Ces dernières décennies ont été marquées par un effondrement brutal de la biodiversité. De quoi remettre profondément en cause notre relation au vivant, a fortiori en ces temps de pandémie. Pour Emmanuel Delannoy, le biomimétisme constitue une réponse concrète à la situation. Dans « Biomiméthique, répondre à la crise du vivant par le biomimétisme », il étudie les limites et les écueils de la conception actuelle de la transition écologique, avant d’exposer son approche éthique du biomimétisme, qui peut contribuer à l’avènement d’un autre rapport au vivant et d’un nouvel imaginaire collectif.

Depuis son émergence il y a une dizaine d’années, le biomimétisme a acquis une reconnaissance médiatique et institutionnelle non-négligeable. Ce concept consiste à s’inspirer de la nature pour écoconcevoir des produits, des procédés ou des systèmes, dans le respect des limites planétaires. Il est donc particulièrement indiqué pour répondre aux enjeux de notre époque, et il convient de s’en inspirer pour nouer un autre rapport au vivant. Car selon Emmanuel Delannoy, il n’y a pas de crise du vivant : il n’y a qu’une crise de notre relation au vivant.

 

Un biomimétisme éthique

Parmi les pionniers du biomimétisme en France, Emmanuel Delannoy explore, depuis plus de vingt ans, les zones de friction et les convergences possibles entre économie et biodiversité. Depuis 2018, il est associé fondateur de Pikaia, où il œuvre à favoriser la métamorphose des entreprises vers des modèles résilients, régénératifs et inspirés par le vivant. Il est déjà l’auteur de deux ouvrages publiés aux éditions Wildproject : L’économie expliquée aux humains (2011) et Permaéconomie (2016). Son dernier livre, « Biomiméthique, répondre à la crise du vivant par le biomimétisme », est publié aux Editions Rue de l’échiquier.

« Biomiméthique », publié aux éditions Rue de l’échiquier est le troisième ouvrage d’Emmanuel Delannoy

Dans cet ouvrage particulièrement inspirant, Emmanuel Delannoy expose sa vision d’un biomimétisme éthique. La « biomiméthique », selon le néologisme qu’il emploie, regroupe « un vaste ensemble de démarches de d’approches ayant pour objectif de faire « rentrer l’économie dans le vivant », par opposition à celle, dominante encore aujourd’hui, qui consiste à tenter par tous les moyens, jusqu’au plus douteux, de faire « rentrer le vivant dans l’économie », fût-ce au prix de graves conséquences. » Pour l’auteur, cette approche pourrait contribuer à l’émergence de solutions face aux crises que nous traversons.

 

Réparer le présent tout en préparant l’avenir

L’enjeu de cette vision biomiméthique est ainsi de rendre compatibles les flux induits par les activités économiques avec les flux du vivant. Cette exigence suppose de s’assurer la compatibilité de l’ensemble des matériaux et processus mobilisés par l’économie avec les capacités physiologiques de la biosphère, et de resynchroniser les flux économiques avec les cycles du vivant. D’après Emmanuel Delannoy, il ne s’agit plus aujourd’hui de polluer moins, ni même de ne plus avoir le moindre impact négatif, il convient d’aller plus loin en inversant les flux.

Au-delà de la réduction de notre empreinte, il faut aujourd’hui passer à une économie réparatrice. Par Jami Dwyer — https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1363210

Face aux dégâts déjà occasionnés, face à l’héritage des années d’insouciance ayant entraîné un emballement du changement climatique et un effondrement de la biodiversité, il faut aujourd’hui assumer la nécessité de réparer les dégâts. Il s’agit selon l’auteur d’une nécessité pratique, vitale et stratégique. « L’économie ne peut plus se contenter d’être « circulaire » ou « neutre en CO2 », elle doit désormais être régénératrice ou réparatrice, c’est-à-dire à externalités positives » affirme-t-il dans l’ouvrage. C’est la raison d’être de cette vision biomiméthique : réparer le présent tout en préparant l’avenir.

 

Permaéconomie

La première partie de l’ouvrage est consacrée à une critique de la conception actuelle, particulièrement galvaudée, de la transition, un terme qui sonne bien souvent désespérément creux. L’auteur se livre par exemple à une déconstruction bienvenue du mirage technologique comme réponse à la crise. D’après lui : « apporter une solution technique à un problème qui n’est pas de nature technique, c’est la quasi-certitude de générer en cascade de nouveaux problèmes. » En réalité, la question de fond n’est ni seulement technique, ni même d’ordre économique, elle touche aux fondamentaux anthropologiques et culturels de notre société et est donc éminemment politique.

