Alors que la santé publique se dégrade, les gouvernements successifs font le choix de répondre par toujours plus de mesures restrictives sur les populations. Pendant ce temps, nul ne semble pourtant vouloir s’attaquer à l’une des principales sources du fléau sanitaire : les industriels. Pointés du doigt à leurs débuts, ils sont petit à petit parvenus à se déresponsabiliser depuis quelques décennies grâce à des pressions lobbyistes et juridiques, ainsi que de vastes campagnes de communication. C’est ainsi que les grands noms qui règnent sur notre alimentation ont été autorisés à transformer notre nourriture en poison sans être inquiétés. Les preuves sont pourtant là, qui font le lien entre cette intoxication du marché agroalimentaire et l’intensification des maladies. Mélissa Mialon, ingénieure en agroalimentaire et docteure en nutrition, a décidé de mettre au clair les rouages complexes de cette hégémonie délétère, à travers un livre aussi instructif que percutant : Big Food and Cie.
« Plus de 7 décès sur 10 dans le monde sont dus aux maladies non transmissibles comme le diabète, les cancers, les maladies cardiovasculaires…des maladies qui touchent surtout les populations les plus vulnérables et dont l’incidence a explosé avec la mondialisation économique » rappelle en introduction la chercheuse Mélissa Mialon. Mais à qui la faute ?
Évidemment, les engrenages sont complexes et incluent de nombreux paramètres. Parmi eux ? La gestion budgétaire des hôpitaux publics rentabilisés au détriment d’une capacité de soin digne, la pollution croissante de l’air entretenue par notre modèle capitaliste sous perfusion de croissance économique et d’exploitations fossiles, la présence de micro-plastiques dans la majorité des organismes vivants, la somatisation de notre déconnexion à la nature et de notre hyperconnectivité numérique…. Mais un dénominateur commun à de nombreux facteurs persiste à remonter à la surface, y compris des constats scientifiques : les industriels. Et plus particulièrement ceux qui nous « nourrissent ».
Big Food & Cie s’est donné pour mission d’en rappeler l’ampleur, à l’aide de documents, de rapports comme de l’Histoire oubliée. Petit aperçu d’un scandale mondial, mais soigneusement banalisé :
Industriels, poison au goût d’acharnement normalisé…
« Fabrication de produits malsains : aliments ultra-transformés, alcool, certains médicaments (médiator),… Marketing et pratiques commerciales agressives pour nous pousser à consommer, lobbying effréné auprès des décideurs politiques pour éviter taxes et lois trop contraignantes, influence et manipulation de la recherche scientifique, pratique a grande échelle de l’optimisation et évasion fiscale, sponsoring en apparence altruiste (événements sportifs…), mais qui obéit à une stratégie marketing délétère… ». Big Food & Cie annonce la couleur.
En effet, et pour commencer, les industriels peuvent indirectement nous rendre malades à cause des effets de leur productions sur l’environnement explique Mélissa Mialon. Le suremballage caractéristique des produits industriels est par exemple à l’origine de présence massive de micro-plastiques perturbateurs dans nos organismes. « En 2020, les trois plus gros pollueurs en ce qui concerne le plastique étaient Coca-Cola, PepsiCo et Nestlé » mentionne la chercheuse. Et c’est sans compter la dégradation de l’air par les usines et les transports qui permettent leur mise en vente. Ces pollutions sont ensuite favorisées par des « moteurs mondiaux » qui les alimentent, voire les encouragent, comme la mondialisation économique et les mesures néolibérales, prend soin d’ajouter l’autrice chercheuse.
Mais les produits finis, ultra-transformés, ont une incidence résolument directe sur notre santé, figure l’ouvrage. Or, ces mêmes produits sont justement conçus pour être « attrayants », « d’une longue durée de conservation », pouvant « être consommés n’importe où, n’importe quand » et vendus d’une manière qui favorise la surconsommation et peut mener à une forme d’assuétude. C’est la combinaison de leur toxicité et de leur emprise mondiale qui en fait par conséquent un phénomène d’ampleur et un danger avéré à grande échelle, démontre l’ouvrage.
« Nous vivons certes plus vieux que nos aïeux, mais nous vivons plus longtemps en mauvaise santé »
Conséquences ainsi établies de la consommation industrielle ? Des records de MNT ces dernières decei (maladies non transmissibles). Diabètes, cancers, maladies cardio-vasculaire : « Les MNT sont la principale cause de mortalité dans le monde : elles sont à l’origine de 71% des décès, dont la plupart sont prématurés ».
