Si les contaminations au coronavirus diminuent en Europe, laissant le gros de la crise derrière nous pour le moment, il n’en est pas de même au Brésil où l’épidémie atteint son pic avec plus de 50 000 morts à ce jour. Et parmi les victimes potentielles, les centaines de tribus indigènes du pays forment une population particulièrement sensible. Rosa Gauditano, une photographe, journaliste et militante qui documente la vie des peuples indigènes brésiliens depuis plus de trente ans, nous livre un compte-rendu dramatique de la situation sur le terrain.
Il y a actuellement 305 tribus indigènes au Brésil composées d’environ 900 000 personnes qui parlent 274 langues différentes. La pandémie du covid-19 a déjà atteint 111 peuples indigènes, selon l’Association des peuples indigènes du Brésil (APIB). Jusqu’au 22 juin, 7704 personnes on été infectées et 346 sont mortes dans les différentes tribus. À l’échelle du pays, un million de personnes sont infectées pour plus de 50 000 décès.
Actuellement, l’épicentre de l’épidémie est dans la région de l’Amazonie, où 104 professionnels de santé indigènes ont été contaminés par le covid-19, dont 76 dans les terres indigènes Yanomami et 28 dans l’état d’Amazonie. Dans la seule tribu Kokama, sur le fleuve Alto Solimões, 50 personnes sont mortes. Dans l’état de Roraima après la mort d’un Indien Yanomami en avril, l’association Hutukara Yanomami a décidé qu’ils devraient se déplacer plus loin dans la forêt pour échapper à la contamination.
Malgré cela, 3 autres Yanomami sont morts et 90 sont infectés, dont 60% ont contracté le virus à la Casa de Saúde Indígena (la Maison de la Santé indigène) dans la capitale Boa Vista et 32% à TI Yanomami. Dans le même temps, des individus peu scrupuleux lorgnent sur les ressources des indigènes. Les terres des Yanomami ont été envahies par plus de 20 000 chercheurs d’or.
La Coordination des organisations indigènes de l’Amazonie brésilienne (Coiab Amazonia) a annoncé que les associations Kanamari de la vallée de Javari et l’association des matsés du haut Jaquirama ont envoyé une lettre aux autorités pour dénoncer et demander une enquête sur la prolifération de covid-19 par l’armée brésilienne et le Secrétariat spécial de la santé indigène (SESAI) dans le territoire indigène de la vallée de Javari, à la frontière du Pérou et de la Colombie, en particulier dans le canal Medio Rio Javari. Cette région compte 6 000 indigènes contactés et 16 peuples isolés.
Le site d’information « The Intercept » a montré une vidéo publiée en avril et distribuée aux militaires et civils dans laquelle le général de l’armée brésilienne Antônio Manuel de Barros, 57 ans, demande à ses commandos de se contaminer volontairement pour encourager l’apparition de coronavirus et « immuniser les troupes » qui travaillent dans les abris pour les réfugiés au Venezuela à la frontière de l’État de Roraima. La technique à risque aurait accéléré la propagation du virus. Les militaires représentaient déjà 26% des cas de covid-19 dans le pays. Le général Barros est également le commandant militaire de l’opération « Réception » et a remplacé le général Eduardo Pazuello, actuellement ministre de la Santé par intérim.
Lors de la dernière conférence de presse du gouvernement fédéral sur le covid-19, le directeur du Secrétariat spécial pour la santé des indigènes, Robson Santos, a indiqué que l’opération Réception est en cours dans les deux districts de Yanomami et de l’Est de Roraima.
À Manaus, la capitale de l’état d’Amazonas, c’est le chaos total. Le district sanitaire spécial pour les indigènes (DSEI) a confirmé que de nombreux patients indigènes qui étaient traités pour d’autres maladies ont été contaminés au centre sanitaire, ainsi que dans les hôpitaux d’état et municipaux, puis sont retournés dans leurs villages. Les hôpitaux de la ville de Manaus étaient au maximum de leur capacité et maintenant la situation est encore plus critique en dehors de la capitale. Le seul hôpital disposant d’une unité de soins intensifs (ITU) en dehors de Manaus se trouve dans la ville de Tefé, à environ 522 km de la capitale.
