Les personnes âgées, ou « ces grands oubliés », Nathalie Firminy a décidé d’y consacrer un ouvrage. Peu après les révélations sur les dérives du groupe Orpea, la soignante en Ehpad a souhaité partager son expérience. Aux allures de manifeste, ce livre passionnant réussit un tour de main : évoquer la beauté de la vieillesse et la sagesse des personnes âgées, tout en dénonçant le dysfonctionnement des structures d’accueil en France. Nous avons échangé avec l’autrice.

« Les fossoyeurs » : c’est le titre de l’ouvrage qui a révélé, en janvier, les dérives du groupe Orpea. Un groupe privé français actif dans le domaine de la santé et de l’hébergement des personnes âgées gérant une chaîne d’Ehpad privés, de maisons de retraite et de cliniques de soins.

C’est après trois ans d’enquête et près de 250 témoignages que son auteur, Victor Castanet, décrit un système où les soins d’hygiène, la prise en charge médicale et les repas des résidents des Ehpad du groupe Orpea sont parfois « rationnés », du fait d’une « politique de réduction des coûts » visant à améliorer la rentabilité. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la publication de cet ouvrage a fait du bruit. Depuis cette publication, le cours de l’action Orpea s’est effondré. Le directeur général d’Orpea fût limogé. Une convocation chez la ministre de l’Autonomie et plusieurs enquêtes furent ordonnées.

Depuis fin janvier, la plateforme téléphonique du 3977 (consacrée aux signalements des maltraitances envers les personnes âgées et les adultes en situation de handicap) enregistre « une montée en flèche » des signalements de maltraitances. Ces appels ne proviennent pas uniquement de personnes vivant dans les établissements du groupe Orpea, bien au contraire.

Au-delà des établissement privés, ce sont plus généralement les conditions d’accueil dans les Ehpad qu’il s’agit donc de questionner. Plus précisément, leur fonctionnement et les conséquences que ce fonctionnement a sur celles et ceux qui y vivent … mais aussi sur celles et ceux qui les soignent et en prennent soin au quotidien.

C’est le défi que s’est lancé Nathalie Firminy, avec son ouvrage Ma vie de soignante en Ehpad. En immersion chez ces grands oubliés, qui sera publié le 12 avril aux éditions Kiwi. Nous sommes partis à sa rencontre.

Crédits : Nathalie Firminy

Mr Mondialisation : Bonjour Nathalie, merci d’être venue aujourd’hui. Est-ce que vous pouvez vous présenter, pour les lecteur.rice.s qui ne vous connaissent pas ?

Nathalie : Bonjour, je m’appelle Nathalie Firminy, aujourd’hui sans emploi car suite à une suspension de poste (animatrice ehpad) en septembre 2021, ne trouvant aucun accord avec ma direction, j’ai finalement démissionné. La vie m’amène peut-être exactement là où je dois être ! J’ai commencé dans le monde du travail par aider les tout-petits au développement de leurs différentes autonomies et dans le même temps, à apporter de l’écoute, présence, aide et soutien aux personnes âgées qui m’entouraient. J’ai choisi de travailler avec les aînés, après un stage en ehpad où j’ai perçu leur isolement, solitude, tristesse et ennui, mais aussi l’impuissance des soignants qui tentent chaque jour, de faire au mieux leur travail. J’ai finalement choisi la voie du maintien des autonomies, voulant ainsi essayer de rendre le quotidien des aînés plus joyeux en impulsant de l’énergie, de l’envie et de la vie à chaque instant partagé. Durant quelques années, j’ai pu expérimenter ce métier en partageant des moments parfois tristes, souvent émouvants, maintes fois frustrants, mais aussi gaies, avec les résidents, les équipes et les familles.

 

Mr Mondialisation : Vous venez d’écrire un livre, publié la semaine dernière, qui s’intitule Ma vie de soignante en Ehpad. En immersion chez ces grands oubliés. Quel est l’objectif de ce livre ?

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Nathalie : L’écriture de ce livre avait d’abord pour objectif d’atténuer mes peurs, frustrations, doutes… face à la situation que j’étais en train de vivre. En septembre 2021, j’ai été suspendue de mon poste. Privée de salaire, me sentant au ban de la société, écrire m’a aidée. J’honorais aussi une promesse faite aux résidents de laisser une trace des temps vécus, principalement durant la crise sanitaire.

Je voulais témoigner de leur détresse et celle des familles, de l’humanité des soignants et de leur impuissance face à l’injustice du système, mais aussi des instants agréables. Au cœur de mes observations et expériences, je voulais partager ces récits et nous inviter à nous interroger sur la place et traitement que nous réservons à nos aînés, dans notre société. Bientraitance et dignité sont les socles de l’accompagnement. Les dysfonctionnements de notre système de soins, dont les mérites étaient tant vantés jadis, entraînent, par manque de moyens, une véritable maltraitance institutionnelle. Les personnels soignants, eux-mêmes maltraités et ne trouvant plus de sens à leur métier (prendre soin) démissionnent.

