On se demande souvent pourquoi tant de gens ont du mal à prendre conscience de l’urgence environnementale et pourquoi nos sociétés occidentales n’agissent pas plus concrètement. L’amnésie écologique pourrait bien faire partie des explications à ce sujet.

Conceptualisé par les chercheurs dès les années 90, le phénomène d’amnésie écologique consiste dans le fait que chaque génération prend comme référentiel l’état de la planète au moment de sa naissance. Un processus qui empêche de mesurer la dégradation de la situation au-delà de l’échelle de notre propre existence.

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Une chute à la fois fulgurante et progressive

Fut une époque, il était commun de croiser des loups en France. De nos jours, ce temps semble appartenir à un lointain passé presque fantasmagorique. Ainsi, la quasi-disparition d’une espèce animale d’un pays où elle était très répandue est devenue une banalité. Au fil des ans, notre référentiel a donc basculé.

En y réfléchissant, le concept de nature prend lui-même du plomb dans l’aile. Ce qui paraissait « naturel » hier, ne l’est plus aujourd’hui. Voir un loup en France en 2024 apparaît d’ailleurs même comme une incongruité.

Une colossale liste d’exemples

Et le nombre d’exemples de ce type fait légion, chaque génération ayant connu une situation différente. On peut citer, entre autres, le remembrement qui a fait disparaître des milliers de kilomètres de haies dans nos paysages agricoles.

On peut aussi évoquer toutes ces prairies et toutes ces forêts rasées pour voir se développer un urbanisme galopant. À divers endroits, il est devenu impensable de se baigner dans l’eau des fleuves, des lacs, des rivières, tant elle est souillée, alors qu’il s’agissait d’une banalité jadis.

Le nombre d’insectes, de poissons et d’animaux en général est en chute libre, des espèces ont disparu, la neige est plus rare, les glaciers fondent, les pollutions, inondations, incendies, sécheresses ou canicules se multiplient. Les changements de paradigmes ont explosé ces dernières années.

Un chaos devenu la norme

Et pourtant, pour les enfants contemporains ou ceux de l’avenir, ces dérèglements et ces bouleversements n’auront sans doute rien de surprenant ou d’inquiétant puisqu’ils n’auront jamais rien connu d’autre.

Pire, en dégradant notre référentiel d’année en année, nous pourrions aussi revoir à la baisse nos objectifs. Ainsi, quelque chose qui nous paraît inacceptable aujourd’hui pourrait être toléré par les générations futures qui y percevront un moindre mal.

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Un mécanisme biologique

En songeant à ce sujet, il peut être étonnant que les personnes les plus âgées semblent les moins concernées par le désastre environnemental. Ce processus pourrait pourtant s’expliquer par une inclinaison à oublier les perceptions passées par manque d’attention… ou de s’être habitué à l’abondance octroyée par l’hyper productivisme des Trente glorieuses.

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Ainsi nous ne nous souvenons tout simplement pas forcément des choses sur lesquelles nous ne nous sommes pas concentrées, comme le nombre d’oiseaux ou d’insectes. D’une année sur l’autre, nous pouvons aussi avoir tendance à croire que les catastrophes climatiques sont exceptionnelles alors qu’elles se répètent d’année en année.

Ce manque d’intérêt peut également être conforté par le fait que de plus en plus d’êtres humains vivent en zone urbanisée où la nature est totalement absente. Comment donc constater sa dégradation si il n’y a tout simplement plus de contact avec elle ?

Et même dans les ruralités, l’agro-industrie a totalement transformé notre rapport au vivant puisqu’elle a introduit des pratiques qui répandent la mort des éco-systèmes.

Une nécessité de transmission

De fait, si le processus de l’amnésie écologique a pu autant se développer, c’est aussi sans doute parce qu’il y a eu un travail insuffisant de transmission entre les générations. Il s’agit également d’une évolution qui est peu enseignée dans les cours d’histoire. Le focus est porté sur l’histoire de l’humanité plutôt que sur l’histoire de la planète qu’elle occupe.

Pourquoi, par exemple, enseigner le drame des guerres sans évoquer celui des catastrophes naturelles ? De cette manière, on pourrait se prémunir de ce genre de problèmes et réagir en conséquence dans l’avenir.

En outre, si ces évolutions se produisent, c’est bien en immense partie à cause du comportement de notre espèce elle-même. Dans ce contexte, expliquer aux générations actuelles et futures les dégâts que nous avons provoqué sur l’environnement ne pourrait être que bénéfique pour en tirer des leçons.

Car comme le disait l’écrivain russe, Fiodor Dostoïevski : « un être qui s’habitue à tout, voilà, la meilleure définition qu’on puisse donner de l’être humain ». Or si elle poursuit sur cette voie, en continuant de banaliser ses comportements néfastes, c’est bien à sa propre disparition que notre espèce pourrait avoir à faire face.

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– Simon Verdière


Photo de couverture : Image par Thuan Vo de Pixabay

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