La deuxième région du Brésil la plus touchée par le covid-19 est le nord-est / Minas Gerais / Espírito Santo, où les populations indigènes habitent des zones très pauvres, sans accès à des soins de santé spécialisés. Jusqu’à présent, 21 personnes ont trouvé la mort dans cette région.
Comme c’est le cas partout au Brésil, les chiffres sur le covid-19 – déjà impressionnants – sont sous-estimés. Selon Sonia Guajajara, présidente de l’APIB, « lorsque l’on compare les chiffres publiés par le Secrétariat à la santé des indigènes (Sesai) avec ceux observés par le mouvement indigène, ils révèlent un écart surprenant. En plus de la négligence de l’État brésilien, il y a aussi un racisme institutionnalisé ».
Le directeur du Secrétariat spécial pour la santé des indigènes (SESAI), Robson Santos, a déclaré lors de la dernière conférence de presse que la létalité des villages indigènes est de 3,9 %, alors que l’Articulation des peuples indigènes (APIB) confirme un chiffre trois fois plus élevé de 9,7 %. L’APIB compile les cas de toutes les populations indigènes en village et en dehors des villages au Brésil.
Le Brésil compte 34 districts sanitaires indigènes spéciaux (DSEI). Ils sont responsables des soins de santé des personnes vivant dans les villages indigènes. Toutefois, 36 % des indigènes du Brésil vivent dans des zones urbaines et ne sont pas pris en charge par les DSEI mais par le SUS, le système de santé brésilien, où ils sont généralement victimes de discriminations.
À ce jour, la Fondation nationale indigène (FUNAI) ne remplit pas ses fonctions comme elle le devrait. Elle est actuellement dirigée par l’ancien chef de la police, Marcelo Xavier, qui est conseiller pour le groupe parlementaire représentant les intérêts de l’agrobusiness dans le cadre de l’enquête parlementaire sur l’INCRA (1) et la Funai (2).
Marcelo Xavier, interrogé sur ce que fait la FUNAIL pour défendre les Yanomami contre les chercheurs d’or sur leur terre, a expliqué qu’il surveillait l’exploitation minière avec 28 barrières sanitaires, au lieu de retirer les mineurs de la terre des Yanomami et défendre le peuple indigène. Le but est manifeste : profiter d’une situation sanitaire dramatique pour exploiter les ressources comme jamais.
L’incapacité du gouvernement Bolsonaro à combattre la pandémie du coronavirus affecte les populations indigènes de toutes les régions, aggravant une situation déjà très dramatique. L’année dernière, 150 territoires indigènes ont été envahis par des voleurs de terres, des bûcherons et des chercheurs d’or, à l’instigation du gouvernement fédéral. Ils brûlent les forêts et assassinent les dirigeants indigènes. En outre, le gouvernement fédéral soutient la conversion des indigènes au christianisme par des missionnaires évangéliques.
Cette semaine, les Brésiliens ont pu assister perplexes à une vidéo divulguée par la Cour suprême brésilienne, (STF) qui montre une rencontre entre le président Bolsonaro et ses ministres. Dans la vidéo, l’ex-ministre de l’éducation, Abraham Weintraub, a déclaré qu’il détestait les peuples indigènes, tandis que le ministre de l’environnement, Ricardo Salles, a parlé de profiter de cette période de pandémie de coronavirus pour approuver des réformes de déréglementation, simplifier les règles d’exploitation et modifier les lois sur l’environnement au profit des secteurs les plus puissants.
