Ce n’est plus une surprise, l’industrie du plastique participe directement au réchauffement climatique, avec en cause notamment la croissance des déchets plastiques dans notre environnement. Chaque année, plusieurs millions de tonnes de plastique sont rejetées dans nos océans, détériorant considérablement les différents écosystèmes marins et leur biodiversité et affectant indirectement notre santé en se retrouvant dans notre chaîne alimentaire[1]. Parmi les secteurs industriels impliquant l’utilisation du plastique, le secteur de l’emballage à usage unique est responsable d’une part conséquente de la production et pollution plastique mondiale[2]. À cet égard, bien que de nombreuses réglementations ont été adoptées à travers le monde pour réduire l’utilisation du plastique à usage unique, un rapport de WWF publié en 2019 prévoit que la production globale de plastique augmente de 40% d’ici 2030[3]. Pour partiellement lutter contre la pollution issue des plastiques à usage unique, des chercheurs de l’Université de Cambridge ont récemment développé un plastique alternatif à base de soie d’araignée végane. Décryptage.
Une équipe de chercheurs du département de chimie de l’Université de Cambridge vient de mettre au point un matériau à base de plantes, durable et évolutif, qui pourrait prochainement remplacer les plastiques à usage unique dans de nombreux produits de consommation. Alors que les recherches concernaient principalement l’étude des interactions irrégulières entre les protéines impliquées dans le développement de la maladie d’Alzheimer, le professeur Tuomas Knowles en charge de cette étude s’est déclaré surpris et ravi que « ces recherches pouvaient également s’attaquer à un grand problème de durabilité : celui de la pollution plastique »[1].
Ce nouveau matériau, appelé soie d’araignée végane, est composé d’un film polymère qui imite la véritable soie d’araignée, l’un des matériaux naturels les plus résistants, sans pour autant reposer sur un produit d’origine animale. Grâce à une résistance comparable à de nombreux plastiques répandus dans nos foyers, cette imitation de soie d’araignée pourrait remplacer à terme le plastique présent dans nos produits ménagers ou dans les emballages des produits alimentaires. La découverte est déjà à deux doigts d’une application à échelle industrielle.
Propriétés de la soie d’araignée végane
Cette soie végane a été créée à l’aide d’une nouvelle approche consistant à assembler des protéines végétales de façon à ce qu’elles puissent reproduire de la soie au niveau moléculaire. Dans le cadre de ces recherches, le professeur Knowles et son équipe se sont intéressés à la dureté et à la haute résistance de la soie d’araignée malgré ses faibles liaisons moléculaires et ont constaté que « l’une des caractéristiques clés qui donne à la soie sa force est la disposition régulière dans l’espace des liaisons d’hydrogène à une très haute densité »[1].
Par ailleurs, l’intérêt de développer les projets impliquant ces protéines naturelles est que celles-ci ont une facilité naturelle à l’auto-organisation moléculaire et à l’auto-assemblage. Dès lors, présentes de manière abondante, les protéines végétales pourraient être obtenues durablement comme sous-produits de l’industrie alimentaire (déchets). Pour Rodriguez Garcia, membre de l’équipe de recherches, cette découverte est encourageante et pourrait offrir une réelle alternative écologique. En effet, « alors que d’autres chercheurs ont travaillé directement avec des matériaux de soie comme alternative au plastique, ils ont toujours travaillé avec des produits d’origine animale. Avec la réalisation d’une soie d’araignée végane, nous avons créé le même matériau sans l’araignée ».
Son processus de création implique une méthode économe en énergie qui se base exclusivement sur des composantes et produits durables. Par ailleurs, en plus d’être résistant à l’eau, une couleur « structurelle » qui ne s’estompe pas peut également être ajouté à ce polymère artificiel de manière à lui donner la teinte souhaitée.
