Parmi les plus anciens animaux du globe, le dauphin est aussi l’un des plus intelligents. Après des dizaines de millions d’années passées sur Terre, plusieurs espèces pourraient pourtant y vivre leurs dernières heures. L’une des menaces qui pèsent sur les dauphins, le trafic maritime, a néanmoins connu une baisse provisoire à la faveur du confinement, avant de revenir à la « normale ». Dans ce silence inhabituel qui a gagné certaines mers pendant le confinement, les scientifiques ont eu l’occasion unique d’écouter ce que ces mammifères hors du commun avaient à dire. Ils ont découvert des structures sociales complexes, mais surtout des modes de communication très élaborés…

Comme les tortues de mer, les requins et les crocodiles, les dauphins font partie des animaux qui arpentent depuis le plus longtemps notre planète. Si de nombreuses recherches leur attribuent des origines terrestres, les ancêtres des dauphins tels que nous les connaissons seraient apparus il y a 50 millions d’années. Passant de la terre à la mer, ils auraient aussi abandonné leur statut de chasseur solitaire pour devenir des animaux plus sociaux, donc plus communicatifs.

Plusieurs espèces pourraient disparaître d’ici dix ans

Aujourd’hui, ces animaux emblématiques se retrouvent dans tous les océans, ainsi que dans certains grands fleuves comme le Mékong ou l’Amazone. Les dauphins trônent au sommet de la chaîne alimentaire et jouent un rôle important dans l’équilibre des écosystèmes marins. Ils sont ainsi un indicateur précieux de l’état de santé des océans. Mais parmi les 36 espèces de delphinidés recensés aujourd’hui, certaines sont si menacées qu’elles pourraient avoir disparu dans dix ans, d’après le WWF.

Le dauphin est l’un des plus anciens animaux du globe, mais certaines espèces pourraient disparaître d’ici la fin de la décennie.

Plusieurs menaces pèsent sur ce mammifère marin. Les « prises accessoires » en constituent certainement la plus importante. Les dauphins sont en effet trop souvent accidentellement capturés par les énormes filets de pêche déployés dans le cadre de techniques de pêche industrielles qui dégradent les écosystèmes marins. La réduction voire la disparition de leur habitat est un autre problème majeur, particulièrement pour les dauphins d’eau douce, tout comme la pollution omniprésente (sonore, de l’eau et de l’air), ainsi que le trafic maritime. Le son des machines humaines est l’un des freins les plus importants à l’étude de ces animaux majestueux.

Écholocalisation et communication

Le confinement engendré par l’apparition du coronavirus a provisoirement amoindri cette dernière menace. Profitant de ces conditions inhabituelles, des scientifiques australiens ont étudié en détail les modes de communication d’une espèce rare, le dauphin Burrunan. Découvert il y a moins de dix ans, il vit dans le parc national des lacs du Gippsland et dans la baie Port Phillip, non loin de la ville de Melbourne. Le nombre de bateaux qui sillonnent ces zones s’est fortement réduit pendant le confinement. Les chercheurs ont donc décidé de mettre en place des sondes acoustiques pour saisir les bruits produits par les dauphins. Ces mammifères marins produisent en effet toutes sortes de sons singuliers. En émettant des cliquetis sonores et en captant leur écho, ils sont capables de connaître la taille, la forme, la distance, la direction et même la vitesse d’un objet immergé. Cette technique d’écholocalisation leur est précieuse pour chasser divers poissons et seiches.

Mais les dauphins produisent également des sons pour communiquer entre eux, comme le révélait en 2016 un chercheur russe dans une étude analysant les échanges entre deux dauphins. En s’intéressant à des fréquences imperceptibles pour les oreilles humaines, il était parvenu à différencier les sons émis pour l’écholocalisation de ceux voués à la communication. Il a ainsi mis en évidence des séquences qui pourraient correspondre à des mots assemblés en phrases. Il précisait également que les productions sonores des deux dauphins ne se chevauchaient jamais, comme lors d’une conversation dans laquelle chacun écoute l’autre avant de lui répondre.

Des sons corrélés à des comportements

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Les chercheurs australiens ont en partie confirmé ces résultats.  « Les dauphins ont un répertoire : des bulles et des grincements, des cris, des sifflements et des grognements. Chacun de ces sons peut être corrélé à un comportement et c’est ce qu’on appelle le répertoire acoustique », explique la docteure Kate Robb, qui a dirigé les recherches. Tout en enregistrant les sons sous-marins, l’équipe de la Marine Mammal Foundation notait en effet les comportements des dauphins afin de rechercher des éventuelles corrélations.

Le confinement, une occasion unique pour observer les dauphins des Lacs du Gippsland, en Australie.

Un autre apport majeur de cette étude réside dans la confirmation d’une autre particularité importante des dauphins : le fait qu’ils aient une manière d’exprimer leur propre nom, comme des études précédentes le suggéraient. Ce qui validerait l’idée d’une identité individuelle : « Nous avons découvert le sifflement caractéristique du dauphin Burrunan pendant cette période, se réjouit Kate Robb auprès du média australien ABC News. Le sifflement signature est une forme de salutation, mais nous ne voulons cependant pas faire d’anthropomorphisme. » L’équipe des chercheurs s’est ainsi attachée à identifier le sifflement signature de chacun des dauphins des lacs du Gippsland.

Des structures sociales complexes

En observant le comportement du groupe de dauphins en détails, les scientifiques australiens ont également remarqué des relations complexes entre individus. Deux des mâles ont par exemple toujours été vus ensemble depuis 2006. Ces deux inséparables ont un lien très fort que les chercheurs appellent une « alliance ». Ce phénomène est très courant chez les mâles, qui forment généralement dès leur adolescence un duo pour la vie. Ils s’associent et s’accouplent par contre avec plusieurs femelles.

Les associations entre individus dépendent de facteurs comme l’âge, le sexe, l’activité et le statut reproducteur. C’est ainsi que ce type de coopération s’est également retrouvé dans l’étude des comportements associés à la maternité. Les femelles ont tendance à passer du temps dans certaines zones, accompagnées d’autres mères ayant des petits du même âge. Elles se partagent les soins de leurs petits afin de pouvoir prendre le temps de se nourrir. Des femelles matriarches, qui ne se reproduisent plus, sont également présentes pour épauler les plus jeunes.

Ces résultats confirment donc le caractère exceptionnel des structures sociales et des modes de communication du dauphin. Le calme de la période du confinement a permis à ces mammifères marins de communiquer plus librement, en raison de l’absence du dérangement permanent engendré par l’important trafic marin dans leur habitat. Les mesures visant à protéger les dauphins ne sont par ailleurs pas toujours respectées, et ce repos inhabituel a pu constituer une aubaine pour ces animaux. L’équipe de chercheurs se réjouit d’avoir pu mener cette expérience, les chances qu’une autre occasion comme celle-ci se représente sont en effet quasi-inexistantes, à l’heure où les plans de relance mettent en place un trop rapide retour à la normale… Raison de plus pour quitter l’ère fossile, et ses moteurs à explosion, le plus rapidement possible ?

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