Depuis qu’il a été élu en 2017, Emmanuel Macron, ne cesse de nous seriner avec la nécessité de revoir notre système de retraite. Alors qu’il avait d’abord promis de ne pas toucher à l’âge de départ, il a finalement opté pour un report à 64 ans…

Pour faire avaler la pilule aux Français qui sont massivement contre cette réforme, le chef de l’État et ses soutiens n’hésitent pas à utiliser toute une série d’arguments fallacieux, largement relayés par les médias de grande écoute. Passage en revue.

#1 : « La réforme est nécessaire pour sauver notre système »

C’est probablement l’argument numéro un du gouvernement. Si nous n’agissons pas très rapidement, le système risquerait de s’effondrer, rongé par un déficit structurel. Le problème pour la macronie, c’est que cette affirmation est totalement contredite par le récent rapport du conseil d’orientation des retraites (COR).

Pour les deux dernières années, le régime était d’ailleurs excédentaire, même si l’on doit sans doute ce phénomène aux évènements liés au covid-19. Toujours selon le COR, nous pourrions connaître un léger déficit entre -0,5 et -0,8 % point de PIB jusqu’en 2032. Puis à partir de cette date, ces pertes se résorberaient naturellement d’elles-mêmes à l’horizon de 2070. Il faut, en plus, prendre ce potentiel déficit avec des pincettes comme l’explique l’économiste Michaël Zemmour à Alternatives Économiques :

« Tenu de suivre les hypothèses démesurément optimistes du gouvernement sur le chômage et la croissance jusqu’en 2027, le COR, pour retomber sur ses pieds à long terme, s’appuie sur un scénario de croissance impossible à moyen terme. Cela conduit à des résultats ininterprétables pour la période 2027-2037. Un des effets induits est d’aggraver artificiellement les prévisions de dépenses et de déficit sur la période 2027-2037. »

On est, par conséquent, sur une trajectoire économique plus que gérable et très loin du catastrophisme insufflé par l’exécutif. Le COR assure d’ailleurs qu’en conservant ce modèle, et dans la pire des projections, la part du budget lié aux retraites représenterait au maximum 14,7 % du PIB, soit la même proportion qu’en ce moment. Le système actuel est donc parfaitement pérenne et soutenable.

#2 : « Macron a été élu pour faire cette réforme »

Certes, Emmanuel Macron avait annoncé le report de l’âge de la retraite dans sa campagne présidentielle de 2022. Il s’agissait même de l’un des rares éléments de son programme qu’il avait daigné dévoiler. Et peu importe s’il revenait ainsi sur ses propos de 2016 où il considérait le report de l’âge légal comme une hérésie.

Mais comme Emmanuel Macron a été élu, certains considèrent que cela suffit pour lui donner toute légitimité à appliquer ce projet. Le ministre de l’Économie Bruno Lemaire déclarait d’ailleurs à l’assemblée : « Cette réforme a été promise par le président de la République lors de sa campagne présidentielle ; elle fait donc partie du mandat qui a été confié par le peuple français au président de la République et à cette majorité ».

Pourtant, il faut rappeler que sur les 51,26 millions de Français ayant le droit de vote, seuls 18,76 millions ont opté pour un bulletin Macron au deuxième tour des présidentielles, soit environ 36,6 % de la population en âge de choisir. Par ailleurs, selon une enquête, près de 42 % des 18,76 millions de participants ont pris cette décision avant tout pour faire barrage à Marine Le Pen.

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Si l’on se fie à ce sondage, ce serait donc à peine 10,96 millions de Français qui auraient sélectionné Emmanuel Macron par conviction, soit 21,38 % des citoyens de notre pays. On constate ici une très maigre base sur laquelle s’appuyer pour affirmer sa légitimité, d’autant que les partisans du président sont minoritaires à l’assemblée.

Pour obtenir une assise démocratique sur une telle mesure, il conviendrait de convoquer un référendum sur la question. Peu de chances que le gouvernement franchisse le pas, surtout lorsque les enquêtes démontrent qu’une large majorité s’oppose au projet. Selon un sondage de Politis, 68% des Français souhaiteraient même un départ à l’âge de 60 ans. À l’inverse, on se dirige plutôt vers une énième utilisation de l’article 49.3 de la constitution.

#3 : « On vit plus longtemps, donc doit travailler plus longtemps »

À première vue, cet argument peut paraître logique. Pour autant, il masque un certain nombre de réalités. D’abord, il faut noter que l’âge moyen du décès augmente de plus en plus lentement. Ensuite, l’espérance de vie en bonne santé se situe, elle, sous la barre des 64 ans.

Ce que préconise le gouvernement revient donc à faire travailler des personnes en dépit de leur santé. Or, en tirant sur la corde, on sait déjà qu’elle risque de finir par rompre. On peut aussi supposer que cette mesure pourrait faire partie des facteurs accélérant le processus. 

Par ailleurs, cet argument s’appuie sur des moyennes, oubliant qu’existent de terribles inégalités, en particulier en défaveur des plus précaires et des salariés effectuant des emplois pénibles.