Pouvant être fabriquée à échelle industrielle, la soie d’araignée végane devrait être commercialisée par Xampla, société spin-off de l’Université de Cambridge qui a pour but de développer des produits alternatifs aux plastiques et microplastiques à usage unique. L’entreprise introduira prochainement une gamme de sachets et capsules à usage unique qui remplaceront certains produits ménagers du quotidien tels que les tablettes pour lave-vaisselle et capsules de détergent à lessive.
Une alternative 100% écologique mais…
Alors que les emballages étaient responsables à eux seuls de 46% des 340 millions de tonnes de déchets plastiques produits dans le monde en 2018, la demande alimentaire risque de doubler d’ici 2050, entraînant une augmentation conséquente des déchets plastiques à usage unique[2] au moment même où l’humanité est dépassée par la problématique. À l’heure où une grande majorité du plastique consommé est un plastique à usage unique, non recyclable et non biodégradable, la soie d’araignée végane apparaît comme une réelle alternative d’urgence pour luter contre cette pollution.
Outre son faible coût énergétique de production et une utilisation de matières premières durables et écologiques, cette soie végétale est 100% biodégradable et peut être compostée à la maison sans condition industrielle. Cet aspect est particulièrement encourageant en ce qu’il offre une nouvelle alternative à l’essor des plastiques d’origine végétale nécessitant toujours d’être compostés par des procédés industriels.
Pour adéquatement s’attaquer aux dommages environnementaux colossaux issus de la pollution plastique, il est aujourd’hui essentiel de développer des matériaux alternatifs durables, 100% recyclables ou biodégradables. La soie d’araignée végane semble cocher toutes ces cases. Sommes nous sauvés d’affaire pour autant ? Il convient de rester alerte devant ce qui pourrait devenir un énième miroir aux alouettes dans les mains des grandes marques. La question de la pollution mondiale aujourd’hui n’est pas qu’un problème technique, mais aussi et surtout un problème de civilisation, de mode de vie et de choix de société. Le tout jetable en fait définitivement partie.
En d’autres termes, remplacer des milliards de tonnes de plastiques jetables par des milliards de tonnes de plastiques jetables « bio » ne risque probablement pas de sauver la planète, mais avant tout des intérêts économiques. Ainsi, on imagine mal un monde où les 100 milliards de bouteilles de Coca-Cola produites chaque année dans le monde seraient jetées dans l’environnement après consommation comme de vulgaires peaux de banane. Dans une société idéale et résiliente, nous devrions à la fois promouvoir des solutions durables tout en évitant de gaspiller à la source des ressources en quantité limitée. Et ceci semble difficilement réalisable dans un cadre ultra-productiviste axé sur la croissance infinie de la consommation.
[1] University of Cambridge, “vegan spider silk provides sustainable alternative to single-use plastics” in EurekAlert, 10 Juin 2021, disponible sur https://www.eurekalert.org/pub_releases/2021-06/uoc-ss060721.php
[2] Dhakal, H., “New vegan spider silk could help solve our plastic problem” in EcoWatch, 14 Juin 2021, disponible sur https://www.ecowatch.com/vegan-spider-silk-2653373607.html#toggle-gdpr
[1] X, “Researchers create plastic alternative from vegan spider silk” in New Food Magazine, 14 Juin 2021, disponible sur https://www.newfoodmagazine.com/news/150337/vegan-spider-silk/
[1] Parlement Européen, Pollution marine : données, conséquences et nouvelles règles européennes (infographie), 12 Octobre 2018, disponible sur https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20181005STO15110/pollution-marine-donnees-consequences-et-nouvelles-regles-europeennes
[2] Jacque, M., « La crise du plastique en dix graphiques » in LesEchos, 4 Mars 2020, disponible sur https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/la-crise-du-plastique-en-dix-graphiques-1181798
[3] WWF, Pollution plastique : À qui la faute ? Identification des défaillances systémiques et présentation du scénario zéro plastique dans la nature en 2030, Mars 2019, disponible sur https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2019-03/20190305_Rapport_Pollution-plastique_a_qui_la_faute_WWF.pdf