celle-ci prévoyait déjà un jour par semaine sans chasse. La loi avait cependant été abrogée en 2003 avec le retour de la droite au pouvoir, sous Sarkozy.

« Seuls la pression populaire et le rapport de force pourront changer la donne »

Dans de nombreux pays européens, une journée sans chasse est déjà mise en place. Au Royaume-Uni, par exemple, la chasse est interdite le dimanche depuis… 1831. C’est le cas également aux Pays-Bas, dans plusieurs cantons suisses, dans des régions espagnoles ou des Länder allemands.

Cela n’a pas empêché le président de la Fédération nationale des chasseurs de s’offusquer et de trouver « la proposition débile ». Tout en s’excusant pour ces « accidents dramatiques », Willy Schraen a estimé que « l’erreur était humaine ». Encore une fois, nous rappelons que la chasse est la seule pratique récréative qui cause autant de décès par an.

Pour le collectif Un jour un chasseur, une approche uniquement basée sur des « débats locaux », comme le souhaite actuellement le ministère, est largement insuffisante. L’année dernière, lorsqu’ils avaient été reçus par la secrétaire d’État à la biodiversité, Bérangère Abba, quelques semaines après la mort de leur ami Morgan Keane, ils avaient déjà défendu l’idée d’une interdiction nationale pendant les week-ends.

La secrétaire d’État leur avait alors répondu que c’était « culturellement impossible ». Plutôt qu’un encadrement strict des pratiques de chasse, Bérangère Abba aurait défendu lors de cette réunion « une meilleure communication » entre usagers de la nature et proposé que les promeneurs portent des gilets orange en forêt, racontent les membres du collectif. Contactée par Reporterre, la secrétaire d’État dément cette information. « Je trouverais invraisemblable de devoir imposer ce type de signalement au promeneur », précise-t-elle.

UnJourUnChasseur ne décolère pas. « Nous n’attendons plus rien de ce gouvernement, affirme Mila. Nous avons eu l’impression d’être instrumentalisés. Maintenant, nous savons que seuls la pression populaire et le rapport de force pourront véritablement changer la donne. »

Une partie conséquente de la population attend en tout cas beaucoup de cette réunion au Sénat, avec, nous l’espérons, enfin une écoute des dirigeants aux revendications populaires. En attendant, si vous voulez agir, vous pouvez soutenir l’ASPAS, l’association pour la protection des animaux sauvages, mais aussi relayer les nombreux témoignages récoltés par le collectif UnJourUnChasseur. Pour ce qui est de la Justice, affaire à suivre.

– Moro


Sources :
Reporterre : https://reporterre.net/La-colere-gronde-contre-la-chasse-meurtriere

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