À l’échelle nationale, la France connaît depuis l’été 2018 un déficit marqué des précipitations. Très visibles, les situations de sécheresses font oublier l’état des nappes d’eaux souterraines, essentielles pour répondre aux besoins en eau. Faut-il craindre dans les prochains mois un manque de ce côté, ce qui pourrait impacter l’alimentation en eau potable, l’agriculture et l’industrie du pays ? Éléments de réponse avec Nathalie Dörfliger, hydrogéologue au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Interview.

Mr Mondialisation : Quel est actuellement l’état des nappes d’eaux souterraines en France ?

Nathalie Dörfliger : Selon les informations dont on dispose en ce début d’année, globalement, l’état des nappes est hétérogène d’une région à l’autre, ce qui n’a rien d’anormal. Par rapport aux dix années précédentes, un tiers des nappes affichent un niveau modérément haut à très haut, surtout dans le sud et sud-ouest de la France ; dans le nord de la France, on a des niveaux autour de la moyenne voire modérément bas ; dans l’est du pays, le niveau est modérément bas, à bas.

Ce qui est particulier en revanche, c’est que la recharge des nappes a en principe lieu d’octobre à avril environ. Mais cette année, de nombreuses nappes ont déjà des niveaux d’eau stabilisés, alors qu’en principe la recharge continue au cours du 1er trimestre. La situation n’est pas forcément inquiétante, mais traduit des périodes de recharge variables selon les années, en termes d’intensité, de fréquence et de durée, avec des situations différentes selon les régions.

Mr Mondialisation : En quoi la recharge des nappes est-elle importante pour le pays ?

Nathalie Dörfliger : Nous dépendons à plusieurs titres des eaux souterraines. En France, 70 % des eaux utilisées pour l’alimentation et l’eau potable proviennent des eaux souterraines. Mais qui s’interroge à ce sujet ? Pour l’agriculture, 37 % de l’eau provient des nappes. Il ne faut pas non plus oublier que l’industrie utilise également, à hauteur de 40 % de ses besoins, de l’eau souterraine.

Mr Mondialisation : Après un hiver déficitaire en pluies au niveau de l’Hexagone, faut-il envisager que la contrainte sur les nappes s’accentue dans les prochains mois ?

Nathalie Dörfliger : C’est difficile à dire pour le moment, car cela va dépendre des précipitations au cours des deux prochains mois. Cela dépend également d’éventuels phénomènes de sécheresse des sols, comme l’année passée par exemple. Dans les secteurs où les niveaux sont déjà bas et stabilisés, comme sur la nappe d’Alsace, bassin du Rhône au nord de Lyon ou encore dans les Hauts de France, on pourrait se retrouver dans des situations de point bas plus tôt que les années précédentes, avec des restrictions à la clé.

Le lac souterrain du BocageMr Mondialisation :  Peut-on craindre que ce genre de situation soit plus fréquent à l’avenir ?

Nathalie Dörfliger : Les simulations des modèles climatiques du GIEC indiquent, quels que soient les scénarios, des diminutions des précipitations et des augmentations de température qui se traduisent sur une diminution de recharge des nappes et des débits des cours d’eau. Des phénomènes de « sécheresse hydrogéologique », périodes de niveaux bas des nappes, pourraient être plus fréquents et importants. Il faut donc anticiper, questionner la gestion des ressources en eau tant de surface que souterraines et leurs usages.

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Pour garantir une gestion durable des eaux souterraines, il faudra d’une part optimiser les prélèvements en fonction de la recharge, éviter de surexploiter (prélèvement supérieur à la recharge moyenne), mais aussi étudier de nouvelles possibilités d’optimisation de la recharge, en favorisant celle-ci : recharge indirecte via des bassins d’infiltration et recharge directe par forage (eaux de surface, eaux pluviales, mais aussi eaux traitées) pour assurer un stockage pour une utilisation différée dans le temps.

Mr Mondialisation : Face à ces problématiques, est-ce que vous faites des recommandations auprès des décideurs publics ?

Nathalie Dörfliger : Oui, c’est dans nos missions et nous alertons également. Nous sensibilisons aussi à la nécessité d’observer et d’assurer la collecte des données des niveaux des nappes. Bien qu’on dépende des eaux souterraines, ces dernières étant invisibles, n’apparaissent pas de manière claire au niveau des messages des pouvoirs publics qui portent plus leur attention aux eaux de surface ou aux retenues, qui elles, se voient. Il est important de sensibiliser, d’informer sur les eaux souterraines, pour qu’elles deviennent « visibles ».

Pont du GardNathalie DÖRFLIGER est hydrogéologue et directrice de programme scientifique « Eaux souterraines et changement global » auprès de la direction générale du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières).


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