Sous le feu des projecteurs depuis la démission de Nicolas Hulot, la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) déploie actuellement d’importants moyens financiers à travers une campagne de propagande qui affirme que « les chasseurs sont les premiers écologistes de France ». À quelques semaines de l’ouverture de la nouvelle saison de chasse en septembre, les amateurs de la pratique de plus en plus décriée multiplient les contre-vérités pour tenter de regagner la confiance – en berne – de la population. Éclairages.

Le sentier est barré par un panneau « Attention, chasse en cours ». Un peu plus loin une dizaine de 4×4 sont garés dans une clairière. Leurs lourdes roues ont laissé de profondes marques sur les chemins forestiers. Au loin, les aboiements des chiens et les cris des chasseurs qui battent la forêt sont clairement perceptibles et brisent le silence matinal. Pour le groupe de randonneurs qui rebroussent chemin, aller plus loin serait prendre le risque d’être touchés par une balle perdue. C’est un dimanche normal d’hiver en France, où une minorité de personnes peuvent, de fait, empêcher d’autres de jouir de la nature et tuer 30 millions d’animaux au fusil par an, un record en Europe.

Menaces de mort envers les « écolos ». Image : ASPAS

En effet, en matière de chasse, la France dispose de la législation la plus permissive d’Europe. Non seulement c’est le seul pays dans lequel la chasse est autorisée tous les jours de la semaine week-end compris pendant la période d’ouverture, mais en plus cette dernière est la plus longue, s’étalant sur 6 mois de l’année pour l’ouverture générale, bien plus pour certaines espèces comme les daims et renards dont la traque est permise dès le 1er juin. Qui plus est, le nombre d’espèces qui peuvent être tuées est également bien supérieur par rapport aux pays voisins de l’Hexagone : 91 gibiers au total dont 64 espèces d’oiseaux sont chassées en France (contre 14 espèces d’oiseaux en moyenne dans le reste de l’Europe), rappelait récemment le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) Allain Bougrain-Dubourg auprès de « franceinfo ». Parmi ces 64 espèces, 20 sont sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Mais cette liste n’est qu’indicative et le législateur français ne semble pas prêt à faire changer les choses.

Une pratique qui ne participe ni à la « régulation » des espèces, ni à la lutte contre les « nuisibles »

En totale contradiction, les chasseurs français multiplient les moyens pour verdir leur image. Depuis quelques jours, les habitants de Paris, de Toulouse et de Lille – entre autres – découvrent les larges panneaux publicitaires déployés par la FNC, affichant le slogan « Les chasseurs, premiers écologistes de France ? ». Cette question, que l’on retrouve sous forme d’affirmation dans le communiqué de presse associé à la campagne, se base sur un sondage effectué auprès des auditeurs de RMC-BFMTV et n’est donc absolument pas représentatif. Ces visuels exposent les prétendues vertus de la chasse pour l’environnement.

Extrait de la campagne. Le point d’interrogation fut ajouté sur d’autres versions.

La chasse serait donc, selon cette campagne, non seulement un moyen de sauvegarder la biodiversité mais aussi de réguler les espèces en surnombre ou nuisibles. Bref, les chasseurs, au même titre que les associations de défense de l’environnement, seraient désormais des protecteurs de la nature, amoureux de la vie sauvage. Le communiqué de presse signé Willy Schraen, Président de la Fédération Nationale des Chasseurs assure d’ailleurs : « Vous pouvez être fiers des chasseurs de votre pays. C’est une chasse durable, moderne, soucieuse des écosystèmes qui est à l’œuvre en France. »

Ces affirmations sont pourtant en contradiction avec de trop nombreuses réalités de terrain. D’une part, alors que les chasseurs affirment « réguler » des espèces en surnombre, ils participent surtout à l’introduction de millions de bêtes dans la nature pour pouvoir les chasser car celles-ci ne sont pas assez nombreuses dans les conditions naturelles. Selon le Syndicat National des producteurs de Gibiers de Chasse, le secteur d’élevage de gibier représente « 14 millions de faisans, 5 millions de perdrix grises et rouges, 1 million de canards colvert 40000 lièvres de France, 100000 lapins de garenne, 10000 cerfs 7000 daims en production pour la France ». Une quantité astronomique d’animaux sont donc élevés dans le seul but d’être relâchés et immédiatement tués.

