Quelques jours après la censure de Michel Barnier, Emmanuel Macron a arrêté son choix sur François Bayrou pour le remplacer à Matignon. Avec cette décision, le chef de l’État s’entête à refuser le résultat des derniers scrutins et nomme un homme qui représente son courant politique et la droite libérale depuis plus de 40 ans.

En optant pour François Bayrou comme Premier ministre, le fondateur de Renaissance poursuit sa volonté de maintenir sa ligne politique, malgré ses multiples défaites électorales. À la recherche d’une haute fonction depuis des décennies, le maire de Pau va sans doute satisfaire ses ambitions personnelles, mais il ne marquera probablement aucune rupture d’envergure avec tout ce qui a été fait jusqu’à présent, comme en témoigne son long parcours. Portrait d’un homme du passé dans la lignée du néolibéralisme.

Le déni de démocratie continue

Suite aux législatives, le président avait déjà tout faire pour ignorer la victoire du Nouveau Front Populaire en refusant de nommer Lucie Castets. Il avait alors inventé une majorité factice en nouant une alliance avec les Républicains. Pour pouvoir poursuivre sa politique, il avait choisi Michel Barnier, un profil très à droite, issu de LR et susceptible de plaire au Rassemblement National.

Pourtant après, avoir fait perdre plusieurs mois au pays, le parti d’extrême droite s’est enfin résigné à voter la motion de censure du Nouveau Front Populaire et à renvoyer le savoyard retrouver ses pénates. Incapable de reconnaître cette énième déconvenue, le chef de l’exécutif a donc décidé de remplacer un homme de droite de 73 ans par un autre homme de droite de 73 ans : François Bayrou.

Un socle de plus en plus réduit

Avec Michel Barnier, Emmanuel Macron avait au moins fait semblant de s’ouvrir aux Républicains en choisissant quelqu’un qui n’appartenait théoriquement pas à ses rangs (même si leurs pensées profondes sont très similaires). Avec François Bayrou, il s’est encore plus recentré sur lui-même, puisque le leader du MoDem est membre de la coalition Macroniste depuis son arrivée au pouvoir.

Parle à Macron, ma tête est malade !Big surprise ! Après deux défaites électorales consécutives, Macron nomme Premier ministre le Premier Macroniste !#PremierMacroniste #BayrouPour soutenir la lutte dessinée :▶️ ko-fi.com/allanbarte

Allan Barte (@allanbarte.bsky.social) 2024-12-13T18:23:40.570Z

Si le natif d’Amiens l’avait emporté en 2017, c’est d’ailleurs en grande partie grâce au maire de Pau qui avait retiré sa candidature à son profit et lui avait fourni suffisamment de voix pour accéder au second tour. Au final, cette nomination pourrait s’apparenter à une récompense pour des années de bons et loyaux services.

Maintenir une politique néolibérale coûte que coûte

Et pourtant, d’après plusieurs médias, François Bayrou s’est littéralement imposé à cette place qu’Emmanuel Macron ne souhaitait pas lui donner. Le 13 décembre, au matin, le chef de l’État l’avait même convoqué pour lui annoncer qu’il nommerait Sébastien Lecornu, l’un de ses fidèles lieutenants. En colère face à tant d’ingratitude, le maire de Pau menace alors de quitter la coalition présidentielle avec tout son parti s’il n’obtient pas le poste. Piégé, le leader de Renaissance finira par céder, ce qui est assez rare pour être souligné et démontre son extrême situation de faiblesse.

Pour autant, même s’il se méfie du créateur du MoDem, Emmanuel Macron souhaite avant tout que sa politique puisse se poursuivre comme depuis 2017. Et pour ce faire, François Bayrou, qui est devenu le quatrième Premier ministre du pays en un an, ne devrait poser aucun problème de fond.

Un dinosaure de la politique

On l’aura compris, le choix Bayrou n’aura rien d’une révolution ni d’un renouvellement d’idées. Le natif de Bordères, évolue d’ailleurs dans ce milieu depuis presque toujours. Après avoir été enseignant pendant cinq ans, jusqu’à ses 28 ans, il s’engage en politique, au centre droit. À 30 ans, il décroche son premier mandat de conseiller départemental.

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Depuis, il a obtenu une quantité impressionnante de postes d’élu : député pendant près de vingt ans, conseiller départemental pendant vingt-cinq ans, quatre ans ministre de l’Éducation nationale sous Chirac, trois ans député européen, éphémère ministre de la Justice sous Macron, maire de Pau depuis dix ans, et haut commissaire au plan depuis quatre ans.

Un cumul impressionnant de poste

À cela, il faut ajouter la présidence de son parti, le MoDem, qu’il détient depuis sa création en 2007. Au total, il occupe donc actuellement pas moins de six postes. S’il percevra des revenus dépassant les 16 000 euros bruts, rien ne lui interdirait de les cumuler avec ses plus de 8000 € d’indemnité en tant qu’élu local.

Car, sachant que sa place de Premier ministre risque de ne pas durer très longtemps tant l’ombre de la censure plane à nouveau, le nouveau locataire de Matignon a indiqué qu’il souhaitait conserver son siège de maire de Pau. Cette décision l’a d’ailleurs déjà propulsé sous le feu des critiques puisqu’il a préféré se rendre à un conseil municipal de sa ville plutôt que dans le département de Mayotte, ravagé par un cyclone.