Et Mélissa Mialon insiste sur leur origine : « On ne parle ici plus seulement de gras, de sucre ou de sel en excès quand ils sont mélangés à des produits bruts ou peu transformés ». Ce qui est en cause dans ces taux de mortalité, c’est une nouvelle forme de nourriture qui n’a plus rien de comestible, mais qui reste massivement distribuée, non-surveillée, soutenue par nos modèles.
« Homos sapiens à l’ère des faux aliments » titre avec efficacité Dre Mialon pour amorcer un de ses chapitres. Et d’y expliquer comment notre espèce est passée de la disette à une impression redoutablement factice d’abondance. Les supermarchés, un salut pour les plus précaires et la solution alimentaire à notre démographie… ? Une illusion délétère qui maintient plutôt les êtres dans l’injustice sociale et la maladie. L' »offre » est empoisonnée.
En témoigne, entre autres, l’affaire du lait infantile « tueur de bébés ». Dans les années 70, Nestlé engage déjà des vendeuses pour se déguiser en infirmières et propager l’idée que le lait ultra-transformé est bon pour l’enfant. Mais « à la suite de l’utilisation de ces techniques de marketing abusives, des milliers de bébés sont morts » rapporte Big Food & Cie.
Quid également de Lactalis qui, depuis 2017, contaminait des bébés en connaissance de cause d’après un rapport du Canard enchaîné. Nestlé et Danone étaient également mis de nouveau en cause en 2019 pour présence d’huiles toxiques dans leur lait industriel pour enfant. Toutes ces entreprises polluent leur environnement local, dont nous faisons partie, distribuent des produits mortels et mentent quant à leur qualité. Quant aux lobbies du lait industriel de manière générale, ils travaillent encore aujourd’hui, en amont de nos achats, à entretenir dans l’opinion publique la nécessité pour une bonne santé d’en consommer à tous âges, avec la complicité des politiques. « Les produits laitiers sont-ils vraiment nos amis pour la vie ? » :
L’ingénieure souligne également que parmi les produits ultra-transformés les plus dangereux continuent de figurer l’alcool et la cigarette, responsables chaque année en France de 127 000 décès. Ces deux secteurs ont, entre autres, misé sur la diffusion d’une image décontractée et émancipatrice de leurs produits, tant et si bien que leur consommation a été rendue, par nature, imperméable à toute sensibilisation : comment freiner un symbole qui se veut proprement subversif ? Pourtant, cette image « valorisante » est encore une fois l’œuvre des lobbyistes.
De fait, pourquoi ne pas simplement nous en passer ? Voilà peut-être le plus subtil et difficile à entendre : ce qui nous tue, ce n’est pas seulement les produits, mais toute la manipulation industrielle qui en permet l’inoculation à long-terme. Le poison et l’empoisonneur sont les deux faces d’une même pièce. Car l’intromission de cette forme de consommation dans le décorum du XXIème siècle ne s’est pas faite du jour au lendemain. Elle s’est d’abord glissée à coups de mensonges et fausses croyances dans le quotidien de générations mal informées et vulnérables pour – via l’éducation familiale, sociale, scolaire et les références de notre enfance jusqu’aujourd’hui -, introduire la construction personnelle et intime des générations suivantes. Et ainsi de suite, en se consolidant chaque fois davantage.
Notre incapacité collective à éviter efficacement les manifestations industrielles, mêmes les plus infimes, est le résultat d’un long processus d’intrusion à travers un parterre de failles : celles de nos biais, de nos instincts, de nos besoins, parfois vitaux, de nos aspirations sociales, de nos désirs, de nos souvenirs, comme de l’absence de perspectives et de réponses fiables du côté de nos modèles de société. L’ère est « industrielle », parce que fondue dans les moindres pores de nos existences contemporaines domestiques et sociétales.
Cette mainmise qui paraît floue et se dilue dans notre quotidien, Mélissa Mialon a tenu à lui rendre toute sa visibilité, concrète et palpable, à travers des cas pratiques. C’est d’ailleurs le grand atout de Big Food & Cie que d’avoir centralisé et traduit, dans un livre accessible au grand public, ce que la recherche sait sur le sujet, avec la rigueur et la richesse d’informations propre à ce milieu.
« Faites les sortir par la porte, ils reviennent par la fenêtre » : les rouages démentiels de la machine industrielle pour maintenir ses profits.