Entre le 22 et le 28 mai, la Cour suprême fédérale (STF) devait juger le projet de loi PL2633, qui établit le dénommé « Marco Temporal » limitant les revendications des indigènes et leurs demandes historiques de terres. L’avis 001/2017 du bureau du procureur général (AGU) est inconstitutionnel et est utilisé pour légaliser les invasions, légitimer les expulsions et dissimuler les actes de violences contre les peuples indigènes avant la promulgation de la Constitution fédérale de 1988. Si la décision va contre les peuples indigènes, le Brésil et l’environnement mondial seront directement affectés.
Le juge Edson Fachin a reporté le vote en raison de la pandémie, suite à la pression des peuples indigènes et des organisations de défense des droits de l’homme, jusqu’à ce que le tribunal puisse tenir des procès en personne.
Malgré tout, les populations indigènes du Brésil n’ont jamais été aussi organisées. Ce mois-ci, l’APIB a organisé en-ligne une grande assemblée nationale de la résistance indigène pour traiter de questions telles que les diagnostics régionaux sur le covid-19 dans les villages. Les peuples indigènes sont « habitués » à se battre pour leurs droits depuis 520 ans et ils sont unis pour trouver de nouveaux moyens de défendre leurs terres et l’environnement.
(Photo d’entête : ROGERIO ASSIS/MNI)
Rosa Gauditano
email: studior@studiorimagens.com.br
Rosa Gauditano est photographe, journaliste et militante. Depuis plus de 30 ans, elle documente la vie des peuples indigènes de diverses ethnies et des régions les plus variées du Brésil. Rosa a déjà documenté les groupes ethniques Karajá, Kayapó, Tucano, Waurá, Yanomami, Xavante, Guarani et Pankarau. »
En 2004, en partenariat avec le groupe ethnique Xavante, elle a créé Nossa Tribo (Notre Tribu), une ONG dont le but est de bâtir un pont entre les villes et les villages indigènes. Elle a enseigné la photographie à la PUC (Université Catholique de São Paulo) et a travaillé pour le journal Folha de São Paulo et Veja. Elle est l’auteur des livres suivants : Indios, Os Primeiros Habitantes, Raízes do Povo Xavante, Festas de Fé, Guarani M’Byá na Cidade de São Paulo et Povos Indígenas no Brasil.
Notes
(1) INCRA: Institut national pour la colonisation et la réforme agraire
(2) En 2017, l’enquête parlementaire présidée par le Farmers’ Caucus visait à poursuivre en justice les anthropologues, les indigènes, les fonctionnaires et les membres de l’exécutif de la FUNAI et de l’INCRA, ainsi que les ONG. L’idée était de fermer la Funai, d’arrêter la réforme agraire et de modifier les critères de délimitation des terres pour les populations indigènes et les anciennes communautés d’esclaves (quilombos).
(3) « Marco Temporal »: Limite temporelle. L’idée de ce projet de loi est d’établir que les revendications foncières des indigènes ne seraient reconnues par la loi que si les indigènes occupaient cette parcelle de terre particulière en 1988, année où l’actuelle Constitution brésilienne a été consacrée.
Dons de nourriture et d’équipement de protection contre le covid-19 :
Mulheres Indígenas do Alto Rio Negro, Amazonas.
Zagaia Association – www.amazonzagaia.com.br
Bradesco Bank
Succursale: 3142
Compte courant: 26585-3
CNPJ: 10.189.868/0001-35
Povo Fulniô de Pernambuco :
Chef Itamar de Araújo Severo
Banco Bradesco
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Compte courant: 0103358-1
Tiype:00
CPF : 046.219.084-64
FEPOINCE (Fédération des peuples indigènes du Ceará)
Bank: Caixa Economica Federal
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CNPJ: 34.816.161/0001-70
Guarani Kaiowá, Mato Grosso do Sul.
Chef Elizeu Pereira Lopes Guarani Kaiowá
Banco do Brasil
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CPF : 847.386.501-49 (nécessaire pour transférer de l’argent)
Povo Mura (Rondonia e Amazonas)
Contact: Marcia Mura Maciel Tel 69 99 698 0266
Banco do Brasil:
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