Par ces témoignages, j’ai voulu partager une tranche de mon histoire, de la leur et peut-être y retrouverez-vous un peu la vôtre. Vieillir est une chance qui nous est offerte chaque jour d’aller vers le suivant ! Notre espérance de vie rallongeant, comment serons-nous dignement pris en charge et en soins, comment accompagnerons-nous nos proches, comment protégerons-nous nos enfants ?

« La course à la survie et, avant 2020, à la rentabilité, vaut-elle véritablement les pertes de liberté et d’humanité ? »

Mr Mondialisation : Les fossoyeurs révèle les maltraitances, les malversations et les dérives lucratives des Ehpad Orpea. Quel rôle ce livre a-t-il joué ?

Nathalie : Le livre de Mr Castanet a permis de libérer la parole. Les insoutenables témoignages révélant les maltraitances subies par certains résidents nous touchent et nous montrent bien que les précédentes alertes émises, des décennies auparavant ne rencontrent que peu d’échos. Dans notre folle société de consommation, la vieillesse, le handicap, la perte d’autonomie et la dépendance ne sont pas vendeuses. Un sujet d’actualité en remplaçant rapidement un autre, la condition des personnes en situation de vulnérabilité est laissée de côté. Je tiens ici à adresser tous mes vœux de paix aux pays en guerre ainsi que mon soutien à tous ceux qui subissent des atrocités dans le monde.

Lors de la canicule 2003 (+ de 19000 décès), Robert, un des personnages du livre, se retrouve en ehpad, après avoir cotisé, pensant ainsi s’assurer une douce et sereine retraite. Au cœur de mes observations, j’essaie de montrer comment la maltraitance institutionnelle se déploie dans nos hôpitaux par manque de moyens. Cet épisode a mis en avant l’isolement des personnes âgées, handicapées, la perte du lien social, la détresse des familles, l’impuissance des soignants… des mesures devaient alors être mises en place afin d’y remédier, mais les priorités semblent être ailleurs. Ces deux années de crise sanitaire confirment la fragilité de nos hôpitaux dont nous avons et aurons un jour le besoin. Les personnes en situation de vulnérabilité, déjà isolées, doivent souvent attendre qu’une place se libère en ehpad. Les regards se tournent aujourd’hui vers le privé, mais le public et l’associatif apportent leur large contribution aux prises en charges et en soins et ils manquent également de moyens.

« A partir de ce constat et à l’aube des élections présidentielles, j’interroge nos pouvoirs publics et nos politiques, leurs demandant : quelles propositions et plans d’action seront proposés aux sujets du handicap, de la vieillesse, de la perte d’autonomie et de la dépendance et quand seront-elles mises en place ? »

Le passage du domicile à l’ehpad, est généralement un choix fait par manque de solutions autres et tous en subissent les lourdes conséquences. Je me pose une question : pourquoi, après des décennies de silence, d’un coup d’un seul, la réalité de la (sur)vie en EHPAD devient-elle le sujet de plus chaud du moment ? Ce timing me semble saisissant. L’heure de crever l’abcès sur cette dure réalité aurait-elle sonné ? Pourquoi maintenant ? En raison du coup de projecteur qu’a « favorisé » la crise sanitaire, permettant aux journalistes de s’intéresser à la gestion chaotique de ces établissements ? En raison de l’élection présidentielle à venir et des enjeux que cette dernière soulève ?

Mr Mondialisation : D’où vous est venue cette envie de faire changer le regard sur le grand âge et sur ces personnes, que vous nommez les « grands oubliés » ? D’ailleurs, pourquoi avez-vous choisi de les nommer de cette façon ?

Nathalie : Les personnes âgées qui ont croisé mon chemin ! Elles ont tant à partager, à vivre, à transmettre ! Vieillir fait peur car cela véhicule une image négative. Le général de Gaulle disait d’ailleurs que la vieillesse est, je cite, un naufrage. La course au jeunisme de notre société à de terribles impacts. Dans le monde du sport, à 35 ans nous sommes vétérans, au travail nous sommes des seniors à 45 ans et à 60 ans nous sommes des retraités … pour ceux qui ont assez cotisé ! La stigmatisation des personnes âgées les met en marge de la société car elles sont du fait de leur vieillesse, dites inutiles. Nous associons à tort la vieillesse et la dépendance.

Quand aux « grands oubliés » ? Peu de choses sont faites en faveur de nos aînés et en les mettant de côté, nous mettons peut-être à distance notre peur de la mort.
Sortir de ce déni redonnerait toute la place à la vie ! Je souhaiterai les renommer prochainement : « ces Grands » !