Pour s’assurer un marché d’envergure, « les industriels dépensent en effet des millions de dollars dans des appareils permettant de scanner nos cerveaux à des fins marketing » explique Big Food & Cie. Cet investissement massif qui forge l’efficacité de la publicité, explicite ou cachée, trouve d’ailleurs en Edward Bernays un ancêtre dévoué. Neveu de Sigmund Freud, il devient rapidement le père fondateur de la propagande de masse, fraîchement rebaptisée « relations publiques », actualise Mélissa Mialon. Son idée : transformer en profondeur nos désirs, en créer de nouveaux, et les modeler en « besoins ». Son pendant le plus élaboré s’incarne aujourd’hui dans une discipline largement sollicitée et inquiétante : le neuro-marketing.
Profitant de la désinformation générale, les industriels ont pour intérêt financier de créer des ambiguïtés sur leurs intentions et de construire un écran de fumée familier et addictif entre nous et leur véritable fonctionnement. Les marques, aidées des distributeurs et autres partenaires, ont ainsi massivement communiqué sur leur soi-disant bienveillance et leurs « atouts ».
Ils ont attaqué nos cerveaux via de multiples supports, à plusieurs niveaux et simultanément : la publicité, partout, tout le temps, bien entendu, mais aussi les placements de produits, dont l’influenceur se faisant passer pour un ami est le dernier adhérent, sponsorings en tout genre, « war rooms » (des cellules de surveillance et influence des réseaux sociaux), démarchages auprès de décideurs, interventions scolaires, diffusions massives de sites de conseils aux allures neutres et médicales, fausses campagnes de prévention qui sont des spots publicitaires, greenwashings ou ethical-washing propres à semer une confusion difficile à cerner, philanthropies d’influence et organisations d’évènements sportifs ou caritatifs pour contrecarrer leur image malsaine, lobbyisme auprès des députés, gouvernements, scientifiques, sans parler du pantouflage,cette pratique qui consiste à passer de hautes fonctions publiques à une direction privée et inversement… La liste est longue des actions qui ont permis aux industriels de parasiter nos connaissances, notre réalité et nos sources d’information. A un point d’opacité tel que la vérité paraît suffisamment hors de portée pour qu’on se résigne à se fier à eux.
Et les preuves ne manquent pas non plus qui prouvent cette volonté de confusionnisme : « De Heineken qui se mêle de prévention routière, à Nestlé qui livre ses aliments ultra-transformés par bateau aux populations indigènes, en passant par Ferrero (Nutella) qui nous donne des leçons d’équilibre alimentaire, le catalogue des offensives contre la santé publique donne le vertige » nous interpelle l’auteure engagée.
Pour n’aborder que l’influence scientifique, les industriels ont publié de nombreuses fausses études par le biais de pseudo instituts aux noms classieux, prend le temps de développer Mélissa Mialon. Parmi les précurseurs de ce procédé : les lobbyistes du tabac. Dès les années 50, ils fondent notamment une officine pour semer l’incertitude, précieuse incertitude : le Council for Tobacco Research (CTR) située à New York (Etats-Unis). « En un peu plus de quarante ans, le CTR a dépensé 282 millions de dollars pour soutenir plus de 1 000 chercheurs qui ont publié quelque 6 000 articles « scientifiques ». Nombre de ces travaux ont permis de fabriquer et d’entretenir le doute sur les effets du tabac sur la santé, ou encore de changer l’image de la nicotine en mettant l’accent sur ses aspects positifs » retranscrit Le Monde dans son dossier « Comment le lobby du tabac a subventionné des labos français ».
Des pratiques d’antan ? Les pressions du lobby du tabac continuent plus timidement ici grâce aux mesures restrictives exigées par les associations, mais sans ménagement ailleurs : comme en Afrique, à travers intimidations et soudoiements. La pratique a par ailleurs fait son bonhomme de chemin jusqu’à, en outre, Coca-Cola qui finançait la science pour vendre ses sodas, ou l’industrie pharmaceutique, sclérosée en 2015 par près de 244 millions de dollars de soudoiement aux laboratoires.
Des industriels qui ont pleinement conscience des risques liés à leurs produits ultra-transformés ont donc délibérément soumis leurs marchandises toxiques à une population inavertie et ont activement poussée à leur consommation.
Pourtant, à cette réalité, comme pour le reste, combien répondent que les consommateurs sont seuls responsables de leurs sorts ? Aux débats d’opinions, Mélissa Mialon préfère substituer l’observation.
