Une entreprise californienne a récemment développé un nouveau type de « cuir » végétal fabriqué à partir de champignons. Alors que l’industrie de la mode participe grandement à la crise climatique, cette innovation pourrait à terme contribuer à la réduction de l’empreinte écologique de la mode. Actuellement, ce produit est principalement utilisé dans la fabrication des articles de luxe, limitant son réel caractère durable. Ainsi, des voix s’élèvent déjà pour démocratiser son accessibilité et son usage. Les champignons révolutionneront-ils l’industrie de la mode ? Décryptage.

Alors que la maroquinerie représentait 15% du marché du luxe en 2019, selon le rapport Statista Consumer Market Outlook Luxury Leather Goods[1], les alternatives végétaliennes au cuir pourraient non seulement participer au développement du bien-être et de la cause animale, mais également contribuer à la réduction de l’empreinte environnementale de l’industrie de la mode.

Tannerie de cuir animal au Maroc @Andrea Arbia/Flickr

L’entreprise californienne de biotechnologie, MycoWorks, a récemment mis au point une nouvelle matière végétale et écologique constituée à base de mycélium, un matériau issu des champignons. Imitant l’aspect et le toucher du cuir animal, les produits à base de cuir de champignon ont le potentiel de révolutionner le futur de la mode. « C’est la première fois qu’une entreprise est capable de produire un produit végétal qui égale, voire dépasse, la qualité, la durabilité et l’esthétique d’un produit naturel. C’est une super réussite ! »[2], a déclaré Patrick Thomas, membre du conseil d’administration de MycoWorks.

Ce matériau innovant a déjà fait ses débuts dans le secteur de la haute couture. En mars 2021, la célèbre marque Hermès a présenté son nouveau sac Victoria, conçu à base de mycélium en partenariat avec MycoWorks. Une autre entreprise californienne de biotechnologie, Bolt Threads, a récemment collaboré avec Stella McCartney sur la création d’un sac à main en cuir végétal et a annoncé qu’il développait, en collaboration avec Adidas, une nouvelle gamme de Stan Smith produites à partir de mycélium.

 

Le mycélium fin : une alternative au cuir animal

Contrairement aux cuirs de champignon classique fabriqués à partir d’une mousse solide comprimée que le mycélium forme naturellement, mais qui n’ont pas le même aspect et toucher que les cuirs animaux et synthétiques, MycoWorks a créé un matériau à base de champignons développé à partir de cellules de mycélium modifiées, appelé mycélium fin.

Tel qu’expliqué par l’entreprise californienne[3], au fur et à mesure que les cellules se développent en structures tridimensionnelles, elles s’entrelacent densément pour former un matériau résistant qui égale la durabilité et les caractéristiques du cuir traditionnel.  Une fois le mycélium fin récolté, il est tanné pour imiter l’apparence et le toucher du cuir animal. Pouvant être produit en peu de temps, ce cuir végétal est traité en utilisant un produit chimique sans chrome, récupéré dans les eaux usées des tanneries.

 

Diminution de l’empreinte environnementale de l’industrie de la mode

La conception de ce nouveau cuir végétal intervient alors que les scientifiques et entreprises de la mode tentent de trouver des solutions innovantes pour répondre à la crise climatique et réduire leur empreinte environnementale issue de l’agriculture. La fabrication du cuir bovin a une empreinte écologique considérable, en raison de la déforestation et des émissions de méthane liées à l’élevage intensif. À lui seul, le secteur de l’élevage de bétail représente près de 15% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Par ailleurs, comme le rapporte Ecowatch, de nombreuses marques de prêt-à-porter, tels que H&M, Zara, Adidas, Nike ou Prada, participent directement à la crise climatique en s’approvisionnant en cuir auprès des tanneries et fabricants liés à la déforestation de l’Amazonie[4]. Et ce, sans compter la misère humaine sur laquelle repose leur recette.

Outre son origine végétale, le cuir de champignon peut être produit en pièces selon la forme et la taille spécifiques requises par les designers, et permet donc d’éliminer considérablement les déchets issus des secteurs du textile et de la mode.