D’autre part, bon nombre d’animaux, en particulier les sangliers et les daims, sont élevés pour ensuite être chassés dans des espaces clos, comme le montre une enquête de 2012 de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS). Dans un cas comme dans l’autre, il n’est pas question de « régulation », mais de conditions de chasse artificielles, pour le seul plaisir de la pratique. D’autant que dans certains cas, ce sont des espèces exotiques qui sont lâchées en pleine nature. Enfin, il serait bon de ne pas mettre de côté les prises « accidentelles ». Les pièges étant souvent peu sélectifs, chats et chiens perdent régulièrement la vie dans ces mécanismes de mort.

Chien tué par un piège. Image : ASPAS
Chat amputé, rescapé d’un piège de chasse. Image : ASPAS

Argument éculé, les chasseurs seraient indispensables à la lutte contre les espèces dites « nuisibles ». Pourtant, en ce qui concerne l’une des plus emblématiques d’entre elles, le renard, les études scientifiques s’accordent désormais à dire que sa persécution participe à la progression de la maladie de Lyme car les rongeurs, propices au développement des tiques, ne sont plus régulés par leurs prédateurs naturels et prolifèrent. Autre conséquence des rongeurs qui prospèrent grâce à la chasse de leurs prédateurs, les dégâts subis par les agriculteurs. Bref, des désordres écologiques artificiels, causés par les chasseurs, que les lobbies justifient avec des discours erronés… En réalité, si bon nombre de Départements maintiennent le renard dans la liste des nuisibles, c’est sous la pression des chasseurs, qui voient dans l’animal une concurrence directe à leurs propres pratiques. Une fois encore, ailleurs en Europe, comme en Angleterre, cette chasse à été abolie en conséquence des savoirs actuels.

Enfin, en pratique, de nombreuses techniques de chasse employées sont destructrices de l’environnement local et/ou particulièrement brutales envers les animaux. En première ligne le déterrage, dont les blaireaux sont l’une des victimes, mais aussi la chasse à courre, la chasse à la glu, les pièges, etc.

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Image : ASPAS

Pendant ce temps, Macron courtise les chasseurs…

Cette vaste campagne de séduction témoigne de la « puissance » de la FNC sur les autorités et des « moyens importants » dont elle dispose, analyse Madline Renaud, directrice de l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS). Elle y voit une tentative de la part des chasseurs de regagner la faveur de l’opinion publique, dans un contexte où « la chasse est de moins en moins bien vue par la société civile ». « Pour nous qui voyons l’état des populations et de la nature sur le terrain, c’est choquant de voir que les chasseurs s’affirment avec autant d’aplomb comme premiers écologistes« , lâche la directrice.

Panneau vandalisé par des tirs. Image : ASPAS
Panneaux d’un refuge animalier vandalisés par des tirs. Image : ASPAS

La campagne intervient en effet dans un contexte où la bataille de l’opinion fait rage. Depuis son arrivée au pouvoir, le Président a multiplié les gestes en faveur des chasseurs, une opération de séduction qui n’échappe à personne. Il y a quelques jours encore, Emmanuel Macron acceptait que le prix pour obtenir le permis national de chasse soit divisé par deux, de 400 à 200 euros. Plus tôt dans l’année, alors qu’une importante polémique touchait la chasse à courre, pratique jugée « cruelle » et « barbare », Emmanuel Macron avait également affirmé son soutien à Willy Schraen, le président de la Fédération nationale des chasseurs. Pendant l’hiver, une dérogation pour allonger la période de chasse des oies sauvages a également été accordée aux amateurs de la pratique. Macron est sans équivoque le président des chasseurs.

Mais le président pourra-t-il encore longtemps céder face aux demandes insistantes émanant d’à peine 2% de la population, alors que des voix de plus en plus nombreuses réclament des politiques plus restrictives en matière de chasse ? Fin 2017, selon un sondage IFOP pour la Fondation Brigitte Bardot, 84 % des sondés s’opposaient à la chasse à courre et 71 % se sentent en insécurité en se baladant dans la nature. Sur internet, une pétition signée plusieurs dizaines de milliers fois réclame l’interdiction de la chasse le dimanche. Pendant ce temps, le bras de fer intellectuel se poursuit. Le verdissement de façade de la FNC arrivera-t-il à convaincre ?


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