Tout juste un peu plus d’un an après l’Impeachment qui a destitué la présidente Dilma Rousseff, le Brésil est toujours dans la tourmente. Un an de troubles, marqué par un climat de tensions palpables, de scandales, de divisions et par de nombreuses manifestations. Mais le vendredi 28 avril dernier, plus qu’une manifestation, c’est la grève générale qui a paralysé le pays. Durant une journée, le Brésil a paradoxalement retrouvé une certaine unité, pour faire barrage aux réformes controversées du gouvernement Temer. Un moment historique pour le pays puisque l’ensemble des secteurs de l’économie brésilienne et des syndicats se sont réunit pour s’opposer aux réformes de la retraite et du code du travail, qui menacent de rendre la situation encore plus intenable pour la population brésilienne. Une grève générale au delà de la logique de partis qui a divisé le pays ces dernières années, puisqu’elle a rassemblé pas loin de 40 millions de brésiliens, selon les syndicats. 


Fora Temer, retour sur un coup d’état parlementaire

« Le Brésil n’est pas pour le débutant », voilà comment les brésiliens résument la situation de leur pays, tant elle est difficile à comprendre de l’extérieur. Dix jours avant la destitution de la présidente, l’année dernière, Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS, avait utilisé cette métaphore plutôt parlante dans un article pour le Huffington Post :
« Le Brésil est en ces premiers mois de 2016 tourneboulé. La présidente, Dilma Rousseff, son prédécesseur Luiz Inacio Lula da Silva, sont les personnages d’une telenovela (un feuilleton) des plus réalistes. Le scénariste, en robe noire, est le petit juge d’un État périphérique, le Parana. Il s’appelle, Sergio Moro. Dans un jeu de loi impitoyable, « le juge » essaie d’envoyer dans la case prison, l’un ou l’autre. Qui jusqu’à présent ont réussi à sauter la case fatidique. Chaque jour apporte son lot de rebondissement dans une série qui pourrait s’appeler « Brasilia » (capitale du pays, siège des institutions). Mais qui porte le nom plus trivial et mystérieux de « Lava Jato », laverie automatique (de véhicules). »

Rappelons-le, la présidente Dilma Rousseff du PT (parti des travailleurs), élue le 26 octobre 2014, a été destituée le 31 août 2016 par un Impeachment. Un coup d’état ? Oui, mais un coup d’état invisible, sans action militaire. Un renversement pur et simple de la présidente, sur fond de trahison. C.C, chercheuse, militante et gréviste aujourd’hui, tente de nous expliquer ce qu’il s’est passé : « Temer c’était le Vice-Président. Pour gagner les élections, le PT a dû faire alliance avec le PMDB – Parti du mouvement démocratique brésilien -, le parti du centre-droit. Rien de nouveau puisque le PMDB est le parti qui se retrouve toujours dans le gouvernement, peu importe son projet. Mais avec cette alliance, ils ont tout compliqué. On ne peut pas contester que c’est un coup d’état, c’était une destitution illégale. Ils ont tout fait pour faire croire que Dilma avait commis un crime de corruption mais, une semaine après la destitution, ils ont passé une loi pour dire qu’en fait l’acte en question n’était plus considéré comme un crime. »

Voilà qui donne le ton. Pour changer d’orientation politique sans avoir recours à des élections, les députés et sénateurs auraient donc tout simplement choisi une option plus simple : chercher dans la constitution ce qui allait permettre ce changement. Ils ont trouvé le « crime en responsabilité » qui est un crime contre la Constitution, seul motif d’Impeachment. La procédure, ouverte par un vote du Congrès le 17 avril 2016, a été achevée par le Sénat le 31 août 2016. Michel Temer a donc pris le pouvoir sans consultation électorale. L’enjeu de la destitution semblait en fait relever de questions stratégiques. Une belle façon de pouvoir appliquer sans encombres un plan déjà pensé avant la destitution de la présidente. Car quelques mois avant le coup d’état parlementaire, en octobre 2015, le PMDB avait déjà publié « Un pont pour le futur », un ensemble de mesures censées redresser le pays. Un programme à base de réduction des dépenses publiques, plan d’austérité, d’élévation de l’âge de départ à la retraite, de remise en question du Code du travail… Un condensé d’austérité sur fond de libéralisme triomphant que traverse également l’Europe aujourd’hui.

Mídia NINJA / Flickr – Occupation urbaine dans le quartier de Capao Redondo, au sud de São Paulo.

Un bon en arrière, tant économique, social que démocratique

« Au Congrès aujourd’hui, il y a une grande majorité de corrompus qui ne représentent personne. », nous dit notre militante C.C. « Les mesures ne sont pas prises pour nous, le peuple, mais pour les patrons des industries et de l’agrobusiness. Le gouvernement Temer est déjà rejeté par la grande majorité de la population (92%), personne ne l’approuve. Les partis au Brésil sont en crise. Le PT, né de mouvements sociaux, a déçu une grosse partie de la gauche avec ses mesures néo-libérales, et a du mal à représenter le projet de la gauche, un peu comme le PS en France qui n’est plus du côté du peuple. Le gouvernement de Dilma ça n’était pas l’idéal non plus, les réformes qu’ils veulent passer aujourd’hui ça a commencé avec elle. Mais avec Lava Jato, la commission qui s’est formée pour mettre en prison tous les corrompus, c’est une dictature judiciaire qu’ils ont installée dans le pays. »

