Tandis que le progrès technique se développe de jour en jour, l’appétit pour l’immédiateté touche un nombre croissant de personnes. Et ce désir de satisfaction instantanée s’insinue dans toutes les strates de la société, que ce soit dans les biens, les services, l’information ou même les relations humaines.

Ce « tout, tout de suite » engendre une impatience chronique et une frustration certaine. Devenue un véritable luxe, elle renforce les inégalités et l’individualisme, et nuit sans aucun doute au vivre ensemble. Pire, elle est un moteur puissant pour le capitalisme carnassier, qui nécessite une croissance continuelle et mortifère, incompatible avec l’existence de la vie sur Terre à long terme.

Roger J. Hamilton lors de la cérémonie de clôture de la Bourse de New York pour Genius Group (NYSE American : GNS). 23 mai 2022, New York, États-Unis. Wikimedia

Le contrecoup du progrès technique

Le progrès technique a sans aucun doute apporté d’immenses bénéfices aux êtres humains, que ce soit dans les domaines scientifiques, sanitaires ou dans le soulagement de la charge de travail. Et pourtant, ce qui aurait dû servir le bien commun, a souvent été détourné pour approvisionner la machine au profit du capitalisme.

Dans ce cadre, les technologies auraient, par exemple, tout à fait pu permettre à notre espèce de diminuer drastiquement le temps à la tâche de chacun·e, en conservant un rendement identique. Mais malheureusement, la recherche du profit a entraîné une hausse continue de la production pour soutenir une politique de l’offre.

Un besoin artificiel, mais addictif

Dans les faits, c’est donc bien le marché qui s’est mis à vendre l’immédiateté comme un luxe auquel chacun·e devrait aspirer. Pourquoi patienter quatre jours pour recevoir un colis par la Poste lorsqu’il est possible de l’obtenir en 24h sur Amazon avec une offre premium ?

Pourquoi attendre qu’un téléchargement se fasse en dix minutes, alors qu’il est possible de l’avoir en trente secondes avec une nouvelle proposition de fibre ou de 5G ? Inutile de prendre le temps d’analyser une nouvelle tandis que la poussière retombe : il existe l’information en continu, qui exprime tout, tout de suite ! Pour quelle raison se cantonner près de chez soi quand il est possible de choisir un aller-retour à l’autre bout du monde en 3 clics et s’y rendre en seulement quelques heures d’avion ?

Photo de Simon Bak sur Unsplash

Une liste d’envie sur mesure

De même, pourquoi conserver un objet dans le temps, alors qu’il est possible de le jeter pour en racheter un autre encore plus cher et bien plus performant, beau ou à la mode ? Pourquoi attendre des années qu’une production artistique (livre, séries, films, etc.) se construise quand il est possible d’en consommer à la chaîne sur des plateformes en streaming ? Pourquoi prendre le temps de mitonner un bon petit repas, à l’heure des fast foods ?

Quel intérêt, d’ailleurs, de cuisiner s’il est possible de se faire livrer à la maison et gagner de précieuses minutes que chacun·e peut, à son tour, consacrer à alimenter cette machine infernale ?

Inutile non plus d’économiser sur le long terme s’il existe des emprunts instantanés qui permettront d’acheter tout de suite des biens beaucoup trop chers. Sus au temps de la réflexion ou de l’analyse alors que des influenceur·euses, journalistes ou intelligences artificielles sont capables de penser à votre place. Un reel de vingt secondes vaut d’ailleurs bien une bonne vidéo d’explications d’une heure et demie.

Jusqu’au plus profond des psychés

Ces désirs s’insinuent même jusque dans la propre santé et les relations sociales des individus. Les applications de rencontre ont transformé les êtres humains en véritables produits de consommation, les supports virtuels ont remplacé les contacts physiques, les personnes sont elles aussi entrées dans l’ère du jetable.

Chacun·e attend qu’un message en ligne obtienne une réponse instantanée, comme si personne n’avait d’existence en dehors de soi-même. L’autre doit correspondre à l’image de perfection que l’on s’est imaginée, sans même prendre le temps de le connaître ou de construire quelque chose.

Sa propre enveloppe charnelle est elle aussi devenue une matière à satisfaire dans la seconde. Cette société vend à la population des régimes ou des programmes pour un ventre plat, ou même de la chirurgie esthétique, pour oublier qu’un corps ne peut se transformer immédiatement, comme pour s’affranchir soi-même de ses propres limites.