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Enfin, comme le souligne M. Bayer, fondateur d’Ecovative, l’utilisation de ce cuir végétal pourrait non seulement réduire l’impact environnemental de l’industrie de la mode, mais pourrait également apporter une alternative écologique aux artisans qui ne sont pas en mesures de collaborer avec les entreprises biotechnologiques. Ainsi, si ces entreprises produisent suffisamment de mycélium fin, elles pourraient fournir aux petits artisans indépendants des matériaux premiers qui leur permettraient de s’éloigner du cuir animal, tout en conservant leur savoir-faire traditionnel et pratiques artisanales[5].

L’élevage de bovin est responsable de 15% des gaz à effets de serre de la planète. – Flickr

Un impact limité ?

Malgré les perspectives environnementales positives que pourrait apporter ce nouveau cuir végétal, des voix s’élèvent contre l’utilisation exclusive de ce matériau comme article de luxe. Pour avoir un impact substantiel sur la durabilité de l’industrie de la mode, il faudrait que le mycélium fin soit accessible à un public plus large, à des prix abordables. À cet égard, Matt Scullin, PDG de MycoWorks, a récemment déclaré au journal the Guardian, « Nous travaillons d’abord avec la mode de luxe parce qu’elle est en avance sur la courbe en matière de durabilité. Ce sont des marques qui sont actuellement en mesure de voir grand et de penser à long terme »[6]. Il précise cependant que des partenariats avec des marques plus abordables seront envisagés.

Par ailleurs, la production du cuir de champignons à grande échelle pourrait également diminuer la durabilité du produit. Bien que le cuir de champignon soit préférable aux cuirs animaux ou synthétiques sur le plan écologique, une marchandise de type industriel encourage toujours une production et une consommation intensives, qui in fine pourraient également avoir un impact négatif sur l’environnement. En outre, le caractère organique de ces nouveaux biens pourrait inciter les consommateurs à se détacher de ces produits comme de coutume, pensant que ces caractéristiques éthiques et écologiques diminueront forcément leur empreinte écologique : autrement dit, continuer de s’inscrire dans le tout-jetable, sans remise en question du modèle, voire de s’y enfoncer davantage par effet de déculpabilisation. Or, tout type de (sur)consommation entraine au cours du cycle de vie d’un produit un impact négatif sur l’environnement et la biodiversité.

Dès lors, il serait avant tout judicieux de déconstruire et limiter notre consommation, et ainsi d’éviter de tomber dans le piège de la fast-fashion, peu importe l’origine du produit. Une dimension dans laquelle il est nécessaire d’inscrire cette actualité.

– W.D.

 

 

[1] Statista, Luxury Leather Goods Report 2020, novembre 2020, disponible sur: https://www.statista.com/study/56841/luxury-leather-goods-report/

[2] Gamillo, E., “This mushroom-based leather could be the next sustainable fashion material” in Smithsonian Magazine, 6 décembre 2021, disponible sur: https://www.smithsonianmag.com/smart-news/this-mushroom-based-leather-could-be-the-next-sustainable-fashion-material-180979170/

[3] MycoWorks, Fine Mycelium : An advanced materials platform, disponible sur: https://www.mycoworks.com/our-products#what-is-the-fine-mycelium-process

[4] Rosane, O., “Could mushroom-based leather be high fashion’s next It material?” in EcoWatch, 2 décembre 2021, disponible sur: https://www.ecowatch.com/mushroom-based-leather-2655911456.html ; Rosane, O., “Major fashion brands such as Zara, H&M and Prada tied up to Amazon deforestation” in EcoWatch, 29 novembre 2021, disponible sur: https://www.ecowatch.com/fashion-leather-amazon-deforestation-2655881413.html

[5] Solá-Santiago, F., “Is mushroom “leather” the future of sustainable fashion? It’s complicated” in Refinery29, 3 décembre 2021, disponible sur: https://www.refinery29.com/en-us/2021/12/10787874/mushroom-leather-sustainable-fashion-future

[6] Cartner-Morley, J., “Californian firm touts “mushroom leather” as sustainability gamechanger” in The Guardian, 2 décembre 2021, disponible sur: https://www.theguardian.com/science/2021/dec/02/californian-firm-touts-mushroom-leather-as-sustainability-gamechanger?CMP=fb_gu&utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR0zPOTx5GiD1-4frdfXgBqXwSYizyU3hvilrSM09s8UszGfKDJBVjC6kM0#Echobox=1638428847

Photo de couverture @MrMondialisation à partir de (gauche) Tannerie de cuir animal au Maroc @Andrea Arbia/Flickr et (droite) Mushroom @Juan Martin Lopez/Unsplash

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