En 2017 frappait l’incendie Sutherland Canyon Fire, dans les collines de Washington, aux États-Unis. Un feu géant et dévastateur, qui a détruit des acres et des acres de prés, arbustes et forêts. De nombreux animaux ont perdus la vie, d’autres ont pu fuir à temps. Au milieu du chaos des évacuations, Jon Gallie, biologiste de la faune au Département de la pêche et de la faune de Washington, a tenu bon avec son équipe. Leur objectif : protéger les lapins nains, dont ils s’efforcent depuis 2001 de sauver l’espèce quasiment éteinte, et dont les terriers se trouvaient droit sur le chemin des flammes. Retour sur un sauvetage de l’extrême dont le marathon dure depuis dix ans.
Un lapin pas plus gros qu’une mangue
Le lapin nain du bassin de Columbia, ou lapin Pygmée, est considéré comme le plus petit des lapins nains au monde. Les individus adultes pèsent à peine plus de 500 grammes ! C’est simple, il peut tenir dans la main.
Au cours des années 1990, la race fut presque déclarée éteinte, mais quelques années plus tard, 14 spécimens survivants ont été retrouvés, ce qui lui ont permis de se rétablir grâce à l’aide de spécialistes. Cependant, à ce jour, le lapin nain du bassin de Columbia est toujours l’une des races de lapin les plus rares au monde. Sa survie à long terme n’est pas garantie au regard du changement climatique et des activités humaines.
Pendant des milliers d’années, ces lapins ont vécu sur le plateau de Columbia, qui s’étend à travers l’est de Washington et de l’Oregon et jusqu’en Idaho. Ces petits léporidés sont des maillons essentiels de l’équilibre naturel du plateau : en effet, la moitié de leur alimentation se constitue d’armoise, plante dont on connaît bien les variétés telles que l’absinthe, l’arquebuse, les génépis ou l’estragon. A leur tour, les lapins pygmés sont chassés par de plus gros prédateurs. Mais leur espèce a frôlé l’extinction totale, non pas à cause des prédateurs naturels, mais bien à cause des activités humaines, notamment l’agriculture céréalière (très souvent intensive), qui ne laissait aucune place à leur habitat naturel.
Comme toujours, la perte d’un écosystème entraîne de nombreuses espèces avec lui..
Corinna Hanson est responsable des terres pour les réserves Moses Coulee et Beezley Hills de The Nature Conservancy dans l’est de Washington. Ces associations possèdent des réserves de 33 000 acres de steppe arbustive, un écosystème aride d’herbes et d’arbustes, y compris de nombreuses espèces d’armoises. Au total, cet habitat diversifié abrite plus de 200 espèces d’oiseaux et au moins 30 espèces de mammifères, ainsi que des reptiles et des amphibiens.
Mais depuis les années 1700, 80% de cet écosystème riche a été remplacé par des terres agricoles céréalières. Aujourd’hui, un million d’acres est encore perdu, chaque année, pour la culture intensive – dont le but premier est de nourrir les bêtes des élevages (industrie de la viande), eux aussi en intensif. Le modèle est devenu fou et les consommateurs ont toutes les excuses du monde pour ne rien changer à leurs habitudes. Avec l’agriculture intensive vient la brome des toits, une adventis (mauvaise herbe) à la croissance extrêmement rapide et invasive. Cette herbe est notamment caractérisée par sa sécheresse rapide, qui vient former une forme de couverture de paille, et qui, par conséquent, est très vite inflammable. Couplée au réchauffement, cette situation augmente les risques d’incendies géants incontrôlables.
Un sauvetage de plus en plus compliqué
Le sauvetage de l’espèce des lapins nains de Columbia s’avère difficile. Une première tentative d’élevage a été faite lorsqu’il ne restait plus que 50 individus dans la nature. Mais leur taux de reproduction en captivité était très faible. Les chercheurs ont alors essayé de construire des enclos pour permettre aux lapins de prendre de l’avance, d’agrandir leur population quasi naturellement. Les résultats se sont un peu améliorés, mais le taux de mortalité était trop important dès qu’ils étaient relâchés dans la nature (en espace non clôturé, donc en contact avec les prédateurs, par exemple). Mais au prix de nombreuses années d’efforts et d’innovations, notamment à l’aide d’enclos mobiles, la population a enfin augmenté de façon notable.
Puis vint 2020. Souvenez vous. On ne voyait que ça aux informations, après à peine trois ans – trop peu de temps pour que l’ardoise se reforme – un nouvel incendie titanesque ravageait la région. Le feu de Pearl Hill a complètement incendié deux enceintes ainsi qu’une grande zone de réintroduction, effaçant trois années d’efforts de repopulation.
Bien que les biologistes aient pris soin de ne pas mettre tous leurs lapins dans le même panier, cet incendie a tué en une seule fois 43 % de tous les lapins nains connus du bassin du Columbia, sauvages ou captifs. Au total, les incendies de 2020 ont brûlé 800 000 acres de steppe arbustive à Washington, y compris des milliers d’acres d’habitat de récupération. Pour les lapins nains, cet habitat est maintenant détruit pour les années à venir, puisqu’ils dépendent d’une sauge mature d’au moins 10 ans d’âge.
Conclusion
Aujourd’hui les chercheurs sont prudents, mais gardent espoir. En mars 2021, la population de lapin nain comptait 100 individus. 100 individus, à l’échelle de la planète, ce n’est rien… pourtant, c’est toujours plus que les 16 lapins restant en vie dix ans auparavant. Ce qui ne fait aucun doute néanmoins, c’est que l’agriculture intensive – moyen intrinsèquement lié à un système productiviste, doit être indubitablement remise en question, pour le futur des forêts, des écosystèmes, des populations autochtones, pour le futur de tous, y compris les plus petits créatures qui tentent tant bien que mal de nous survivre.
– Moro
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Sources : Nature.org : A big plan to save a Tiny Rabbit