Il est vrai qu’on assiste à une réelle justice à deux vitesses depuis quelques mois dans le pays. Une justice qui serait plus désireuse de s’intéresser aux faits et gestes des membres du PT que des autres partis, PMDB en tête. Par exemple, l’ex-président Lula, qui monte dans les sondages pour les élections 2018, est régulièrement la cible d’interventions musclées et d’enquêtes. À côté de ça, l’ex-président du Congrès, Eduardo Cunha (PMDB), n’a jamais fait l’objet de poursuites pour « crime de responsabilité », alors même que sa détention de comptes bancaires non-déclarés en Suisse avait été avérée. D’autres, comme Aécio Neves (PSDB) ou Serra (PSDB) n’ont jamais perdu leur immunité parlementaire.

C’est dans ce climat plutôt sordide que Temer a initié une série de mesures d’austérité, malgré une côté d’impopularité à faire froid dans le dos. Il a tout d’abord fait approuver par le Congrès le gel des finances publiques sur une durée de 20 ans. Puis, il s’est attaqué à la question de la retraite et à celle du code du travail. Il est question actuellement d’élever âge de départ à la retraite à 65 ans, avec 49 années de cotisation. Ce mercredi 26 avril, les députés ont voté une réforme de la Loi Travail du Brésil. Une loi qui a été envoyée en urgence au Sénat, avant la grève. Pas moins d’une centaine de droits ont été retirés avec cette réforme. On peut y retrouver de véritables scandales comme l’instauration de la journée de 12h de travail, la réduction de la pause déjeuner à 30 minutes maximum, la possibilité de licencier les employés puis de les réembaucher avec un salaire plus bas, l’affaiblissement des accords collectifs et des syndicats, et autres joyeusetés au service des entreprises.

Autre phénomène que prévoit cette réforme du travail, le renforcement du « Terceirização » qui équivaut à notre système de travail intérimaire. Le but du gouvernement ? Que la majorité des entreprises et institutions passent par cet intérim, ce qui permettrait de sortir le cadre du travail des accords sociaux entre patrons et travailleurs, au détriment des derniers. Avec ce système, les patrons n’auraient plus l’obligation d’embaucher les travailleurs qui perdraient donc leurs droits acquis et protégés par la loi. Une précarisation à marche forcée du monde du travail sur le modèle Uber, mais avec la connivence et l’aide du pouvoir.

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Photographie : Lunae Parracho/Reuters/VEJA

D’autres injustices semblent être immuables

Le Congrès a également été attaqué sur un autre front la semaine dernière. Le 25 avril dernier, c’est une gigantesque procession funéraire qui a été organisée par environ 3000 manifestants autochtones. Des cercueils pour symboliser un problème d’une ampleur terrible puisque chaque année des dizaines d’autochtones meurent sous le poids du lobby de l’agrobusiness, dans des conflits fonciers qui les opposent aux agriculteurs. Si la manifestation était pacifiste, elle a néanmoins été réprimée à grand coup de gaz lacrymogènes, coupant court à tout dialogue. Les droits des autochtones, pourtant garantis par les Nations Unies et par la Constitution brésilienne, n’ont jamais été respectés, par aucun gouvernement. Ils demandent le partage des terres et une démarcation claire qui leur permettrait d’assoir leur présence, sans craindre les expulsions de plus en plus nombreuses, toujours sur fond de corruption et de clientélisme.

Car, en pratique, les expropriations et déplacements des autochtones continuent, au nom de l’exploitation industrielle des ressources. Il semble en effet que Michel Temer, le président par intérim, ne puisse rien refuser aux lobbies agro-industriels, avec des conséquences majeures sur l’environnement du Brésil déjà malmené depuis plusieurs années. « Nous sommes au bord d’une catastrophe environnementale sans précédent » témoigne Christian Poirier, de l’ONG Amazon Watch. Le 11 avril dernier, le gouvernement s’engageait dans la construction d’une exploitation minière dans une réserve naturelle d’1,1 million d’hectares pourtant protégée depuis 30 ans. Des territoires indigènes très convoités depuis toujours où (sur)vivent plusieurs tribus. Aujourd’hui, ceux-ci risquent l’expulsion pure et simple. Le paysage, lui, sera rasé afin d’en extraire les précieuses ressources.

Ainsi, le Brésil semble en proie à une véritable crise démocratique, institutionnelle, où les intérêt du peuple et de la planète sont sans cesse relayés au second plan, derrière les intérêts économiques de grands groupes. Un changement des institutions politiques est désormais plus que nécessaire pour sortir le Brésil de l’impasse de son système politique, rongé par la corruption. Le documentaire d’Arte, Brésil : le grand bon en arrière, détaille de façon limpide ce problème.

Mais, en attendant que les institutions du pays changent, comment s’accommoder d’un gouvernement qui ne se soucie plus de sa population ? Comment résister quand l’intérêt privé des grands détenteurs de capitaux prend autant de pouvoir ? Cette journée du 28 avril 2017 a marqué tous les esprits, tant l’enjeu est immense. Les prochaines semaines risquent d’être décisives pour la population brésilienne…


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