 

Mr Mondialisation : Votre témoignage, outre le fait qu’il invite à la réflexion sur le traitement et la place que l’on réserve à la vieillesse dans nos sociétés, a des allures de manifeste. Que dénoncez-vous ?

Nathalie : Les doigts, pointant aujourd’hui certains établissements du secteur privé, une généralité est faite. Mais, tous ne sont pas à blâmer ! Beaucoup, ayant choisi la mission de prendre soin, le font avec bienveillance et le font bien. Les secteurs publics et associatifs, dont j’entends peu parler, apportent leurs quotidiennes contributions. Félicitons ceux qui se dévouent à accompagner au mieux et avec leurs moyens car tous ont un point en commun : le manque de personnel !

Les acteurs du terrain, mieux placés pour exprimer leurs conditions de travail et besoins ne sont pas écoutés. Les manques de moyens alloués par l’institution elle-même pour les prises en charges et soins génèrent de nombreux dysfonctionnement de nos hôpitaux et beaucoup ont vu leurs portes fermées. L’absence de la reconnaissance de l’isolement, la souffrance de nos aînés ainsi que la détresse des familles et des soignants m’attriste. Il me semble que cela en dit long sur le manque d’humanité de notre société.
Je nous invite à nous interroger collectivement sur le manque de dignité résultant des accompagnements proposés à nos aînés principalement durant la crise sanitaire.

Accompagner, soigner, c’est aussi écouter, rassurer, regarder, aider, prendre la main … la dignité, propre à chaque être humain, me semble aujourd’hui remise en cause, à bien des égards. Faute de temps, le « faire » est privilégié au dépend du « être » et tous ceux, sentant leurs propres valeurs humaines bousculées car ne souhaitant pas devenir maltraitants, démissionnent. Je demande à nos futurs candidats aux prochaines élections présidentielles : qu’allez-vous faire ? Quelles sont, d’après votre expérience personnelle et professionnelle, les pistes d’amélioration et de réflexion qui pourraient être envisagées ?

Toutes les personnes âgées que j’ai rencontrées désirent rester chez-elles et y
mourir. Mais toutes n’habitent pas une grande ville et toutes ne sont pas entourées et parfois les proches qui résident loin ne peuvent pas apporter leur soutien et aider. Les nombreuses démarches se faisant généralement par internet isolent plus encore ceux qui le sont déjà. Car tous ne savent pas s’en servir ! Dans le livre, je parle de Mikaère dont la mère habitait en Tunisie. Au cœur de ce récit, je nous invite à nous interroger sur nos situations et difficultés lorsque nous nous retrouvons confrontés à la détresse d’un proche malade, en perte d’autonomie, voire brusquement dépendant. Peut-être qu’en proposant plus de solutions du maintien à domicile de nos aînés, permettraient de soulager les aidants et remettraient de la dignité pour les prises en charges et en soins des personnes concernées.

Le passage du domicile à l’ehpad est souvent vécu comme un traumatisme. Peut- être qu’avec plus de moyens alternatifs (maison de repos, court séjour, résidence service, ehpad intergénérationnelle, ehpad où l’on vit à son rythme …), résidents et familles seraient mieux accompagnés et auraient le temps de s’adapter aux différentes étapes ? Un grand nombre de belles idées fleurissent ! Les crèches-ehpad, les ehpad conçus tel un village…

Bientraitance et respect de la dignité signifient prendre chaque individu dans sa singularité. Comment permettre cela si nos aînés institutionnalisés doivent vivre au rythme des ehpad ? Les cadres imposés, fautes de moyens, les bousculent dans leurs quotidiens ! Du réveil au coucher ils subissent les différents créneaux imposés. Je me sens triste et craintive du sort qui sera bientôt réservé à mes propres parents.

Mr Mondialisation : Un dernier mot pour nos lecteur.rice.s ?

Nathalie : Raymonde (personnage du livre) a dit lors d’une proposition que j’avais faite aux résidents de s’exprimer sur leur confinement en chambre : « je ne sais pas qui a dit : la solitude ça n’existe pas. Quel con celui-là ! »

Nous sommes des êtres de relation et ne pouvons vivre coupés de tout et de tous.

Je vous souhaite d’innombrables instants de vie, des partages, des célébrations, des chagrins, des joies, des bonheurs, des tristesses, des rires, des pleurs, des caresses, des consolations… Je nous souhaite de nombreux instants de « réunion » ! Nous ne s’avons pas à quel moment notre vie s’arrêtera, mais celle-ci aura bel et bien une fin. Savourez chaque instant et honorez la vie !

-Camille Bouko-levy

Photo de couverture @Elyxandro CegarraSuivre -Résidence Laury Munch – EHPAD et Foyer d’accueil médicalisé de Strasbourg/Flickr

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