Plébiscitée par quelques politologues et chercheurs restés marginaux dans le débat public ainsi que par des militants engagés et écologistes radicaux, la décroissance volontaire apparaît à plus d’un titre être la seule option raisonnable si notre civilisation veut éviter le chemin de la barbarie. Une politique de la dernière chance pourtant vilipendée sans ménagement par une intelligentzia dominante qui croit encore en une sortie de crise grâce aux marchés. Édito de la rédaction.

Des assurances dont les dépenses explosent, le retour du spectre de la crise économique, un taux de chômage en hausse dans de nombreux pays, des perspectives moroses en ce qui concerne l’extraction de pétrole. Les sentinelles de l’économie et des ressources ne trompent pas : l’économie mondiale entre dans une période agitée, sans compter la dégradation généralisée des écosystèmes et le changement climatique, deux phénomènes dont les êtres humains sont responsables et qui participent à fragiliser les sociétés. On doit l’admettre. Le tableau n’a rien de réjouissant et implique des actions drastiques et radicales pour limiter les dégâts.

De la décroissance volontaire

Nous nous garderons bien de dire que la prochaine crise économique pourrait balayer le monde tel que nous le connaissons en un rien de temps. En revanche, on peut raisonnablement s’attendre à ce que, pendant les prochaines décennies, le développement des sociétés humaines soit marqué par une régression des conditions de vie et une recrudescence des conflits autour de l’enjeu des ressources. Dans un contexte où ces ressources viennent à manquer, et où l’humanité continue de nier ses responsabilités dans la crise, l’adaptation des humains se fera sous la contrainte, générant possiblement des tensions sociales et géopolitiques fortes ainsi que des frustrations individuelles et collectives au potentiel explosif.

Ainsi, si notre société n’accepte pas de vivre volontairement avec moins afin de s’adapter aux limites physiques de notre planète, elle risque de s’effondrer non seulement en emportant avec elle tout ce que l’humanité a conçu jusqu’à ce jour, mais surtout dans un climat où les droits humains ne seront la source d’aucune considération. Et c’est en ceci que l’urgence climatique et écologique rejoint les courants humanistes, dans une démarche d’anticipation des risques, mais également pour limiter des souffrances déjà bien actuelles.

Dans ce contexte, la décroissance, pensée économique et politique popularisée à la fin des années 1970 sur la base du rapport Meadows, importée en France par Serge Latouche et Paul Ariès, est le seul programme de société qui prenne en compte la finitude de notre monde. Le projet permet non seulement d’envisager collectivement de réduire de manière volontaire l’emprise de nos économies sur l’environnement, mais aussi d’éviter le piège du mirage technologique, qu’il soit transhumaniste ou fasse miroiter la possibilité de maintenir la production énergétique actuelle par l’intermédiaire du progrès scientifique sans questionner la doctrine de la Croissance.

L’idée est d’encourager une évolution économique qui consisterait à renoncer à la croissance perpétuelle des entreprises et à l’accumulation sans fin des biens pour ne conserver que l’essentiel. En d’autres termes, il s’agit de délaisser les indicateurs comme le PIB et d’accepter tous, chacun à son échelle, de vivre avec moins. On peut espérer qu’un tel programme puisse permettre de limiter graduellement notre incidence sur l’environnement – tout en gardant en tête que nos sociétés sont d’ores et déjà contraintes à l’adaptation face au changement climatique – et en essayant de réduire les inégalités sociales, non pas en faisant la fausse promesse du « plus pour tous » (mirage politique confortable et populiste), ce qui est absolument impossible en situation de contrainte énergétique, mais en tentant de répartir mieux le gâteau.

Si nos sociétés n’intègrent pas d’elles-mêmes la finitude des ressources, cette dernière s’imposera de manière forcée à nous, dans un climat délétère exacerbé par les inégalités ou le glissement vers des États totalitaires.


La violence : conséquence de l’échec collectif, pas une solution !