Selon l’INSEE, les 5 % d’hommes les plus riches ont ainsi treize ans d’espérance de vie de plus que leurs homologues les plus pauvres. Chez les femmes, cet écart est quant à lui de huit années.

On retrouve aussi un contraste selon les métiers puisqu’un cadre supérieur échappe à la mort en moyenne trois ans de plus qu’un ouvrier ; pour la gent féminine, la différence grimpe à quatre ans. Repousser le départ à la retraite, c’est donc du temps en moins pour profiter de l’existence, de sa famille ou animer des associations, surtout si l’on ne se trouve pas dans la bonne catégorie socioprofessionnelle.

En voulant laisser les individus à la tâche plus longuement, on s’expose alors à de plus en plus d’arrêts maladie ou d’invalidités, qui ne sont souhaitables ni pour les employés, ni pour les employeurs. En plus de dégrader la vie des gens, c’est aussi un coût économique supplémentaire pour notre système de santé. Par ailleurs, plus la personne est âgée et plus un potentiel accident du travail risque d’entraîner une incapacité permanente et des souffrances qu’elle devra traîner jusqu’à la mort.

#4 : « Ce sera un bénéfice pour l’emploi »

La palme de l’argument le plus orwellien reviendrait sans doute à celui-ci. Complètement aveuglé par son dogme néolibéral, le gouvernement estime que reculer l’âge de départ à la retraite va inévitablement provoquer de la croissance et donc générer de l’emploi. Bruno Lemaire, encore lui, promet d’ailleurs le « plein emploi » d’ici 2027. Et peu importe si les jours d’un système basé sur la croissance sont comptés.

Pourtant, les seniors qui resteront en activité ne libéreront pas leur place pour les plus jeunes qui arriveront sur le marché du travail. Il y aura donc plus de concurrents sans forcément plus de postes.

Il faut également souligner que les plus anciens ne réussiront peut-être tout simplement pas à conserver un emploi jusqu’à 64 ans. En 2021, 16 % des individus de 62 ans n’étaient d’ailleurs ni salariés, ni à la retraite. Près de 40 % des Français connaissent au moins un an d’inactivité (chômage, invalidité, arrêt maladie) entre ses 50 ans et la retraite. C’est plutôt logique : vieillir est souvent associé à une perte d’efficacité dont ne raffolent pas les employeurs…

Nul doute que repousser encore l’âge du départ ne fera qu’augmenter ces périodes de précarité pour beaucoup de seniors. Même sur le plan économique (si cher à notre président), c’est aussi une mauvaise opération puisqu’il faudra payer des minima sociaux et des frais de santé supplémentaires à des personnes dont la situation se dégradera.

Alors qu’il y a toujours plus de 5,8 millions de demandeurs d’emploi en France, il apparaît donc complètement aberrant d’ajouter de nouveaux concurrents aux chômeurs et notamment aux jeunes ; la logique aurait plutôt voulu un abaissement du seuil du départ pour partager le temps de travail.

#5 : « Nous devons faire des économies pour d’autres réformes »

Dans la série des justifications tirées par les cheveux, celle-ci est aussi en très bonne place. D’abord parce qu’elle est complètement contradictoire avec l’annonce sur le déficit. On ne peut pas nous dire d’un côté que cette réforme servira à « sauver le système » et de l’autre qu’elle permettra de financer des secteurs supplémentaires.

Ensuite, il faut bien admettre que le raisonnement est totalement absurde et relève une nouvelle fois du dogme. Derrière cette volonté de déshabiller Pierre pour habiller Paul, se cache en réalité une détermination absolue à protéger les plus riches.

Car, si Emmanuel Macron voulait réellement améliorer d’autres domaines, il n’aurait qu’à augmenter le budget de l’État, notamment en taxant les plus fortunés qui font exploser leurs profits d’année en année.

Mais une nouvelle fois, le fondateur de Renaissance a choisi de s’en prendre aux plus faibles pour épargner ceux qui l’ont propulsé au pouvoir et qui, comme le Medef, saluent d’ailleurs ouvertement cette décision. Il est vrai que pour les plus aisés, il apparaît plus simple d’accepter une retraite à 64 ans puisque leurs moyens financiers leur permettront d’arrêter avant s’ils le souhaitent. En outre, leur activité professionnelle est souvent bien moins pénible physiquement que celle des classes populaires.

Pour autant, la partie n’est pas encore gagnée pour le chef de l’État. Il devra faire face à plusieurs obstacles de taille pour arriver à ses fins. D’abord à l’assemblée où l’opposition pourrait lui faire barrage, mais aussi, et surtout, dans la rue ou le murmure d’une nouvelle révolte d’ampleur commence à gronder. Dans ce contexte, une vague de grèves et de manifestations pourrait bientôt déferler sur le pays. Un rassemblement étant déjà prévu ce 19 janvier prochain, qui ne « fait pas peur » à Olivier Veran, porte-parole du gouvernement.

– Simon Verdière


Image de couverture @Nikaule/Flickr

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