Il y a quatre ans, Aurélie Delahaye a décidé de tout lâcher : CDI, appartement, Paris et son entourage… avec comme objectif d’aller à la rencontre des gens, et de les rendre heureux. Rien que ça ! De Berlin à Lisbonne, elle a remis en question ses a priori pour mieux s’ouvrir aux autres et trouver de la joie dans la simplicité. Elle a auto-publié l’an dernier un livre que nous avons soutenu et qui s’apprête à avoir une deuxième vie, désormais avec un éditeur : « Embrasser l’inconnu » aux Éditions Anne Carrière dans lequel elle raconte de manière inspirante et touchante son aventure humaine. Interview.

Mr M. : Tout plaquer, pour rendre les gens heureux : pourquoi avez-vous décidé de vous embarquer dans une telle aventure du jour au lendemain ?

Aurélie D. : Parce que je n’ai jamais su faire semblant, sans doute. J’ai expérimenté des métiers différents dans des entreprises différentes (et chouettes pour la plupart), mais je finissais toujours par manquer de sens. Je ne voyais pas l’utilité, à l’échelle humaine et de la planète, de ce que nous faisions dans la plupart des entreprises. Je ne me sentais pas complètement à ma place. À un moment il m’a fallu me rendre à l’évidence : soit je continuais à aller d’expérience en expérience en risquant de ne jamais découvrir pour quoi j’étais vraiment faite, soit je rebattais complètement les cartes pour savoir ce qu’il y avait au fond de moi. J’ai choisi la deuxième option : j’ai quitté mon travail, mon appartement, Paris, mes amis et ma famille et je suis partie à l’aventure !

J’ai choisi de créer un projet pour “rendre les gens heureux” parce que je savais qu’en plaquant tout, il fallait que j’aie quelque chose à quoi me raccrocher, sinon, le risque, c’est de ne rien faire et de tomber dans la déprime. J’avais tout à découvrir, mais il y a une chose que je savais, c’est que j’aimais aider les autres et leur apporter un peu de bonheur. Je voyais aussi que je n’étais pas la seule à manquer de sens, tant de gens étaient malheureux au travail et avaient du mal à trouver leur voie, d’autres se résignaient en se disant que « de toute façon le travail ça n’est pas fait pour être heureux » et que c’est normal que ce soit si dur. Et puis, il n’y a pas que le travail… Il y a l’amour, les passions, les loisirs et dans ces domaines-là aussi, je sentais qu’il y avait beaucoup à faire pour que les gens se libèrent et osent, non pas entreprendre de grandes choses, mais tout simplement des projets qui les rendent heureux.

Mon projet s’appelle “Ordinary Happy People” (Gens Ordinaires et Heureux) parce que je voulais justement m’éloigner de la notion d’extraordinaire et de succès. Je voulais montrer qu’être heureux est à la portée de chacun de nous, avec les trésors qu’il a autour de lui et au fond de lui.

Crédit image : Ordinary Happy People

Ce projet est donc avant tout une démarche individuelle destinée à vous libérer. Mais de quoi exactement ?

Je dirais plutôt “solitaire” et pas individuelle. Effectivement, je n’aurais pas pu me lancer dans cette démarche avec d’autres, il me fallait être seule pour pouvoir écouter en profondeur ce qu’il y avait à l’intérieur de moi, pour pouvoir aussi faire les choix que j’avais envie de faire, et uniquement ceux-là, et les assumer seule. Je voulais être libre, en somme. J’avais décidé de ne pas faire de plan, de ne pas avoir d’objectif et de naviguer à l’instinct uniquement.

Mais cette aventure était aussi profondément collective. Je n’aurais jamais tenu sans les autres : le soutien de mes amis, des gens heureux que je croisais au gré des rues, des inconnus qui trouvaient du sens dans mon projet.

J’ai compris grâce à mon éditeur que je cherchais avant tout à me libérer de ma vision du travail, de celle qu’on m’avait inculquée depuis toute petite, dans ma famille et à l’école. Par exemple, on sait “qu’on doit trouver un travail rentable dans la vie”. Et on commence par se demander : “si je fais tel travail, comment vais-je pouvoir en vivre ?” ou “je me dirigerais bien vers telle activité, mais je sais qu’on ne peut pas en vivre, alors je vais plutôt choisir telle autre voie”. Au fur et à mesure de ce voyage, je me suis complètement libérée de cette idée. J’ai appris à faire ce que mon cœur me disait de faire et ce pour quoi je suis vraiment faite. Et j’ai appris à vivre avec. En divisant mon budget par quatre et en trouvant des solutions. Aujourd’hui je me sens plus riche que jamais !

