Osons le dire, Internet engendre une pollution astronomique d’autant plus inquiétante qu’elle est invisible. L’utilisation d’internet nous est devenue indispensable, elle s’est totalement fondue dans notre mode de vie moderne. Nombre de gens y travaillent aujourd’hui et imaginent mal pouvoir vivre sans. Avouons-le, peu d’entre nous seraient capables de s’en passer au quotidien car même de simples démarches administratives ne se font plus qu’en ligne. D’où la problématique à laquelle nous sommes tous confrontés, comment faire en sorte que la toile qui s’étend de jour en jour puisse limiter son impact écologique ?

Un coût énergétique insoupçonné à chaque clic de souris

Pour aborder la question de la pollution d’Internet, il faut avant tout désamorcer les jugements hâtifs et les critiques stériles. Tout comme chacun d’entre nous pollue en prenant sa douche, en chauffant sa maison ou en se déplaçant, les utilisateurs d’internet sont tous impliqués : ceux qui écrivent ceci, ceux qui le lisent, les fournisseurs d’accès, les serveurs de Google ou toute autre entreprise qui y fonde son business. Si l’acte individuel est négligeable, à l’échelle d’une planète, l’impact est astronomique. Il faut donc aborder la question la tête froide sans sombrer dans les accusations réciproques, en affrontant les faits et la triste réalité du monde pour mieux le changer. En 2013, France 5 publiait un reportage édifiant intitulé « Internet, la pollution cachée« . Retour sur une réalité trop souvent occultée.

Savez-vous quelle quantité d’énergie consomme l’envoi d’un simple e-mail ? Avec une pièce jointe, c’est l’équivalent d’une ampoule basse consommation allumée pendant une heure (soit 24 Wh selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, Ademe), sans pièce jointe, c’est cinq fois moins : 5 Wh. Et en 2016, c’est 2 672 milliards d’e-mails (hors spam) qui ont été envoyés dans le monde, sachant que la production électrique de 15 centrales nucléaire pendant 1h équivaut à l’envoi de…seulement 10 milliards de mails (selon les données du reportage). La facture énergétique donne le tournis, les chiffres sont tellement gros qu’il devient impossible de se les représenter concrètement. Et là, on ne parle que d’e-mails, mais internet c’est également des vidéos mises en ligne, la consultation constante de sites internet, des réseaux sociaux, du téléchargement massif, l’interrogation de moteurs de recherche, des données sauvegardées sur le cloud, etc…

Source : costculator.com

Chaque minute, c’est 400 heures de vidéos qui sont ajoutées sur Youtube (chiffre de mars 2017), soit 600 000 heures chaque jour, une vie ne suffirait pas pour regarder le nouveau contenu ajouté en un seul jour sur la plus célèbre plate-forme de vidéos ! Les chiffres sont tout autant démentiels pour Google, le leader des moteurs de recherche : à chaque seconde ce sont près de 39 000 recherches qui sont lancées, pour un total avoisinant les 3,3 milliards par jour ! Le géant des réseaux sociaux Facebook n’est pas en reste, en 2010 on estimait déjà à 4 milliards le nombre de messages envoyés par jour par ses utilisateurs. Un chiffre qui n’a cessé d’augmenter depuis. Les internautes sont ainsi responsables à 50% des gaz à effet de serre émis par internet. Il est toutefois possible d’agir à notre échelle en faisant du tri dans notre boite mail et le cloud (conserver en ligne uniquement les informations indispensables, restreindre l’envoi d’e-mails lourds avec pièce jointe compressée et le nombre de destinataires), en installant un programme anti-spam, en limitant et optimisant notre temps passé sur le net notamment en ayant recours à un moteur de recherche responsable comme Lilo et en enregistrant nos sites préférés en favoris, en évitant le streaming. Mais celles-ci semblent des actions bien maigres face au rouleau compresseur de l’indifférence et du nombre.

Si les chiffres demeurent abstraits et les données des internautes dématérialisées, ils correspondent à une réalité bien tangible : le réseau internet est constitué de millions de kilomètres de câbles de cuivre, de fibre optique qui s’étendent sous le goudron des rues, traversent les océans pour relier les continents, tels d’indispensables fils d’une toile d’araignée gigantesque. Et toutes les informations contenues sur le net ont besoin de bâtiments bien concrets pour les stocker, qui représentent avec le réseau en lui-même l’autre moitié de la pollution produite par internet. Quand une simple vidéo virale de chat mignon est copiée à l’infini sur d’autres pages (donc serveurs) plutôt que simplement repartagée depuis une source, c’est autant d’énergie et d’espace de stockage qui sont nécessaires.

D’indispensables Data-center énergivores

Pour fonctionner, le réseau internet mondial a besoin de centres pour traiter, conserver, envoyer vos données, héberger celles des sites internet, répondre à vos recherches ou tout simplement que vous puissiez avoir accès à n’importe quel contenu en ligne. Cela se passe dans ce qu’on appelle des Data Center, des endroits très surveillés qui comportent des rangées impressionnantes de serveurs, des banques de données qui tournent 24h sur 24, l’équivalent de dizaines de milliers d’ordinateurs et qui concentrent les informations structurant l’internet. Et pour pallier la moindre défaillance, les équipements sont généralement installés en double voir en triple exemplaires, alourdissant la facture énergétique. Notre vidéo de chat mignon est donc décuplée pour chaque copie réalisée. On laisse imaginer l’ampleur d’un tel phénomène.

