Artiste et photographe britannique, Jason deCaires Taylor est probablement moins connu que ses œuvres spectaculaires, qui ont fait le tour du monde et de dizaines de « top » ceci et « top » cela : des musées sous-marins de sculptures destinées à favoriser la repousse des coraux. Un premier vit le jour d’abord sur l’île caribéenne de la Grenade, avant qu’ouvre un second musée sous-marin, près de Cancún (Mexique). Moment découverte.
Le destin de Jason deCaires Taylor a ceci d’une leçon qu’il démontre que l’incohérence d’un parcours de vie hors-norme, non linéaire, peut finir par révéler une cohérence insoupçonnée, même tardivement ; qu’une somme de passions et d’expériences éparses peut trouver tôt ou tard son unité. Enfant, c’est en Malaisie qu’il grandit auprès de ses parents, expatriés. Il s’enamoure alors de la mer, des coraux, de la faune marine. Quelques années plus tard, la famille retourne en Angleterre. D’autres auraient déprimé sous le ciel gris britannique ; mais son imaginaire poétique trouve là d’autres lieux où s’épancher : « des carrières de calcaire désaffectées, d’anciennes usines à papier et une ligne ferroviaire à l’abandon ». Il commence à pratiquer le graff, forme d’art souvent de caractère éphémère, qu’immortalise la photographie. Tout cet arrière-plan biographique l’amène à des études d’art, dont il sort diplômé en 1998 (céramique et sculpture) avec les honneurs.
D’un travail à l’autre, il est tantôt paparazzo, tantôt concepteur de décors ; au hasard de ses voyages, où il cultive sa passion pour la mer en tant qu’instructeur de plongée, il atterrit à la Grenade, île située au cœur des Caraïbes, où il crée son centre de plongée. Mais pour lui, c’est une étape autrement décisive : ou bien il parvient à devenir artiste véritablement, ou bien il continuera à concevoir son art comme un passe-temps. Bien heureusement pour lui, il a une révélation : « la relation entre l’art et l’océan était un domaine inexploré. J’ai vite réalisé que ma passion n’était pas l’enseignement de la plongée, mais la création d’un art qui serait propice à la vie marine ». Mobilisant ses contacts, il parvient bientôt à la création d’un premier musée sous-marin, voué à accueillir les coraux et aider à leur repousse. Il faut dire que la zone caribéenne est particulièrement exposée à des dégâts environnementaux : d’une part, à cause des ouragans qui frappent régulièrement (c’était le cas notamment des ouragans Ivan en 2004 et Emily en 2005) ; d’autre part, à cause du tourisme de masse dont divers points de la région caraïbe sont symptomatiques (République dominicaine, Antilles, cayos de Bélize, îles honduriennes, Bahamas, etc.)
L’initiative, originale, rencontre le succès… et amène quelques années plus tard l’ouverture d’un second parc de sculptures sous-marin, cette fois près de Cancún (Mexique).
L’ensemble de ces œuvres forme le projet artistique « The Silent Evolution », dont le nom résume le caractère évolutif de ces sculptures, vouées à s’effacer peu à peu sous le développement croissant des coraux auxquels elles servent de point d’appui, en raison de leur pH neutre. Pas de pollution possible ici, à l’image de ces vieux métros New-yorkais jetés à l’eau après désaffectation. Un projet étonnant, donc, à la confluence de l’art et de l’écologie – on pourrait tout à fait parler de Land Art, si ces œuvres étaient basées sur le sol, en raison de l’interaction entre le milieu naturel et la création humaine.
Aux dernières nouvelles, c’est à Lanzarote, aux Canaries, que Jason deCaires Taylor travaillait pour le lancement en 2015 d’un troisième musée sous-marin, le Museo Atlàntico. Sans plus attendre, voici son art exprimé par l’image.
Le parc de sculptures de la baie de Molinere (la Grenade)
« (…) il est aisé de se laisser à un désespoir total et à un pessimisme extrême. J’essaie donc d’équilibrer ces sentiments avec des métaphores d’espoir. »
« La forme humaine est si ancrée dans notre psyché que même la plus petite référence à notre anatomie nous donne une impression de l’entièreté du corps, même lorsqu’il a été complètement recouvert par la vie marine et a changé à travers le temps. »
« Mon art consiste à ouvrir une porte sur cet espace, en décrivant l’expérience de l’immersion sous l’eau à ceux qui n’y ont pas accès, avec l’objectif plus vaste de tenter de le sauver. »
« Je veux simplement montrer combien nous sommes petits et insignifiants selon la grande échelle des choses et mettre en lumière que cette faune et cette flore qui reprennent leurs droits peuvent être l’un des plus beaux événements naturels. »
[Les photos de Jason deCaires Taylor sont publiées ici avec son autorisation et les citations ci-dessous reproduites d’icelui, sont issues de deux interviews : « Des musées écologiques au fond de la mer : l’art singulier de Jason deCaires Taylor », sur le Comptoir.org et « « Un art propice à la vie marine » : les musées sous-marins de Jason deCaires Taylor », sur Voyageurs-du-Net.com.]
Musée sous-marin de Cancún (Mexique)
« (…) je vivais sur l’île, où je travaillais comme moniteur de plongée. J’ai commencé à me sentir très désillusionné quant à l’industrie du tourisme et l’effet négatif qu’elle avait sur l’environnement. C’était un endroit suffisamment petit et j’ai commencé à me faire des contacts. J’ai décidé de me donner un an pour être artiste et c’est là que tout a démarré. »
« Je suis inquiet au sujet du musée au Mexique, car il a été initié pour aider à détourner la grande masse de touristes des récifs naturels. Quoi qu’il en soit, si cela résulte en une augmentation générale du nombre de visiteurs dans la zone, je ne suis pas sûr que cela ait réussi. Certainement, sur un plan économique, y a-t-il des avantages, mais Cancún, par exemple, a de très faibles capacité de traitement des eaux, ce qui a conduit à la pénétration des eaux usées dans les zones de mangrove, avec des effets dévastateurs sur le système corallien, sculptures incluses. »