Plus de 100 grandes marques de mode seraient liées, de près ou de loin, à la destruction des forêts en Amazonie. C’est en tout cas ce qu’affirme Stand.earth après avoir épluché des milliers de données publiques. Les auteurs de ce nouveau rapport ont ainsi remonté les chaînes logistiques souvent très opaques de l’industrie du cuir. Du déboisement au sac à main, il n’y a apparemment qu’un pas pour des marques comme Zara, Nike ou encore Adidas qui s’alimentent en cuir auprès de fournisseurs très controversés, notamment auprès du grand groupe brésilien JBS accusé à de nombreuses reprises de commercialiser du bétail issu de zones déforestées. Focus sur un désastre écologiques (de plus) lié à la production ovine.

L’industrie bovine est de loin le principal moteur de la déforestation dans le monde, étant directement responsable de 36 % de la perte de superficie boisée liée à l’agriculture observée de 2001 à 2015, selon les rapports du World Resources Institute. Au Brésil, la déforestation touche en particulier l’Amazonie. Grâce à la vente de son cuir, le Brésil génère ainsi près de 1 milliard d’euros de revenus annuels, 80 % du volume mis sur le marché étant destiné à l’exportation. Cela explique sans doute en partie pourquoi le pays possède le plus grand troupeau de bovins au monde, comptant ainsi pas moins de 215 millions d’animaux.

Déboiser pour produire plus

Pour satisfaire cette demande insatiable, les éleveurs n’hésitent pas à déboiser de nombreuses surfaces en vu de faire pâturer leur bétail et d’ainsi augmenter leur cheptel. Une fois atteint l’âge requis, les ovins sont pris en charge par des abattoirs centralisés dans la région et rapidement transformés en viande prête à la consommation humaine ou animale, ainsi qu’en cuir brut. La matière ainsi récupérée sera ensuite tannée pour être vendues sur les marchés locaux ou internationaux et devenir de jolis petits sacs à main ou de confortables chaussures.

Crédits : Stand.earth

De l’animal aux baskets, différents acteurs entrent donc en ligne compte, rendant ce marché et les liens qui s’y tissent extrêmement opaques. Malheureusement les pratiques illégales y sont courantes. L’un des principaux producteurs brésiliens dans ce domaine, JBS, a ainsi été accusé à plusieurs reprises d’accepter des animaux élevés dans des zones touchées par la déforestation, relève Greg Higgs dans les colonnes du Guardian, l’un des chercheurs impliqués dans le rapport.

La mode en partie responsable de la déforestation amazonienne

Afin de dévoiler au grand jour ce lien entre mode et déforestation, Stand.earth et Slow Factory ont entrepris un travail minutieux : remonter les chaines logistiques de l’industrie du cuir à travers bons de douanes, rapports d’entreprises et autres données publiques. Après plusieurs mois de travail, les deux organisations publient conjointement un rapport établissement les liens de plus de 100 grandes marques de la mode avec la déforestation brésilienne. Si ce dernier ne démontre aucune preuve ferme de l’implication de ces entreprises textiles dans le phénomène, la multiplication des liens douteux de certaines marques laisse supposer un fort risque que le cuir soit issu d’un élevage illégal. On retrouve par exemple en haut de ce triste podium : Adidas, American Eagle, Asics, Calvin Klein, Columbia, DKNY, Dr. Martens, Esprit, Fila, Fossil, Gap, Giorgio Armani, H&M, Lacoste, Michael Kors, New Balance, Nike, Prada, Puma, Ralph Lauren, Reebok, The North Face, Timberland, Tommy Hilfiger, Vans, Walmart, Wolverine ou encore Zara, entre autres.

Ces résultats sont surprenants pour les deux organismes d’études, en partie parce qu’un certain nombre de marques listées a récemment annoncé des politiques pour se défaire des acteurs qui contribuent à la déforestation tout au long de la chaîne d’approvisionnement.  La maison de couture LVMH, par exemple, s’est avérée présenter un risque élevé de liens avec la déforestation amazonienne – malgré le fait qu’au début de l’année, la marque s’était engagée à protéger la région amazonienne en partenariat avec l’Unesco. « Un tiers des entreprises interrogées ayant mis en place une sorte de politique, [vous vous attendriez] à ce que cela ait un impact sur la déforestation », a déclaré Greg Higgs au quotidien britannique, mais « le taux de déforestation augmente, donc les politiques n’ont aucun effet matériel ».

Crédits : Stand.earth

JBS ou le géant brésilien du boeuf illégal

Slow Factory ajoute cependant sur son site internet qu’ « aucune de ces marques ne choisit délibérément le cuir de déforestation ». C’est pourtant pas moins de 50 enseignes différentes qui disposent de liens directs ou indirects avec JBS, le mastodonte brésilien du bœuf dont les pratiques illégales ont été prouvées à plusieurs reprises. Selon le rapport, les chaînes d’approvisionnement de JBS ont ainsi été exposées à plus de 7 millions d’acres de déforestation au cours de la dernière décennie. « Et la liste continue de s’allonger », note Greg Higgs, alors que les dernières projections annoncent que pour continuer à fournir aux consommateurs des portefeuilles, des sacs à main et des chaussures en cuir animal, l’industrie de la mode devra abattre 430 millions de vaches par an d’ici 2025.

Si certaines grandes marques de mode redirigeront leurs activités dans d’autres régions du monde pour ne pas souffrir de mauvaise presse, Céline Semaan, directrice générale et co-fondatrice de Slow Factory, rappelle que ces enseignes ne devraient pas profiter de cette occasion pour contribuer à la déforestation ailleurs, comme au Guatemala ou au Mexique, mais plutôt pour investir et explorer des alternatives qui ne sont pas extractives. Elle enjoint ainsi à se tourner davantage vers les alternatives cultivées en laboratoire ou les cuirs végétaux. « En cette période d’urgence climatique, si l’industrie de la mode veut être pertinente, c’est l’opportunité », conclut la directrice, encore incertaine sur l’avenir de la filière.

L.A.

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation