316 manifestants en garde à vue. Violence des militants. Dérapages des forces de police. Mémorial saccagé. Les grands médias français racontent tout et son contraire concernant la manifestation « interdite » autour de la COP21, donnant globalement une image très négative des manifestants. Mais que s’est-il exactement passé ce weekend place de la République à Paris ? Témoignage.
Ce dimanche 29 novembre, pour l’ouverture de la COP21, nombre d’écologistes ont bravé les interdictions de l’état d’urgence pour manifester pacifiquement en faveur de climat. Femmes, hommes et enfants, personnes âgées, clowns engagés, armée de pingouins, pancartes sympathiques, représentants d’ONG et intellectuels, la foule pacifique de 4500 personnes est positive et colorée. Cependant, une poignée d’hommes encagoulés, tout de noir vêtus, se trouve en marge de la manifestation. Ils sont tenus à distance par les autres manifestants, selon les témoignages.
Les CRS encerclent alors les manifestants place de la République. Dans l’après midi, des jets de projectiles (certains venant du mémorial) ont lieu en provenance des personnes non identifiées habillées de noir. Sans aucune distinction, la police lance alors ses représailles sur l’ensemble des manifestants, matraquant des personnes assisses pacifiquement, écrasant sur leur passage les objets du mémorial aux victimes des attentats, en témoigne nombre de vidéos. Un mémorial qui était jusqu’ici protégé par un cordon de manifestants, empêchant à la fois la police, les photographes et la minorité violente de s’y rendre.
Un nombre impressionnant de médias français portent alors la responsabilité unanimement sur les manifestants, sans chercher à démêler le vrai du faux. Tous ou presque titrent en cœur « Des manifestants saccagent le mémorial » allant contre les témoignages directs. Des voix se sont vites levées pour dénoncer cet amalgame grossier. Mais sur place, la police s’attaque aux manifestants pacifistes sans faire de distinction avec les « encagoulés » violents. À l’étranger, des médias belges n’hésitent pas à titrer : « des policiers matraquent des manifestants assis pacifiquement » (RTL – 29 nov.). Présente sur les lieux, Naomi Klein, auteur de La Stratégie du choc, dénonce l’opportunisme du gouvernement suite aux attentats pour brimer les militants écologistes.
S’il semble difficile d’y voir clair, certains témoignages crédibles et mesurés apportent quelques éclaircissements. C’est notamment le cas de Savannah Anselme, 24 ans, étudiante en Sociologie. Elle était au cœur de la manifestation avec son conjoint, doctorant de chimie. « J’étais place de la République pour la COP21. J’ai tout vu… » nous confie-t-elle. Voici son témoignage.
Source : John D. Sutter
« J’ai vu des milliers de chaussures disposées sur le sol pour symboliser tous ceux qui ont renoncé à venir à cause de l’interdiction. J’ai vu des dizaines de personnes, parmi lesquelles de simples passants, ramasser ces chaussures pour remplir deux camions entiers, destinés à Emmaüs. Le plus grand don de chaussures jamais organisé.
J’ai vu des milliers de personnes constituer une chaine humaine sur le parcours initial de la manifestation. J’étais avec mon petit frère, ma mère, mon conjoint et des amis. Nous avons remonté le cours de la chaine humaine en brandissant fièrement nos pancartes. Moi en tête, j’arborais un magnifique panneau avec un message clair : « Désolé pour le dérangement, nous essayons de sauver le monde » Les gens déjà en place dans la chaine humaine nous ont fait un tonnerre d’applaudissements. Ma pancarte qui a déjà vu de nombreuses manifs, a eu droit à sa première haie d’honneur. Ce que je ne savais pas encore alors, c’est que ce serait aussi sa dernière.
Nous avons ensuite pris place dans la chaine.
Une fois cet événement terminé, nous sommes retournés place de la République. Au bout de quelques minutes, un groupe de manifestants s’est mis à tourner en rond autour de la place, scandant un message à la fois simple et efficace pour amener le plus de personnes possibles : « Si on marche pas, ça marchera pas ».
