Comment rendre justice aux millions de porcs élevés chaque année dans des conditions sordides ? Comment donner une voix aux victimes silencieuses de la dégradation de la santé des écosystèmes locaux, sangliers, blaireaux, chiens mais aussi riverains engagés pour la défense de leur terre en Bretagne ? L’ONG Wild Legal tente de répondre à ces questions à travers l’organisation de ce troisième “procès simulé” portant sur le sujet des algues vertes, aux côtés de l’association bretonne Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre et L214. En parallèle, la sortie du dernier ouvrage porté par L214, Les droits des animaux en question, nous éclaire quant au sujet de l’éthique animale. 

L’amélioration du statut juridique des animaux fait l’objet de discussions de plus en plus récurrentes, et plus particulièrement la question de la reconnaissance d’une personnalité juridique et la garantie de leurs droits fondamentaux. Cette réflexion, qui vient interroger le lien profond entre la protection de la santé planétaire et des entités individuelles qui la composent, a notamment été posée dans le récent ouvrage Les droits des animaux en questions.

Le modèle intensif de l’élevage porcin breton est un cas d’école. Les conséquences sur la santé planétaire et locale mettent en lumière un système économique entièrement déconnecté des besoins biologiques du monde vivant, fruit d’une vision productiviste, objectivant les animaux et les humains sans respect pour leurs droits en tant qu’êtres vivants.

Maltraitance animale, pollution aquatique, marées vertes, morts humaines et non-humaines… C’est pourquoi cette année, l’ONG Wild Legal organise son troisième “procès simulé” au sujet des algues vertes, aux côtés de l’association bretonne Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre et L214.

L’objectif ? Incuber l’action juridique visant à réparer le préjudice subi tant par les porcs des élevages de Bretagne que par les écosystèmes et les êtres humains ou autres qu’humains touchés par l’irruption mortelle des marées vertes sur le bassin versant du fleuve Gouessant (Côtes-d’Armor)

 

Les algues vertes : contexte

La Bretagne occupe le 1er rang des régions françaises dans le secteur de l’élevage de porcs, avec 5 280 exploitations en 2019 et un cheptel estimé à 7,4 millions d’individus en 2020. 55 % des porcs français sont bretons. L’élevage mais aussi l’abattage et la transformation de la viande de porc représentent des milliers d’emplois sur ce territoire. Structurellement liée à la révolution verte et à l’après-guerre, cette ultra-spécialisation est le résultat d’une politique économique et agricole territoriale centrée sur l’industrialisation, et l’élevage intensif.

Cet élevage intensif, qui représente désormais 95 % des exploitations en France, s’est toutefois organisé au détriment de la condition animale, des écosystèmes et des êtres humains et non humains qui en dépendent.

Maintenue dans des bâtiments clos, souvent opaques, sur un sol bétonné et ajouré pour laisser passer les déjections (caillebotis), l’immense majorité des porcs bretons n’a jamais accès à l’extérieur. Ils ne disposent d’aucune litière pour se coucher et d’aucun contact avec la terre pour répondre à leurs besoins biologiques. Là où le cochon est communément défini par la science comme un animal fouisseur, qui a besoin de retourner le sol à la recherche de nourriture, l’habitat des porcs bretons se restreint à un enclos de béton trop étroit pour se mouvoir, des barreaux métalliques et du plastique. L’association L214, grâce à ses vidéos, met régulièrement en lumière des conditions de vie relevant de la maltraitance animale : 

Entassés, encagés, mutilés, les restrictions auxquelles ils sont soumis affectent leur santé et leur comportement. Au lieu d’y remédier, les éleveurs pratiquent des mutilations préventives, en leur limant les dents et en coupant la queue des porcelets. Des pratiques interdites par l’Union européenne.

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Ces pratiques se heurtent, d’un point de vue éthique, aux découvertes de la science qui mettent en lumière que les cochons sont des êtres intelligents, qui montrent de nombreuses compétences et un épanouissement au sein de communautés sociales complexes.

Outre les conditions d’existence imposées aux cochons d’élevage, le modèle actuel a des répercussions importantes sur la santé des écosystèmes locaux. Les nitrates issus des excès d’azote de l’agriculture intensive, épandus sur les champs, s’infiltrent dans la terre et se retrouvent charriés par les cours d’eau, jusqu’à la mer. Or, le développement des algues vertes, du genre Ulva lactuca, est directement corrélé à la présence excessive d’azote, nutriment indispensable à sa multiplication. Face à la pollution de l’eau, désormais leur nombre explose.

Extrait de la BD « Algues vertes, une histoire interdite »

La première marée verte a été observée en 1971, à St Michel en Grève, près de Lannion (Côtes d’Armor). Depuis, le phénomène n’a pas faibli.

Ces dernières années, chaque été les plages sont condamnées car les émanations de gaz d’hydrogène sulfuré (H2S) issus de la putréfaction des algues échouées a été reconnu comme un danger pour le public. A forte dose, celui-ci peut causer la mort par simple inhalation. Sangliers, chiens, chevaux, blaireaux, de nombreux cas de décès sont à recenser. Maurice Briffaut, joggeur, et Thierry Morfoisse, employé dans le ramassage des algues, sont morts dans des circonstances impliquant les algues vertes. Humains et non-humains sont ainsi directement mis en danger par les marées vertes. 

Comment améliorer le statut juridique des animaux ?

Malgré les plans et programmes de réduction mis en œuvre, les résultats ne sont pas au rendez-vous. L’administration française a d’ailleurs été condamnée en juin 2021 par la justice pour carence fautive face à la situation. Le juge a reconnu que l’Etat connaissait l’ampleur du phénomène et sait comment y remédier, mais que les mesures mises en place ne sont pas à la hauteur et qu’il est donc, par conséquent, responsable du préjudice écologique qui en résulte.

