Depuis 2012, d’Amérique en Asie, Julia et André parcourent le monde. Pas pour le tourisme, mais pour un vaste travail d’intérêt public, auprès des personnels soignants des divers pays visités. En fil rouge, la volonté de « sanctuariser la relation soignant-patient » et sensibiliser aux conditions de travail souvent difficiles des soignants, garantissant la qualité des soins et le respect du patient. Alors qu’ils viennent de partir pour l’Asie, ils invitent les étudiants des métiers de la santé à adresser leurs questions en vidéo auxquelles répondront des médecins des pays parcourus. Pour solidifier leur projet, ils lancent aussi une campagne de financement participatif.

Affligé de migraines intenses, qui exigent, en moyenne, quatre hospitalisations par an, André Simonnet a maintes fois constaté le rapport froid et technique qu’il peut exister entre les médecins vis-à-vis des patients. Lorsque, un jour, un médecin lui pose la main sur l’épaule et lui dit avec bienfaisance « Ça va bien se passer », il se dit « Ce médecin doit être heureux ». Cette observation devient une interrogation sur les conditions de travail des personnels soignants, qui mûrit en un projet.

L’aventure commence en 2012, lorsque André et sa compagne, Julia Gudefin, commencent leurs recherches sur le sujet. Voulant explorer des situations très différentes, ils rencontrent des médecins dans les environs de Lyon, de Bhopal et New Delhi (Inde), ainsi qu’à Kaboul (Afghanistan, un pays dont l’excellence des chirurgiens est reconnue). Ces deux derniers pays présentent des contextes (post-catastrophe, dans le cas de Bhopal ; guerre, dans le cas afghan) qui offrent un autre éclairage relatif aux problématiques auxquelles sont confrontés les soignants.

Ni l’un ni l’autre n’étaient a priori destinés à trouver leur voie dans le champ de la santé : lui a suivi des études d’ingénieur, puis de documentariste ; quant à elle, elle est alors doctorante en droit de l’environnement et a enseigné à Lyon, Reims, en Arménie et en Égypte. Mais depuis cette première étape, le projet a pris une place croissante dans leur vie. Le temps pour Julia de finir son doctorat et, pour tous les deux, d’affiner le projet et réunir des fonds pour le poursuivre et, en 2016, les voilà repartis, cette fois en Amérique du Sud, où ils rencontrent même l’ancien président de l’Uruguay, José « Pepe » Mujica. Le projet prend forme d’une grande enquête internationale sur la relation entre patient et soignant. En 2017, ils se rendent en Suisse, en France, en Belgique, en Allemagne, à Cuba, en Jordanie, en Iran, aux Émirats Arabes Unis… Et l’année 2018 ne sera pas moins remplie, avec la Birmanie, la Thaïlande, Hong-Kong, la Chine, la Mongolie et la Russie au programme. Mais pour faire quoi, au juste ?

« L’empathie protège-t-elle le soignant ? »

« Nous avons vécu la relation soignant/patient et elle nous a interrogés : pourquoi reproche-t-on à tant de soignants un manque d’écoute? Un manque d’attention? Un retard? Et pourquoi tant de soignants reprochent-ils aux patients une certaine agressivité et un manque de compréhension? », interrogent André et Julia. Pour eux, « ce n’est pas dans les statistiques ou les sondages que nous essayons de trouver des réponses. Mais dans l’Homme, l’homme et la femme derrière leur blouse blanche. » Ceci à l’encontre de l’approche comptable devenue la norme et qui, entre austérité budgétaire et techniques managériales dans la fonction publique, explique pourquoi 60% des personnels médicaux sont sujets au burn-out durant leur carrière, certains allant même jusqu’au suicide. De fait, c’est dans les professions de la santé que l’on trouve les plus hauts taux de suicide.

« Sans protection, la relation soignant-patient a été reléguée au second plan, laissant une place dominante à d’autres éléments : la rentabilité des soins, la déshumanisation de l’acte médical, l’hyper-technification des pratiques médicales, les démarches administratives toujours plus nombreuses, une montagne d’heures supplémentaires, une pression toujours plus élevée sur les praticiens justifiée par une vision court-termiste de l’économie de la santé. Avec autant de pression, comment rester un acteur ‘positif’ dans une relation ? », interrogent et constatent André et Julia, dans la vidéo de présentation du projet.

Depuis ce mot bienveillant que lui avait dit le médecin en lui touchant l’épaule, André a acquis la conviction que l’empathie protège le soignant. Et cette conviction aiguillonne le travail qu’il conduit avec Julia, pédagogique et militant : les soignants doivent être formés à la relation avec le patient (ce qui n’est, selon eux, pas mis en avant dans le cursus) et les conditions nécessaires à la qualité de soin et d’écoute doivent être garanties, en favorisant le bien-être des soignants. Une formule résume cet effort : « sanctuariser la relation traitant-patient ».

S’il comporte un caractère informatif pour le grand public, le travail d’André et Julia a surtout vocation à apporter des réponses à des problèmes propres au monde médical. Des problèmes dont ils ont réalisé qu’ils étaient les mêmes partout dans le monde.

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https://www.youtube.com/watch?v=jzWFuM1qs-A

De ces rencontres, ils ont tiré plusieurs mini-documentaires thématiques intégralement traduits en neuf langues, qui fournissent la matière première d’un programme de conférences-débats, afin de former les futurs (et actuels) soignants : les conditions de travail ; le mal-être, la dépression, le burn-out, le suicide ; la mort du patient ; l’empathie, le juste équilibre ; de l’idéalisation au cynisme ; les expériences marquantes ; la formation médicale. Leur projet porte le nom évocateur de « Hippocrates Conferences ».

Appel à participation

Afin de pérenniser le projet et afin de le renforcer, André et Julia lancent un double appel. D’une part, pour contribuer à un échange transnational entre étudiants et professionnels de santé, ils invitent les étudiants des métiers de la santé à se filmer et à envoyer leurs questionnements en vidéo. Celles-ci seront ensuite présentées aux professionnels d’autres pays et pourront servir de support lors des conférences.

D’autre part, ils viennent de lancer une campagne de financement participatif, destinée à fournir les moyens logistiques pour l’accomplissement de ce projet d’intérêt public. Pour les soutenir, rendez-vous sur leur site.

Mikaël Faujour


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Site The Hippocrates Conferences : TheHippocratesConferences.com

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