En faisant plusieurs fois le tour de la place avec le cortège improvisé, nous avons pu constater que toutes les rues adjacente étaient bouclées par les CRS. Il y avait des barrières d’hommes en uniformes partout. Nous n’avions plus la possibilité de quitter la place de la République pour mener la marche jusqu’à Nation. Nous avons suivi le cortège et nous sommes engouffrés avenue de la République pour tenter de percer le mur de CRS et défiler malgré l’interdiction. Mais nous nous sommes enfoncés dans un piège. Les CRS ont tenté de nous surprendre en créant une barrière derrière nous mais nous nous en sommes rendu compte à temps, et nous sommes dispersés sur la place de la République à temps. Les pouvoirs publics semblaient fermement décidés à nous empêcher d’accomplir cette marche. De mon côté (et je n’étais pas la seule) j’étais fermement décidée à désobéir. On ne pouvait pas se rendre à Nation, tant pis, je resterais là aussi longtemps que possible. Je résisterais à leur volonté de nous faire quitter les lieux.
Pas de marche, mais des centaines de paires de chaussures, place de la République #Paris #etatdurgence #avaaz #cop21 pic.twitter.com/Dyo1cTI0a0
— Isabelle Hanne (@isabellehanne) November 29, 2015
Je ne saurais dire ni à quel endroit, ni à quel moment les « violences » ont commencé. J’ai vu, au loin, des chaussures voler sur les CRS, mais aussi des bouteilles en verre… Avec ma mère, mon petit frère, mon conjoint et mes amis, on a senti les fumigènes envahir toute la place. Ma mère voulait partir, mais nous ne trouvions pas d’issue. Nous nous sommes dirigés vers une bouche de métro quand un groupe de personnes cagoulées a subitement attaqué le cordon de CRS à côté de nous. Alors même que des militants pacifistes étaient assis en face de la police, les mains en l’air, d’autres tenant des fleurs empruntées sur l’autel hommage aux victimes du 13 novembre. Les projectiles de ces gens cagoulés tombaient non seulement sur les CRS, mais aussi sur les pacifistes.
En les voyant brusquement lancer tout ce qu’ils avaient dans leurs mains, je me suis vue courir entre les cagoulés et les pacifistes, faire de grands gestes avec mes bras en direction des lanceurs de pierres et autre en criant : « Non ! Arrêtez ! Ne faites pas ça ! » Je me suis protégée avec ma pancarte, esquivant un projectile. Mon petit frère derrière moi en a lui aussi évité un de justesse.
Ma mère est partie avec lui de l’autre côté de la place. J’aimais mieux les savoir à l’abri, en sécurité loin de ce chaos. Mon conjoint, un ami et moi avons décidé de rester encore. Je voulais tout voir de mes yeux, je voulais savoir ce qu’il se passerait, je voulais tenter de raisonner ces fous cagoulés. Mon petit copain a pris un groupe de cagoulés à partie, les sommant d’ôter leur masque pour assumer leur connerie, les insultants, les traitant de lâche se cachant derrières les pacifistes. Ces derniers continuaient de faire face aux CRS, certains assis, d’autres debout, mains en l’air. Les CRS ont riposté en lançant des fumigènes dans le tas, ainsi que des grenades assourdissantes. Les pacifistes ont tout pris, les cagoulés, planqués derrière n’ont rien eu. Dans le même temps, le plus gros de la foule s’était réfugié de l’autre côté de la place de la République, à l’opposé de ces échanges violents, et attendait, semble-t-il, de pouvoir passer le cordon de CRS au compte goutte. J’ai vu les CRS se trouvant de mon côté de la place, ceux là même qui nous balançaient fumigènes et grenades assourdissante, tirer en l’air au loin des grenades fumigènes. Elles ont dessiné un grand arc de cercle dans le ciel au dessus de nos têtes, se sont séparées en plusieurs autres grenades fumigènes avant de tomber dans la foule, de l’autre côté de la place où il n’y avait pas de violence, seulement des gens voulant fuir, semant la panique de tout côté. À cet instant précis, les CRS ont lancé une charge sur nous. Moi, j’étais suffisamment en retrait pour ne pas être bousculée. D’autres en revanche se sont fait violenter. Les pacifistes enfumés, piétinés, blessés devant. Les cagoulés, bien protégés, planqués derrière.
Les CRS ont commencé à arriver de tous les côtés autour de nous. J’ai voulu m’armer d’une fleur de l’autel comme geste pacificateur pour les offrir aux policiers. Mais un groupe de manifestants pacifistes se tenait la main et encerclait la statue et l’autel pour que les cagoulés ne s’arment plus de bougies et ne saccagent l’autel.