Dans ce contexte fragile, certains militants suggèrent la destruction matérielle pour lutter contre les institutions responsables. L’idée de tenter de « démanteler la civilisation » volontairement, par tous les moyens qui sont à notre disposition et en particulier le sabotage, comme l’appellent de leurs vœux certains réseaux radicalisés, se popularise, transportant avec lui le risque d’une dérive destructrice. La proposition et sa mise en œuvre sont-elles vraiment de nature à pouvoir répondre à grande échelle aux problématiques que la population mondiale doit affronter aujourd’hui ? Nous ne le croyons pas. Entendons-nous bien : les personnes qui résistent dans les ZAD ou via la désobéissance civile à l’établissement de nouveaux projets climaticides – aéroports, centres commerciaux, mines de charbon – sont de véritables héros en phase avec les problématiques de leur temps. Et jamais ceux-ci n’ont mis en péril la vie d’autrui. En déduire que le sabotage de l’existant et la destruction matérielle seraient une issue de secours est un raccourci dangereux. La désobéissance civile et l’action directe non-violentes ne peuvent être confondues avec les volontés destructrices d’une minorité radicalisée.

S’attaquer aux structures économiques – en détruisant par exemple des lignes de train ou en s’en prenant matériellement à une entreprise – va non seulement provoquer un rejet populaire (parmi lesquels comptent non seulement les chefs d’entreprise, mais aussi tous ceux dont le quotidien dépend de ces entreprises, c’est-à-dire une majorité de travailleurs doublement victimes), mais en plus cliver davantage la société là où l’essentiel est pourtant de rassembler. Enfin, une telle doctrine de l’écologie radicale « violente » va nécessairement galvaniser une opposition générale contre l’ensemble des mouvements écologistes. Mouvements qui, déjà, ne manquent jamais d’être vilipendés par les gardiens de l’économie triomphante. Enfin, de telles attaques pourraient justifier d’accélérer un processus sécuritaire déjà en cours, la centralisation du pouvoir au profit d’un gouvernement et au mépris des libertés individuelles et collectives.

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Ne l’oublions pas : jusqu’à présent, tous les mouvements sociaux dont les valeurs ont fait consensus au point de transformer les institutions collectives se sont battus pour obtenir plus de droits, gagner en liberté, s’affranchir de l’oppression. Autrement dit, des aspirations qui ne contraignaient en rien la majorité. En dépit de toutes les critiques légitimes que l’on peut émettre à l’égard du capitalisme et du productivisme, le combat pour la défense de l’environnement est peut-être d’une autre nature : notre civilisation va devoir accepter de vivre avec moins. Tous les membres qui composent la société vont devoir apprendre à vivre mieux avec moins. Malheureusement, pour beaucoup d’individus aujourd’hui (nombre d’écologistes inclus), vivre avec moins signifie s’en prendre à leur liberté, la liberté de se déplacer, d’acheter, de travailler ou d’avoir accès aux technologies de pointe de la médecine pour se soigner. En d’autres termes : la seule solution écologique efficace est profondément impopulaire par nature, car elle nous oblige tous à affronter la réalité sans trouver un coupable idéal. On peut éventuellement le regretter, mais il serait hasardeux de ne pas le prendre en compte dans ses luttes.

S’associer pour agir sur les structures

Alors oui, nous avons un problème structurel, dont le point d’articulation est d’une part la complexité sociale, économique et politique des sociétés humaines et d’autre part la stricte dépendance des individus au monde dans lequel ils vivent. Par une décroissance volontaire, individuelle, locale et collective, nous pouvons envisager un changement systémique au niveau politique, c’est-à-dire au niveau de nos institutions. C’est à cette condition que peut s’enraciner une évolution qui peut transcender les aspirations individuelles et les « contradictions personnelles » inévitables. Avec ce préalable, aussi pénible soit-il, nous pourrions nous projeter vers un changement culturel afin de redéfinir une nouvelle « normalité » pour une société dont le développement se ferait en adéquation avec les limites matérielles de ce monde et la contrainte énergétique. Osons-nous investir collectivement, redéfinir le projet collectif, repenser la démocratie, nous associer avec toutes et tous pour agir sur les structures. Nous ne le nions pas, la marge de manœuvre sera particulièrement étroite.


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