Si la capitale colombienne peut évoquer la criminalité, l’engagement de ses habitant·es démontre à quel point Bogotá s’engage sur la voie d’un avenir plus serein qu’hier. La photo-journaliste Pascale Sury y a rencontré Andrea Defrancisco et Cristian Jean Pierre Melo, deux colombien·nes décidé·es à y faire vivre des initiatives collectives culturelles. Reportage.

À Bogotá, la prudence reste de mise : les habitant·es rappellent volontiers aux visiteur·euses de rester vigilants, d’éviter certaines rues ou de ne pas exhiber d’objets de valeur. Pourtant, derrière cette réalité persistante, la capitale colombienne révèle aussi un visage en mutation. Tandis que les violences les plus graves et le sentiment d’insécurité reculent, des initiatives culturelles et inclusives émergent avec force. Rencontres avec des acteur·ices locaux qui réinventent le lien social, en misant sur l’art, l’écologie et l’accessibilité.

Latin Latas : mettre les déchets en musique

La maison Latin Latas est un petit centre culturel de quartier qui a vu le jour grâce au dynamisme d’Andrea Defrancisco. Andrea, 45 ans, a décidé de conjuguer sa passion (la musique) et ses convictions socio-politiques pour en faire un métier.

Au contact de jeunes défavorisés de la capitale, elle a voulu donner du sens à son talent musical en recyclant les déchets des poubelles de Bogotá et en construisant des instruments de musique à partir de ceux-ci.

Photographie : Pascale Sury / Mr Mondialisation

Plus qu’un lieu culturel, Latin Latas mène un travail communautaire et social auprès des publics fragilisés. C’est aussi devenu un vrai groupe de musique de quatre personnes qui parcourent le monde pour sensibiliser sur des thèmes comme la consommation responsable, la défense des droits des animaux, les semences, l’eau, le vélo…

Avec l’art et la musique, le message qu’ils veulent faire passer au monde est : « Prendre soin de la vie » ! et d’éloigner un maximum de jeunes du recours à la criminalité.

Sin palabras : Un café pour personnes malentendantes.

Quelques rues plus loin, se trouve un café à destination de personnes sourdes et muettes. C’est une première en Colombie et le sixième dans le monde (après l’Angleterre, l’Espagne, la France, le Canada et le Nicaragua). Selon l’Institut national pour sourds, 1% de la population colombienne est atteinte de surdité, soit environ 495 880 personnes.

Photographie : Pascale Sury / Mr Mondialisation

Cristian Jean Pierre Melo a décidé de se lancer dans l’aventure en 2017, et le succès fut dès le début au rendez-vous :

« il y a énormément de personnes sourdes qui viennent, mais également beaucoup de gens valides qui sont heureux d’en apprendre plus sur la vie des personnes malentendantes. Et, cette fois, ce sont les personnes valides qui doivent s’adapter au monde de la surdité et pas l’inverse ! »

Dans ce café nommé Sin palabras (en français « sans paroles »), il y a un interrupteur à côté de chaque table pour signaler au serveur que l’on est prêt à passer sa commande. Un vrai bol d’air pour les personnes qui peinent souvent à bénéficier de structures adaptées.

Photographie : Pascale Sury / Mr Mondialisation

À Bogotá, de nombreuses initiatives témoignent d’une transformation sociale portée par un dynamisme culturel, collectif et inclusif. Des projets comme Latin Latas et Sin Palabras illustrent cette volonté de recréer du lien à partir de l’art, de l’écoute et du soin apporté à l’autre. Ce mouvement s’inscrit dans un contexte plus large : des programmes comme Es Cultura Local soutiennent des centaines d’initiatives de quartier, tandis que la Biennale BOG25 annonce un dialogue ambitieux entre art et espace urbain.

Ce renouvellement culturel prend également forme dans des lieux accessibles et ouverts comme le Centro Felicidad Chapinero, ou dans des appels à projets citoyens comme le Prix de la culture citoyenne 2025, qui valorise l’engagement local autour des droits, de l’écologie ou du vivre-ensemble. Malgré les tensions et inégalités encore présentes, ces dynamiques offrent des points d’appui concrets pour penser une ville plus inclusive et participative. Loin d’être anecdotiques, elles peuvent inspirer d’autres lieux en quête de résilience et de justice sociale.

– Pascale Sury & Mr Mondialisation

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Photo de couverture : Pascale Sury / Mr Mondialisation

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