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La société de la réaction

D’un point de vue politique, les pays qui s’inscrivent dans le modèle occidental se bâtissent sur ce même modèle court-termiste. Les actions ne sont plus que des réactions à des évènements immédiats et le temps de la planification sur des périodes longues paraissent avoir complètement disparu.

Un sondage ou un accident semble avoir plus d’effet sur nous que des alertes sur le futur de la part de scientifiques, comme c’est par exemple le cas pour la catastrophe environnementale qui se construit chaque jour devant nous.

Des travailleur·euses pressé·es comme des citrons

Seulement, cette société du « tout, tout de suite » cache de nombreuses retombées néfastes, en premier lieu pour les travailleur·euses. De fait, cette logique d’instantanéité et de productivité a pour conséquence d’exercer une pression constante sur les salarié·es qui doivent répondre à des exigences toujours plus grandes de la part des consommateur·ices, que ce soit dans les secteurs de l’alimentation, du divertissement, du transport, du numérique, de l’information ou de la culture.

Et ce mode de fonctionnement n’a bien sûr pas d’effet positif sur l’ensemble de la société, affectant la santé mentale et physique des personnes et augmentant la frustration des un·es pour le contentement des autres.

Le temps au pouvoir économique

Car, dans ce contexte, la capacité à profiter de l’instantanéité, mais aussi du temps long, appartient aux plus aisés. Celles et ceux qui sont frustré·es et étouffé·es par le travail d’un côté, sont alors au service de celles et ceux qui peuvent se payer des livraisons rapides, des offres premium, des voyages en avion, etc. En outre, en aspirant à toujours plus de promptitude, sans avoir les moyens financiers, les plus pauvres sont donc souvent obligés de sacrifier la qualité.

Par là, c’est la société en tant que collectif qui se trouve fracturée une nouvelle fois par des inégalités croissantes. Et le tout est sans aucun doute amplifié par la montée de l’individualisme et de l’instant présent favorisé par cette construction.

La perte du temps long : obstacle à l’émancipation collective

Cette structure qui favorise la vision à court terme et qui pousse à l’individualisme est aussi un parfait outil du capitalisme pour enrailler toute possibilité de constructions de luttes et d’organisations sociales qui réclament un temps long que les gens, en particulier les plus pauvres, n’ont plus.

Pendant ce temps, les politiques publiques, ancrées dans des cycles électoraux et dictées par des sondages, semblent incapables de penser sur la durée, ce qui apparaît pourtant de plus en plus indispensable dans bon nombre de domaines.

La planète à l’agonie

Et parmi les conséquences les plus graves de cette vision du monde, on pense sans aucun doute à la catastrophe écologique. Le consumérisme, favorisé par le « tout, tout de suite », appelle ainsi à acheter et jeter à une vitesse si absurde que la planète ne pourra bientôt plus l’encaisser, que ce soit au niveau de la pollution, des déchets, mais aussi du climat.

Cette logique de profits et de croissance permanente du travail et de la production demande, en effet, une consommation d’énergie et de ressources qui fait exploser les émissions de gaz à effet de serre et qui ruine à la fois les sols et la biodiversité. Autant de facteurs qui finiront sans aucun doute par être fatals à l’espèce humaine si une bifurcation n’est pas organisée très rapidement.

Éloge de la lenteur

En fin de compte, la résistance à l’addiction et à l’immédiateté paraît plus qu’indispensable à plusieurs titres. Et pour ce faire, la valorisation de la lenteur représente une clef importante pour se reconnecter avec le poids du temps en donnant du sens à la réflexion, l’apprentissage, la patience ou l’organisation collective.

Autant d’efforts nécessaires pour pouvoir réduire notre temps de travail, diminuer les inégalités, et s’offrir un rythme de vie tenable avec un véritable droit au repos. Dans cette optique, il serait alors possible de rebâtir une société basée sur plus de solidarité et qui privilégierait la justice sociale, la qualité de l’existence, la survie de l’espèce humaine et la soutenabilité à la gratification instantanée. Et c’est peut-être là que se trouve le vrai luxe.

Simon Verdière


Source image d’en-tête : ©Unsplash

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