Source : IBM

La concentration d’un tel nombre de machines provoque immanquablement de la chaleur qu’il faut évacuer sous peine de griller le système, chaque possesseur d’un ordinateur le sait. Et la production de chaleur dans un Data Center nécessite une climatisation constante qui à elle seule absorbe 40% de l’électricité qu’il consomme. Un de ces climatiseurs suffirait à refroidir un hôtel de 50 chambres, or il y en a des dizaines dans un Data Center ! Globalement, on estime qu’un Data Center consomme autant d’électricité en un jour qu‘une ville de 30 000 habitants. Sans compter les équipements destinés à prendre le relais en cas de crash : 10 générateurs électriques de secours sont prêts à se mettre en route à tout instant, or un seul suffirait à alimenter un paquebot. À nouveau, le « hardware » d’Internet est à la hauteur de l’ampleur qu’il prend dans nos vies de manière dématérialisée, loin des yeux du consommateur.

Internet, le troisième consommateur mondiale d’énergie (après la Chine et les États-Unis)

Où trouver la quantité d’énergie nécessaire au fonctionnement des Data Center et donc d’internet ? En France et aux États-Unis (où sont concentrés la majorité des Data Center du monde) on a recours à l’énergie nucléaire bien sûr, avec tous les risques que cette source d’énergie comporte. Mais plus surprenant, aux États-Unis, on utilise toujours des centrales à charbon. Une énergie fossile que l’on aurait pu croire désuète mais dont les États-Unis disposent en grande quantité et qui assure leur indépendance énergétique. Les montagnes Appalaches, en Virginie-Occidentale, abritent la seconde réserve de charbon du pays et couvrent 12% de ses besoins. Son charbon alimente les 11 centrales de charbon de Caroline du Nord, un état voisin qui a vu s’installer les Data Center des géants du web (Facebook, Apple, Google) en quête d’énergie à bas prix. À eux seuls, ils pompent 5% de l’électricité de l’État. On comprend donc que la question énergétique est également liée à la survie de l’Internet pour les prochaines années. Quid d’une situation où l’énergie fossile se ferait rare ?

Source : Flickr

Sans surprise, l’emploi du charbon est une véritable catastrophe écologique qui constitue d’ailleurs la plus grande source de réchauffement climatique des États-Unis : le charbon produit 50 fois plus de CO2 que les autres énergies fossiles. En brûlant, il forme des cendres et des dépôts toxiques qui contaminent les sols et les rivières. Et son exploitation est tout aussi destructrice. Aujourd’hui, l’industrie a remplacé les mines souterraines peu rentables par des mines géantes à ciel ouvert : les montagnes sont dynamitées, littéralement décapitées avec comme conséquences des vallées saccagées, des forêts coupées, des cours d’eau ensevelis. En plus du CO2 dégagé dans l’atmosphère par le charbon, la dynamite utilisée pour l’extraire pollue l’environnement local car elle y libère du mercure, du fer, de l’aluminium. Les tentatives de reverdir les lieux une fois l’exploitation minière terminée se soldent par des échecs : les arbres replantés ne poussent pas, malgré la fertilisation de la terre avec de l’engrais, tout reste mort. Tout ceci pour obtenir de l’électricité pas chère qui nourrira notre indispensable internet et nos modes de vie confortables.

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La solution dans les énergies renouvelables ?

Mais il ne servirait à rien de s’apitoyer sur ce triste constat sans en explorer les solutions. Les poids lourds du secteur énergétique ont amorcé une prise de conscience écologique, dit-on. Peu à peu la volonté de se tourner vers des énergies renouvelables se renforce même si de nombreux pays font de la « résistance » en faveur d’un ancien modèle désuet. Ainsi Google a ouvert un Data Center écologique en Finlande : il compte le refroidir naturellement grâce à l’énergie hydraulique et aux températures glaciales qui sévissent dans le pays. Apple a accolé à son Data Center la plus grosse ferme solaire des États-Unis, un bon début même si celle-ci ne couvre pas encore les besoins du Data Center et est confrontée au problème de l’intermittence inhérent à cette technologie. En attendant la solution énergétique miracle qui se fait dangereusement attendre, la majorité des Data Center continueront d’alimenter l’industrie qui leur fournit l’électricité la moins couteuse.

Source : Flickr

Envisageant l’avenir par le développement de nouvelles sources d’énergie, l’essayiste et économiste américain Jeremy Rifkin est persuadé qu’une Troisième Révolution Industrielle conjuguant les nouvelles technologies et les énergies renouvelables est nécessaire. Et de tourner définitivement le dos aux énergies fossiles qui sont responsables des gaz à effet de serre si désastreux pour la planète et surtout nous, ses habitants.

Jeremy Rifkin a identifié « 5 piliers » à mettre en œuvre pour parvenir à un cercle vertueux de développement durable conséquent, assurant la création d’emplois et de nouvelles opportunités commerciales, ainsi qu’une augmentation de la productivité des entreprises et de l’industrie. Un scénario où toute la société est gagnante qui passe par le développement à grande échelle des énergies renouvelables (éoliennes, panneaux solaires, énergies marines) et leur généralisation dans tout bâtiment devenant du coup, une mini centrale électrique ; bâtiments qui devront être capables de stocker et réguler la production d’énergie, le tout avec l’utilisation d’internet pour transformer ce réseau électrique en système intelligent qui saura gérer la distribution de cette énergie produite de façon décentralisée ; et enfin les véhicules devenus électriques seront à même d’acheter ou de vendre de l’électricité sur ce réseau à n’importe qui.

https://www.youtube.com/watch?v=75mx9pRJyLg

« La 2ème révolution industrielle est en train de disparaître, et nous avons besoin d’un tout nouveau récit économique pouvant nous mener vers un avenir plus équitable et durable. » a déclaré Jeremy Rifkin. Puisse-t-il être entendu, car les solutions sont là.

S. Barret


Source : documentaire ‘Internet, la pollution cachée’ (2013) France 5 / fournisseur-energie.com / rev3.fr / planetoscope.com /

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