« Si personne n’achetait, ça ne se vendrait pas » ? Mais si ça ne se vendait pas, personne n’acheterait… Déjouer la stratégie du consommateur coupable sans abandonner la lutte.
C’est indéniable : il est indispensable que chacune et chacun trouve les moyens adaptés à sa condition de se détacher des produits industriels, pour soi-même, pour valoriser les productions locales, le respect des sols ou de son propre organisme, mais la démarche reste insuffisante, la machine est puissante. Elle s’est consacrée à devenir centrale, absorbante, indispensable, où qu’on aille, elle se dresse dans les petits détails de nos quotidiens, même les plus éveillés et marginaux qui soient.
Mélissa Mialon, dans Big Food & Cie, espère ainsi montrer que le déterminant commercial de la santé publique est crucial, puissant, mais surtout sévèrement omniprésent. On parle même d’« épidémie industrielle », confie l’ouvrage.
Par ce terme, la doctoresse entend : « les producteurs de matières premières (dont les géants du pétrole), les fabricants (d’aliments transformés, de cigarettes, de médicaments, etc.), les distributeurs (supermarchés, sites de vente en ligne, etc.) ». Sans oublier les parties tierces qui gravitent autour et alimentent le dispositif : « grossistes et détaillants, prestataires de services tels que les organisations professionnelles (qui représentent par exemple le secteur du lait, ou celui de l’alcool), les entreprises de relations publiques, les fondations philanthropiques, et certains instituts de recherches ». Des catégories qu’il convient d’adapter au type d’industriel concerné et au contexte local, précise l’ingénieure.
Pourtant, depuis quelques années, un adage laisse entendre que ces acteurs ne sont pas responsables de notre sort : ces géants n’incarneraient qu’une proposition parmi d’autres d’un modèle que nous, consommateurs, pouvons tout à fait décider d’éviter, voire de « boycotter ». Notre écrasant sentiment d’impuissance nous aurait-il contraint à imaginer, pour un peu de réconfort, que tout le pouvoir tenait finalement entre nos courses individuelles et distinctes, éparses, occupées, noyées, désinformées, face à des mastodontes dont la raison d’exister est de s’infiltrer chaque jour plus viscéralement dans nos vies…?
Les coulisses du système industriel dont nous sommes abreuvés sont bien plus complexes et manipulatrices qu’on aimerait se le dire. Quelle que soit notre propre capacité à relativement nous en détacher d’eux, nous serons seulement l’exception qui confirme la règle. Alors, comment en est-on arrivés à les innocenter d’un crime dont ils sont aussi évidemment coupables ?
Au crépuscule du siècle dernier, l’écrasante responsabilité des industriels a été minimisée, jusqu’à paraître insignifiante, grâce à une rhétorique pernicieuse. « Idéalement, ceux qui nous vendent des produits nocifs ne devraient pas pouvoir nous empoisonner » mais ils ont trouvé la parade : accuser le consommateur d’être seul responsable de sa consommation. Une invention aussi simple qu’efficace.
En effet, pourquoi ne pas mettre les séquelles d’un modèle bien rodé et tentaculaire sur le dos des cibles elles-mêmes ? Les multinationales, à nouveau sur le modèle des lobbys du tabac, ont revendiqué la « liberté » de leurs clients à consommer leur poison, et celle qu’ils détiendraient de s’en passer si bon leur semblait. Et ils ont investi le prix fort pour culpabiliser le consommateur. Ironique quand on sait l’appareil mis en place pour rendre le consommateur dépendant de ces produits.
En imputant toute la responsabilité à l’individu, cet autre insaisissable que nous sommes parfois, les industriels espèrent échapper à la sentence de l’opinion publique et, par voie de faits, à celle de la morale et de la justice. Le paradigme de la consommation a été renversé en faveur de leur toute puissance, et pourtant : les grandes compagnies qui, en toute conscience, imaginent, fabriquent, vendent et propagent à grands frais de marketing et lobbying des produits délétères, figurent bien en amont de notre marge de manœuvre.
Créer de toute pièce un consommateur totalement libre de ses choix, en dehors de tout contexte sociétal, temporel, de revenus, d’injustice sociale, d’inégalités, de lacunes, de désinformation, d’hégémonie du marché, n’effacera pas que personne ne se contamine, soi ou ses proches, de plein gré. Les industriels sont à l’origine chronologique, causale et idéologique de ce que nous mangeons, et consommons de manière générale.