J’ai vu un homme seul, pousser son vélo les deux mains sur le guidon se faire bousculer, puis taper par un CRS à coups de matraque à deux pas de moi. Sans réfléchir, j’ai couru vers eux et tenté de repousser le policier dans son armure de plexiglas en criant : « Arrêtez de le taper ! Arrêtez de le taper ! Il n’a rien fait ! » Un de ses collègues est arrivé et m’a bousculé violemment en arrière. À ce moment là, j’ai levé les mains en l’air et j’ai répété à haute voix « Sans haine, sans arme, sans violence ». Le CRS m’a menacé de la main droite avec sa matraque, de la main gauche il m’a poussé en arrière avec son bouclier. Je restais les mains en l’air à répéter mon message. Tout le monde se faisait bousculer et taper autour de moi, alors ils m’ont imité, ont levé les mains eux aussi en scandant le même message que moi. Nous nous sommes retrouvés repliés autour de la statue de la République, autour de l’autel hommage aux victimes du 13 novembre. Le cercle de pacifiste était toujours là, main dans la main pour protéger les fleurs et les bougies.
J’étais en première ligne, j’avais toujours les mains en l’air, je continuais à répéter mon slogan encore et encore pour me donner la force et le courage. Mes mains tremblaient comme des feuilles mortes menaçant de se décrocher de leur branche.
Les CRS ont chargé. Pourtant cela faisait bien cinq minutes que les projectiles avaient cessé de voler. Cinq minutes que ces lâches cagoulés s’étaient sauvés ou planqués. Et ils nous ont chargé sans aucun égard pour l’autel hommage aux victimes du 13 novembre. Des pacifistes sont tombés sur les fleurs et les bougies, les hommes de plexiglas ont piétiné ce qu’il restait de cet hommage. La police a pris la statue. Nous n’avions plus aucune raison de rester.
Nous avons demandé aux CRS de nous laisser partir, à plusieurs endroits, à plusieurs reprises, sans résultats. Nous avons fini par capituler, poser notre sac, poser nos pancartes, nous asseoir et attendre. À un moment inattendu les CRS nous ont chargés de nouveau. Mon conjoint a voulu récupérer notre sac dans l’action mais un ou deux CRS l’ont frappé avec leur matraque à plusieurs reprises. Évitant les coups et les armures de plexiglas, je suis parvenue à m’engouffrer dans une brèche pour attraper le sac en criant : « Il y a mes papiers à l’intérieur ! » Je me suis quand même pris des coups, moi aussi. On a récupéré notre sac, mais nous n’avons jamais revu nos pancartes.
@EugenieBastie Après que les CRS ont chargé les manifestants (dont ceux protégeant le mémorial), ils l'ont piétiné. pic.twitter.com/pWfBRo8HrV
— Groupe J.-P. Vernant (@Gjpvernant) November 29, 2015
J’ai entendu les JT dirent que les manifestants radicaux auraient pillé l’autel des victimes. Mais sur place, j’ai vu des hommes cagoulés prendre des bougies pour les jeter sur les policiers, j’ai vu des pacifistes s’organiser pour les en empêcher, et j’ai surtout vu la police piétiner cet autel que les pacifistes protégeaient.
Après ça, ils n’ont plus laissé partir personne. Ils nous ont parqués comme du bétail dans un coin de la place. Nous étions des centaines agglutinés les uns aux autres, pendant des heures, sans pouvoir ni aller aux toilettes, sans eau et sans nourriture autre que ce que nous avions encore dans nos sacs à dos. De temps en temps, une poignée de CRS entraient dans le cercle pour rafler quelques uns d’entre nous. En fait, pendant toute la manifestation, nous étions filmé par la police. Et ceux-ci tentaient d’identifier les gens violents pour les interpeler grâce aux vidéos. À chaque rafle, les coups de matraque pleuvaient pour forcer les manifestants à se détacher de la foule pour suivre les policiers.
Il n’y a pas grand chose à dire de plus. Mon conjoint et moi avons fini par nous faire rafler après près de quatre heures d’attente. Un CRS avec une conscience sans doute plus aiguisée que celle de ses autres collègues nous a promis que si on se laissait emmener sans opposition, nous ne serions ni arrêtés, ni violentés. Nous avons suivi les policiers. Je tenais fermement la main de mon partenaire. Alors que nous avancions dans le calme, main dans la main, le CRS qui nous escortait a frappé mon conjoint, sans raison, il s’est pris une baffe gratuite. Lui s’est fait fouiller. Moi non, car il n’y avait pas de femme flic. Nous n’avions rien d’illégal sur nous, ils nous ont laissé repartir. En état de choc. »
Témoignage de Savannah Anselme
Sources : regards.fr / rtl.be / mediapart.fr / edition.cnn.com / Photographie à la une Laurent Cipriani/AP/SIPA