Néonicotinoïde, parquat, dichloropropène, atrazine,… En tout, 41 types de pesticides dangereux pour la santé humaine ou l’environnement sont exportés par l’Union européenne dans d’autres pays du monde. Ironie de la mondialisation, ces substances interdites sur notre territoire reviennent dans nos assiettes sous forme de résidus par le biais des produits de consommation que nous importons. Alors que la Commission européenne plie face au lobby de l’agrochimie, plusieurs associations du secteur appellent à l’arrêt de ce commerce toxique et destructeur.
En 2018, l’Union européenne (UE) approuvait l’exportation de plus de 80 000 tonnes de pesticides interdits sur son sol en raison de craintes sérieuses pour l’environnement et la santé humaine, cumulant au total un chiffre d’affaire de près de 5,8 millions d’euros de produits phytosanitaires en tout genre.
Un commerce toxique et hypocrite
Ces chiffres, publiés par l’ONG suisse Public Eye dans un rapport intitulé Highly hazardous profits, ont alors révélé l’ampleur d’un commerce toxique et hypocrite. Alors que la législation européenne se montre de plus en plus protectrices des consommateurs et de l’environnement de l’exposition à des produits phytosanitaires potentiellement dangereux, elle n’interdit ni sa production ni son exportation à l’étranger.
Cette année-là, le Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas, l’Allemagne, la France, la Belgique et l’Espagne cumulaient à eux seuls plus de 90% des exportations. Ces 41 substances interdites sur nos sols s’envolaient alors à destination de 85 pays, dont les trois-quarts d’entre eux étaient des pays en voie de développement ou émergents.
En tout, c’est une trentaine de sociétés, dont la firme bâloise Syngenta, l’américaine Corteva, les allemandes Bayer et BASF ou l’italienne Finchimica qui a fabriqué et exporté ces produits à destination des parcelles agricoles du monde entier.
Incohérence politique
Pour les associations du secteur, ce commerce est une aberration sociale et environnementale. Mais si certains pays comme la France ont décidés d’interdire ces exportations écocidaires, l’Union européenne tarde encore à prendre une décision univoque. Pour Jonas Jaccard, responsable plaidoyer chez SOS Faim, une association belge de soutien de l’agriculture paysanne à travers le monde, la Belgique agit en particulier « dans une incohérence totale en continuant de vendre à l’étranger des pesticides mortels dont elle ne veut plus chez elle. Elle a une responsabilité directe sur les dégâts que ces pesticides dangereux engendrent sur l’humain et l’environnement. »
Aux côtés de plusieurs associations militantes pour une agriculture respectueuse de l’environnement et de la paysannerie, comme le Fian Belgique ou Ile de paix, SOS Faim lance une campagne de sensibilisation dénonçant les impacts de ce commerce nauséabond intitulée, Interdits ici, exportés là-bas, mortels partout.
Ensemble, ces organisations espèrent alerter les pouvoirs publics et les pousser à l’action : « au niveau européen, une réforme en cours prévoit d’imposer une réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides. Pourtant, si l’UE ambitionne de réduire sa dépendance aux pesticides, rien n’est fait pour le Sud global. C’est ce double standard européen que nous dénonçons. Si ces pesticides sont interdits ici, ils ne peuvent être vendus là-bas ! », rapportent-ils.
Les agriculteurs : premières victimes
Au delà d’un manque de cohérence évidente, c’est aussi tout un système mortifère que ces associations veulent mettre sur le devant de la scène : « alors que dans de nombreux pays du monde, les paysans et paysannes plaident pour une transition accélérée vers l’agroécologie, la disponibilité massive de pesticides à laquelle contribue la Belgique et l’UE perpétue le modèle actuel destructeur de l’environnement, de la biodiversité et de la santé des agriculteurs et des consommateurs », explique SOS Faim. L’usage des pesticides ne cesse ainsi d’augmenter depuis les années 1990, en particulier dans les pays du Sud.
La situation du Brésil illustre parfaitement ce phénomène. Là où les cultures de soja et de canne à sucre alimentent l’Europe, les pesticides interdits sur le sol européen sont légion. Selon SOS Faim, 44% des pesticides en circulation dans le pays ne sont pas autorisés dans l’UE.
3 millions d’empoisonnements chaque année
Couplés à un manque de protection adaptées, une absence de formations adéquates et d’une autorité de contrôle inefficace, « plus de 5 600 brésiliens et brésiliennes sont empoisonnés chaque année à cause des pesticides et plus de 1800 y succombent », regrette l’association belge.
« Pareil en Asie, surtout en Inde, où c’est une catastrophe, car les conditions d’utilisation y sont désastreuses pour les agriculteurs qui utilisent bien souvent ces produits sans aucune protection et sont régulièrement victimes d’intoxications aigües », ajoute Laurent Gaberell, expert des questions d’agriculture et d’alimentation au sein de Public Eye, qui a accordé une interview à SOS Faim en 2020. L’OMS décompte quant à elle près de 3 millions d’empoisonnements aigus chaque année à cause de l’utilisation de pesticides dangereux, conduisant à près de 220 000 morts annuelles l’échelle mondiale.
Pesticides infiltrés…
Au delà d’un désastre humain et social, l’utilisation de ces pesticides implique également la destruction d’une biodiversité indispensable à la survie de notre système agricole et de la société humaine. « Les dégâts environnementaux suite à l’utilisation massive de pesticides sont de plus en plus visibles », assure SOS Faim qui dénonce notamment la contamination des eaux et des sols et la perte d’un nombre vertigineux d’espèces. Par exemple, « les néonicotinoïdes ont finalement été reconnus comme étant grandement responsables de la mort massive des abeilles dans le monde entier », illustre Générations futures dans son rapport Pesticides et biodiversité de 2019.
… Jusque dans nos assiettes
Bien qu’exportés à l’autre bout du monde, ces pesticides nocifs pour la santé humaine et environnementale finissent également par atteindre les consommateurs européens. Traversant les chaines alimentaires, ils parviennent ainsi à se frayer un chemin jusque dans nos assiettes.
En ce sens, Public Eye assure ainsi avoir constaté que 20% des importations alimentaires en Suisse contiennent des résidus de pesticides interdits.
« Nous avons principalement détecté le Profenofos, une substance de la même famille que le Chlorpyrifos. Ce sont des neurotoxiques connus pour leur capacité à endommager le développement du cerveau », détaille l’association à SOS Faim.
« De plus, les recherches révèlent qu’un seul aliment peut parfois contenir 5, 8, 10 résidus différents pesticides interdits. Un test sur un échantillon de poivron vietnamien a démontré que cet échantillon contenait 15 différents pesticides interdits ».
Pour lutter contre ce fléau, plusieurs organisations appellent à l’arrêt complet de la production, du stockage et de l’exportation des pesticides interdits par l’Union européenne en Belgique et ailleurs. Pour les soutenir dans cette démarche, vous pouvez signer leur pétition.
– L.A.