Si en plusieurs décennies, aucun appel au boycott, aussi utile et nécessaire soit-il, n’a été en mesure d’arrêter l’ascension globale de ce modèle, ce n’est pas par manque de volonté, mais parce que leurs méthodes pour introduire les foyers sont subtiles et puissantes.
Les industriels se sont par ailleurs très concrètement érigés en lieux clefs de la vie urbaine et rurale. En s’imposant dans des zones stratégiques, ils ont opéré une réduction drastique des propositions alternatives à proximité des foyers, sur le plan géographique et temporel. Autrement dit, ils se sont construit un quasi-monopole spatio-temporel sur le secteur agroalimentaire en détruisant la concurrence locale à coups d’offres imbattables. Des offres qui ont trouvé preneurs grâce à l’absence, entre autres, de réponses publiques aux besoins citoyens, mais qui n’en sont pas pour autant des substituts désirables. A bien des égards, la solution peut s’avérer pire que le problème.
Big Food & Cie expose ces quelques coulisses et bien d’autres : de cas emblématiques et déjà fortement médiatisés, à la pléthore de stratégies peu ou pas connues dont on n’aurait pas eu idée… Le livre se présente ainsi comme un recueil de connaissances sur le sujet, permettant en quelques centaines de pages d’avoir enfin une vue d’ensemble claire, concise et quasi-complète sur cette problématique qui touche si directement à nos vies. Mais l’ouvrage ne se contente pas de faire le portrait de l’industrie mondiale : il délivre les secrets de son démantèlement.
Une porte de sortie ? Big Food & Cie a quelques idées…
Quelles autres perspectives s’offrent donc à nous ? Innocenter le consommateur, ne serait-ce pas fuir nos responsabilités, entretenir notre léthargie et le système actuel ? Devrions-nous donc ne plus faire aucun effort ? Au contraire, refuser d’être réduits à notre consommation, c’est réveiller notre pouvoir citoyen, bien plus puissant et efficace, conclue la doctoresse.
De toute évidence, il ne s’agit pas d’arrêter de réguler et modifier sa consommation pour son propre bien et en faveur de l’idéal qu’on aimerait voir dans le monde, mais de l’accompagner, enfin, d’un regard citoyen éclairé. Nous pouvons « et » consommer leurs produits quand rien d’autre ne nous semble possible – parce que c’est le bain dans lequel nous avons grandi et que nous revenons de loin -, « et » les accuser : le paradoxe n’est pas malsain, c’est le signe qu’il y a un problème, une crise, et que les lignes bougent pour le meilleur, que nous sommes en transition. Pendant un laps de temps incompressible, la volonté et la déconstruction paradigmatique précédent forcément l’action et nous plongent dans des contradictions heureusement dépassables. Loin de se victimiser ou de se dédouaner, le citoyen qui cible les industriels récupère tout son pouvoir d’agir et sort de sa condition formatée.
Comment s’y prend-il ? Plus qu’un ultime constat, Mélissa Mialon consacre la dernière partie de son livre à des solutions pratico-pratiques. Bien sûr : éduquer, informer, sensibiliser. Mais reprendre le contrôle de notre santé peut passer par des actions plus accessibles encore. Pour éviter les fausses pistes, être d’abord conscient des rouages du système industriel, apprendre à détecter ses discours même quand ils sont exprimés par des voies indirectes, c’est déjà la première étape.
Puis : interpeller nos politiques, engager des recours juridiques, rejoindre une association citoyenne, mettre en place et soutenir des alternatives, manifester ou témoigner pour rendre visible, s’indigner, dénoncer, s’emparer, repenser la santé, notre consommation, la place du travail, notre manière d’habiter, de cuisiner, l’inégalité entre femmes et hommes pour une solidarité domestique émancipatrice… tous les paramètres de notre modèle sont interdépendants.
Big Food & Cie donne des exemples d’actions citoyennes positives qui ont permis ces dernières années d’enrayer la machine. A défaut d’achever l’épidémie industrielle, leur détermination aura contrebalancé celle des lobbyistes, aussi intimidants soient-ils. Leur impunité a trop longtemps duré, et le moindre affront écrit une victoire pour la dignité du Vivant.
Un premier pas ? Lire Big Food & Cie représente à n’en pas douter une porte d’entrée efficace, extrêmement limpide et profondément émancipatrice, vers ces réflexions et actions éclairées. Un guide des Editions Thierry Souccar.
– S.H.