Bayrou retourne toujours sa veste du bon côté

Dans ce contexte, on a vu le président du MoDem se mettre, contre toute attente, à défendre le cumul des mandats, une vieille marotte de la droite. En s’adossant à l’idée que ce cumul permettrait aux élus nationaux de se reconnecter avec le territoire, François Bayrou est revenu sur sa position historique, tenue depuis des années. Depuis le début de sa carrière, il s’était en effet toujours opposé à ce procédé.

Cette question ne semble d’ailleurs pas être la seule concernée par un changement d’opinion du leader centriste. On se souvient par exemple à quel point il avait critiqué Emmanuel Macron en 2016, le qualifiant — à raison — de candidat des « forces de l’argent » et voyant chez lui un projet « infiniment proche de celui de Nicolas Sarkozy ».

Un constat réaliste qui ne l’a pourtant pas empêché de nouer une alliance avec lui à peine quelques mois plus tard. Pour sauver son parti des difficultés financières rencontrées à l’époque à la suite de plusieurs mauvais scrutins, François Bayrou n’hésite alors pas une seconde à changer son fusil d’épaule. Ainsi, grâce à cette alliance, le MoDem passe de deux malheureux députés en 2016 à 47 en 2017, ce qui permettra de remplir les caisses.

Des suspicions toujours existantes sur des détournements de fonds

Ces difficultés financières rappellent les détournements d’argent public dans l’affaire des assistants parlementaires. Alors que plusieurs cadres du parti ont été fermement condamnés, François Bayrou a quant à lui réussi à échapper au couperet en février dernier. Pour autant, le paquet a fait appel de cette décision, et une épée de Damoclès plane encore au-dessus du nouveau premier ministre.

Cette affaire avait pourtant déjà coûté son poste de ministre de la Justice au maire de Pau. Et si le tribunal avait étonnamment jugé qu’aucun élément ne permettait d’affirmer que le président du MoDem avait connaissance de ce qui se déroulait dans son propre mouvement, un prochain procès pourrait survenir à tout moment, la date n’ayant toujours pas été fixée. Étant donné la durée de vie probablement très courte de son mandat, il reste cependant peu crédible qu’il soit inquiété d’ici la fin de son séjour à Matignon.

Ni de gauche ni de gauche

Celui qui avait bâti sa stratégie, bien avant Emmanuel Macron, sur le slogan « ni de gauche ni de droite », a pourtant bien démontré par ses actes que sa politique penchait systématiquement à droite, comme d’ailleurs l’intégralité de ceux qui se définissent comme centristes.

Ainsi, lorsqu’il appartenait au gouvernement Balladur, on l’a vu s’attaquer à la sécurité sociale, aux allocations familiales ou encore aux pensions de retraite (il a même toujours défendu la retraite à points et a soutenu le report de l’âge de départ à 64 ans). À cette époque, il a aussi appuyé le gel des salaires des fonctionnaires, la baisse du taux de remboursement des frais de santé, ou bien à de multiples privatisations. À cette période, on l’avait également observé prendre parti, sans succès, pour la suppression des plafonnements des financements publics des écoles privées.

Faiseur de rois et soutien du pire

Trois fois candidats malheureux aux présidentielles (2002, 2007 et 2012), il obtient malgré tout des scores honorables, terminant même à la troisième place en 2007, derrière Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Après avoir vertement critiqué le premier, il avait appelé à voter pour François Hollande au deuxième tour en 2012, ce qui a sans doute contribué à sa victoire.

Par la suite, avec son ralliement à Emmanuel Macron, lui et ses députés soutiennent sans aucun ménagement toutes les pires réformes d’Emmanuel Macron : suppression de l’ISF, retraite à 64 ans, détricotage du Code du travail, sécurité globale ou loi sur le séparatisme.

Au niveau environnemental, la copie de François Bayrou est là encore très inquiétante puisque le sujet ne semble pas vraiment le concerner. On l’a en effet très peu entendu sur ce sujet, si ce n’est pour évoquer une « écologie positive » dans sa campagne de 2012. Une vieille rhétorique qui s’oppose régulièrement à « l’écologie punitive » et qui est souvent associé à une absence d’action voire du climatoscepticisme.

Bientôt la censure ?

Avec un profil semblable celui de Michel Barnier et une politique probablement très similaire, on se demande donc comment François Bayrou pourrait échapper à la censure, dans les semaines qui viennent.


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Il a cependant déjà commencé à négocier avec le parti socialiste qui fragilise chaque jour un peu plus le Nouveau Front Populaire. De plus, il pourrait aussi obtenir un léger sursis auprès du Rassemblement National qui tente de se construire une image de respectabilité en n’abattant pas tout de suite le locataire de Matignon. D’autant plus que François Bayrou s’est toujours montré favorable à la proportionnelle, ardemment souhaité par le mouvement d’extrême droite en vue des prochaines législatives.

Une chose est certaine, Emmanuel Macron apparaît décidé à tout faire pour empêcher un changement de politique à la tête de l’État. Et pourtant, si chacun de ses gouvernements continue à tomber, les uns après les autres, la question de sa démission reviendra définitivement sur la table.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Wikimedia

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