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Dans un second temps, Emmanuel Delannoy s’emploie à décrire les conditions, valeurs et principes d’action d’une approche éthique du biomimétisme. C’est dans ce cadre qu’il détaille son idée d’économie de la (p)réparation, parfois appelée économie régénératrice, économie symbiotique ou encore permaéconomie (titre de son ouvrage précédent). Celle-ci repose essentiellement sur la quête de modèles économiques intégrant les externalités des activités. Si elles sont négatives, il faudra les maîtriser, voire de les inverser. Si au contraire elles sont positives, il s’agira de mettre au point les modalités commerciales et contractuelles du partage de la valeur.

 

De la prédation à la pollinisation

@Arnaud Gabriel/Flickr

Concrètement, cette économie peut s’appuyer sur les composantes de l’économie circulaire, comme les modes de production décarbonés et sobres en ressources, et sur des modèles économiques créatifs. Ces principes devront s’ancrer dans le tissu vivant, en y intégrant le souci, dans une perspective permaculturelle, d’enrichir le capital naturel, social et humain en tant que socle de la création de richesse pour l’avenir.

C’est ainsi qu’il sera possible de « passer d’une économie de la prédation basée sur la compétition à une économie de la pollinisation, fondée sur la coopération, les rétroactions à bénéfice mutuel et l’innovation immatérielle, organisationnelle et contractuelle ». Cette approche de l’économie, décorrélée de la croissance et mettant l’accent sur une prospérité à la fois plus organique, au service de l’humain et respectueuse des cycles du vivant, repose sur une vision systémique et biomimétique. Elle s’inspire en effet des dynamiques de rétroaction, de coévolution et de coopération qui confèrent aux écosystèmes leur productivité et leur résilience.

 

L’éloge de la diversité

Parmi d’autres conditions essentielles à l’avènement d’un autre rapport au vivant, Emmanuel Delannoy insiste sur la diversité, dont a besoin toute approche : « plus le nombre de modèles biologiques potentiels sera important, plus le gisement de sources d’inspiration sera riche. A l’inverse, chaque fois qu’une espèce disparaît, disparaissent avec elles les solutions qui auraient pu nous inspirer. » Plus globalement, la diversité est l’une des conditions essentielles de la résilience, de la capacité d’adaptation et des potentialités évolutives de tout système.

La (bio)diversité, l’une des conditions essentielles de la résilience. – Leslie Bowman on Unsplash

C’est pourquoi la diversité (humaine, sociale, culturelle, biologique ou écologique) doit être considérée non seulement comme une richesse, mais aussi comme une condition sine qua non de la convergence entre l’épanouissement humain et la préservation de la biosphère. Par ailleurs, s’il est essentiel de s’inspirer du vivant, l’auteur appelle aussi à le reconnaître pour sa valeur propre, indépendamment de toute utilité présente et future pour l’humanité.

 

Une nouvelle alliance avec le vivant

Selon la vision proposée par Emmanuel Delannoy, le biomimétisme peut donc répondre à de nombreux défis, et doit être « au service de la transition vers une économie décarbonée et régénératrice, d’une agriculture respectueuse des cycles du vivant et d’une restauration des sols et de la qualité des eaux ». Pour parvenir à cette nouvelle éthique, il appelle l’humanité à se détourner de cette quête de maîtrise qui caractérise la relation entre les humains et le reste du vivant depuis des millénaires.

@alenka-skvarc/unsplash

La vision biomiméthique peut au contraire contribuer à nouer une nouvelle alliance avec le vivant, qui implique bien entendu de renoncer à certaines des prérogatives que l’être humain s’est arrogé, comme celle du pouvoir de vie ou de mort sur les autres espèces. « L’humanité inventerait ainsi les protocoles qui lui permettraient de coévoluer activement ave le vivant, d’en récolter les fruits tout en lui laissant la marge de manœuvre pour évoluer et s’adapter au changement ». Cette vision contribuerait ainsi à l’émergence d’un autre rapport au vivant et d’un nouveau récit pour faire advenir un modèle de société capable de satisfaire les besoins réels et fondamentaux de façon compatible avec les limites de la biosphère.

Raphaël D.

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