Dans son nouveau rapport, Amnesty International dénonce « la double peine » imposée aux femmes migrantes, transgenres et/ou travailleuses du sexe victimes de violences sexuelles lorsqu’elles souhaitent porter plainte en France. Du refus de dépôt de plainte au risque d’arrestation et d’expulsion, les témoignages recueillis auprès d’une vingtaine d’associations révèlent les nombreux obstacles et violences auxquelles font face ces femmes au croisement de plusieurs discriminations.

En 2021, l’Observatoire national des violences faites aux femmes estimait à 217 000 le nombre de femmes victimes de viols, de tentatives de viol et/ou d’agressions sexuelles en France. Parmi elles, seules 6% ont porté plainte, et seulement 0,6% des affaires enregistrées ont donné lieu à condamnation en 2020.

Des chiffres ahurissants qui dénoncent un manque d’accès criant à la justice pour les femmes victimes de violences sexuelles.

Une enquête menée par le Collectif « Nous Toutes » en 2021 #Prendsmaplainte a permis de récolter 3 500 témoignages de femmes racontant leur expérience lors de leur dépôt de plainte, plusieurs milliers témoignant d’un mauvais accueil en gendarmerie et commissariat – Crédit : Nino Carè – Pixabay

Victimes d’une « double peine »

« Si porter plainte en France pour violences sexuelles est une épreuve redoutée par toute femme, le faire quand vous êtes par ailleurs racisée, précaire, transgenre, ou sans-papiers – et parfois tout cela à la fois ─ vous expose à toujours plus d’obstacles et de violences (…) », dénonce Lola Schulmann, spécialiste de la Justice de genre chez Amnesty International France et autrice du rapport.

Dans son nouveau rapport « Rentrez chez vous, ça va passer… » – Porter plainte pour violences sexuelles : l’épreuve des femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe en France publié le mercredi 18 septembre, Amnesty International souhaite porter la voix des femmes trop souvent victimes d’une « double peine ».

Pour mettre en lumière les difficultés et les risques auxquels elles sont confrontées lorsqu’elles souhaitent déposer une plainte pour violences sexuelles en France, l’organisation a recueilli les témoignages de dix-neuf organisations féministes et communautaires, qui accompagnent régulièrement ce public spécifique dans ses démarches pour accéder à la justice.

« Rentrez chez vous, ça va passer… »

Si toutes les victimes de violences sexuelles peuvent se heurter à ces barrières, « ces freins et ces obstacles peuvent s’avérer plus puissants et toucher de manière disproportionnée les femmes victimes de formes multiples et intersectionnelles de discrimination, et notamment de discrimination raciale », expliquent les auteurs du rapport.

Malgré l’obligation légale énoncée par l’article 15-3 du Code de procédure pénale, de nombreuses victimes se heurtent d’abord au refus de dépôt de plainte à la police ou auprès de la gendarmerie. Les motifs invoqués par les représentants de l’ordre sont divers, allant du « manque de preuves suffisantes » à la « simple dispute de couple » en passant par une situation administrative irrégulière ou un consentement présumé avec « un client ». Ces allégations illégales se fondent bien souvent sur « des stéréotypes et des préjugés racistes, sexistes ou transphobes de la part des policier·ères et des gendarmes », écrit Amnesty dans son rapport.

À la croisée des discriminations

Pour les femmes migrantes en situation irrégulière sur le territoire :

« déposer plainte dans un commissariat peut s’avérer difficile étant donné que c’est la même institution qui est chargée de leur expulsion potentielle »

Un risque éprouvé par certaines, qui ont reçu des obligations de quitter le territoire, se sont vues enfermées en centre de rétention puis expulsées alors qu’elles s’adressaient aux services de police pour dénoncer des situations de violences.

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Illustration issue du rapport d’Amnesty International France : “Rentrez chez vous, ça va passer…” – Porter plainte pour violences sexuelles : l’épreuve des femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe en France (septembre 2024)

En outre, les personnes non-francophones rencontrent bien souvent un obstacle de plus dans la transmission de leur récit faute d’interprètes en suffisance. De manière générale, l’association dénonce un manque de soutien paramédical dans la majorité des commissariats. « Selon un rapport de la Fondation des femmes, il manque au moins 500 intervenant·es sociaux (…)  pour répondre aux besoins actuels ».

Trop souvent victimes de propos discriminants et d’une remise eu cause du caractère non-consenti de l’acte sexuelle, les travailleuses du sexe « ne font pas suffisamment confiance aux forces de l’ordre pour s’en rapprocher en vue de porter plainte lorsqu’elles ont été victimes de violences », témoignent les cinq associations de défense des travailleuses du sexe interrogées.

Dans ce secteur, les femmes transgenres sont particulièrement exposées au risque de subir des violences, à commencer par le fait d’être mégenrées, c’est-à-dire de se voir attribuer, volontairement ou non, un genre auquel elles ne s’identifient pas.  « Quand on cumule trans et pas de papiers, ce n’est pas facile. Ce sont des populations qui estiment ne pas du tout avoir leur place dans un commissariat de police », regrette Le Strass, syndicat du travail sexuel en France.

Empêcher le risque de victimisation secondaire

Finalement, les difficultés auxquelles se heurtent les femmes migrantes, travailleuses du sexe et/ou transgenres lors du dépôt de plainte semblent refléter « les obstacles que rencontrent les femmes soumises à des formes multiples et intersectionnelles de discrimination dans l’accès à la justice », conclut Amnesty. 

« Il est inquiétant de constater que lorsqu’elles ont connaissance de ce qui se passe dans des commissariats et prennent en considération leur statut administratif, leur statut de femme racisée, leur nationalité et leur genre, certaines femmes peuvent renoncer à déposer une plainte, afin de ne pas être victimes de nouvelles violences ».

L’association de défense des droits humains a fait parvenir à la direction générale de la police nationale ainsi qu’à la direction générale de la gendarmerie nationale des demandes d’informations le 21 décembre 2023. « Au moment de la publication de ce document, nous n’avons reçu aucune réponse ». Le 16 juillet 2024, l’organisation a finalement adressé un courrier au Premier ministre comprenant les principales conclusions et recommandations issues de ce rapport.


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Amnesty souligne le « rôle crucial » des associations du secteur qui accueillent et accompagnent les femmes victimes de violences dans leur accès à la justice. Les auteurs du rapport appellent le gouvernement à fournir « une formation appropriée, systématique, obligatoire, initiale et continue » aux représentants de l’ordre et à faciliter l’accès au dépôt de plainte pour les femmes victimes de violences fondées sur le genre, grâce par exemples à un accès à l’aide juridictionnelle au moment du dépôt de plainte, à des interprètes dans des langues diverses sur tout le territoire français et aux services sociaux.

– L. Aendekerk


Photo de couverture : rapport d’Amnesty International France : “Rentrez chez vous, ça va passer…” – Porter plainte pour violences sexuelles : l’épreuve des femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe en France (septembre 2024) – Illustrations Solenne Galas

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