Mesures insuffisantes, également au regard de l’indispensable amélioration du statut juridique des animaux, laquelle fait l’objet de discussions très actuelles ; en particulier concernant la reconnaissance d’une personnalité propre. Fort de son expertise, Wild Legal s’est engagé auprès des associations L214 et Sauvegarde du Trégor afin d’apporter un soutien juridique à l’affaire tout en questionnant le lien profond entre la protection de la santé planétaire et les entités individuelles qui la composent

Suite à de nombreux mois de travaux et d’entretiens avec des professeurs de droit spécialisés dans ces domaines, Wild Legal a élaboré une proposition juridique ambitieuse visant à reconnaître des droits fondamentaux aux animaux dans la Charte de l’environnement et ainsi leur permettre d’accéder à un statut protégé au niveau constitutionnel ; comme c’est le cas dans de nombreux pays du monde :

Crédits photo : @WildLegal

À ce titre, et face aux conséquences de l’élevage intensif porcin et de la pollution par les algues vertes, le procès-simulé Wild Legal s’entend comme un défi lancé à la nouvelle génération de juristes.

Le but ? Étudier cette affaire par le droit positif sans pour autant négliger l’impact juridique de la reconnaissance de droits fondamentaux aux animaux. Impact sur leur capacité à obtenir justice pour les préjudices subis du fait de leur condition d’élevage et impacts respectifs en terme de protection des écosystèmes et de la santé humaine et non humaine.

C’est pourquoi l’affaire a été soumise aux étudiants avec pour consigne de la traiter sous l’angle du droit civil positif tout en développant plus-avant leur réflexion par l’application de dispositions constitutionnelles fictives. Une partie des recherches se basera ainsi sur le postulat fictif que les droits fondamentaux des animaux ont été reconnus dans la loi constitutionnelle relative à la réforme de la Charte de l’environnement, adoptée le 1er septembre 2021. Le texte applicable est fourni aux participants. Marine Calmet, co-fondatrice de Wild Legal, souligne :

« C’est une opportunité unique pour les étudiants de sortir de la théorie et de rentrer dans la pratique, de comprendre ce que c’est d’être militant en s’engageant aux côtés des associations qui œuvrent sur le terrain. C’est un challenge énorme pour un jeune juriste qui veut devenir un avocat des droits de la Nature et être à la pointe de ce qui se fera dans les prochaines années dans les tribunaux. »

Le procès simulé traitera plus particulièrement de la contamination des bassins versants du fleuve Gouessant, un écosystème parmi les plus touchés des Côtes d’Armor.

Crédits photo : @L214

Plus largement, le dernier ouvrage porté par L214, Le droit des animaux en questions, constitue une première voie pour s’intéresser au sujet de manière simple et accessible : à la croisée de la philosophie, du droit et des sciences. Ce guide destiné à un large public permet à chacun de maîtriser à son rythme les termes du débat. Le livre est organisé en quatre grandes parties : l’évolution des connaissances scientifiques sur les animaux ; la cause animale à travers l’Histoire et ses racines philosophiques ; l’étude des droits actuels des animaux et leur extension potentielle ; a perspective d’un monde futur où les animaux seraient mieux protégés, et l’étude des actions concrètes pour le faire advenir. 

 

Un procès-simulé ? 

Partant du constat que notre modèle de société est à l’origine de l’érosion écologique actuelle, les Droits de la Nature forment une doctrine visant à créer un nouveau cadre juridique dépassant les limites et les prismes d’interprétation actuels du droit de l’environnement, anthropocentré et bien souvent contraire aux lois naturelles régissant le Vivant.

Wild Legal est un programme annuel de formation, de pratique et d’action juridique visant à promouvoir l’étude et le progrès du droit de l’environnement à la lumière de la doctrine des Droits de la Nature. Cette école forme chaque année une nouvelle promotion d’étudiants, grâce à ce programme de procès-simulé.

Le procès-simulé de l’année dernière, portant sur l’affaires des boues rouges en mer Méditerranée / Crédits photo : @WildLegal

L’ONG  s’est inspirée des Moot Courts anglosaxons, ces procès-simulés étudiants organisés par les plus grandes universités dans de nombreux domaines. Rassemblant chaque année des milliers d’étudiants venus du monde entier, ils leur permettent de vivre leur premier contentieux, représenter leur université et concourir devant les avocats, professeurs de droit et arbitres les plus renommés de leur spécialité. Wild Legal a choisi d’en enrichir le concept en plongeant les participants dans un scandale écologique d’actualité.

Pour en savoir plus ? La conférence de lancement a eu lieu le 28 novembre : https://youtu.be/l2IM_SUUBFo  Autour de la table ? 𝗕𝗿𝗶𝗴𝗶𝘁𝘁𝗲 𝗚𝗼𝘁𝗵𝗶𝗲𝗿𝗲, fondatrice et directrice de l’association L214 ; 𝗬𝘃𝗲𝘀 𝗠𝗮𝗿𝗶𝗲 𝗟𝗲 𝗟𝗮𝘆, président de l’association Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre et auteur du livre Algues vertes, un scandale d’État ; ainsi que 𝗠𝗮𝗿𝗶𝗻𝗲 𝗖𝗮𝗹𝗺𝗲𝘁, co-fondatrice et présidente du programme Wild Legal.

Quant à l’ouvrage Les droits des animaux en question, il est d’ores et déjà disponible sur le site de L214

Illustration d’entête : Rosa B.

-Camille Bouko-levy

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