Je souhaitais aussi me libérer de mes craintes et barrières, du regard de la société et même des gens qui m’entourent, de ce que l’éducation m’a transmis. Cela ne veut pas dire que j’ai rejeté quoi que ce soit. L’éducation que j’ai reçue m’a forgée, mais j’ai appris à m’en servir autrement.

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Comment vous êtes-vous préparée à votre voyage ?

J’ai pris le temps. J’ai d’abord quitté mon job. Puis, j’ai décidé de sous-louer mon appartement avec l’accord de ma propriétaire. Si j’étais en train de faire une bêtise, il fallait que je puisse faire machine arrière sans trop de frais. J’ai choisi deux destinations à l’instinct, Berlin et Lisbonne, et j’y ai cherché des colocations sympathiques, pour être bien entourée.

Puis j’ai commencé à me délester du matériel : pour faire de la place au couple qui allait sous-louer mon appartement, je me suis séparée d’une grande partie de mes affaires. Cela m’a fait un bien fou. J’ai laissé le passé s’en aller pour faire de la place au présent. Et j’ai fini par préparer ma valise, en choisissant soigneusement le peu de choses que j’allais pouvoir emmener avec moi : quelques précieux livres qui m’aideraient à surmonter les moments difficiles, trois ou quatre tenues pour affronter tous les temps et deux ou trois petits objets qui m’accompagneraient pour le projet ou juste pour me donner le moral.

Ensuite, il a fallu faire avec le regard inquiet, voire désapprobateur, de vos proches !

“Désapprobateur” c’est sans doute un peu fort. Disons qu’ils étaient dans l’incompréhension et l’inquiétude. Mais j’imagine assez bien que l’on soit inquiet ! On vit dans une société où trouver un travail est compliqué et être en sécurité physique, morale et affective n’est pas toujours donné. Alors quand on quitte un CDI pour quelque chose d’aussi farfelu que “rendre les gens heureux”, les proches se demandent si une fois que cette folie nous aura passé on ne va pas se retrouver sans travail ni salaire. Et puis, on a encore l’idée que lorsqu’on est une femme c’est plus difficile de partir à l’aventure : il peut nous arriver malheur à tous les coins de rue… En réalité, j’ai subi beaucoup plus d’agressions en vivant à Paris qu’en allant parler aux inconnus aux quatre coins de l’Europe et de la France.

Je dirais qu’il faut savoir composer avec ce regard d’incompréhension et d’inquiétude. J’ai d’abord choisi de m’en éloigner dans un premier temps, c’est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas restée à Paris pour créer mon projet. Car je ne vais pas vous mentir : moi-même j’étais un peu inquiète alors j’aurais été bien incapable de rassurer mes proches. Je pense que leur inquiétude m’aurait gagnée et j’aurais fini par reprendre “un travail normal”.

Et ensuite, j’ai fait confiance. J’ai la chance d’avoir une famille aimante, je savais que nos désaccords ne nous empêcheraient pas de nous aimer. J’ai continué ma route parce que c’est ce que j’avais à faire et au fil du temps (mais cela a pris du temps), nous avons réussi à nous rejoindre. Pour ce livre qui raconte toute cette aventure et je reçois de ma famille un très grand soutien. Je trouve ça vraiment formidable !

Par ailleurs, j’ai pu compter dès le départ sur des amis qui ont tout de suite compris que ce que je faisais était “juste” pour moi et même pour ceux à qui j’apportais de la joie. J’ai décidé de me tourner vers eux et de n’écouter que leurs voix. Cela m’a nourrie et beaucoup aidée lorsque je doutais.

Crédit image : Side Ways, la websérie itinérante

Cependant, tout ne s’est pas toujours passé comme « prévu » … ?

Rien ne s’est passé comme prévu, puisque rien n’était prévu ! Mais ce que je peux dire, c’est que jamais je ne me serais attendue à prendre les chemins que j’ai pris et connaître les expériences que j’ai connues.

Après avoir posé mes valises dans différentes capitales européennes, j’ai vécu au milieu des oiseaux et des herbes vertes alors que j’étais une fille de la ville. J’ai aménagé un camion, moi qui n’y connaissais rien en bricolage. J’ai dormi dedans pendant neuf mois (parfois par cinq degrés), alors que j’avais fait trois fois du camping dans ma vie.

C’est tellement loin de ce que j’aurais pu imaginer si j’avais fait des plans. Je suis heureuse d’avoir uniquement écouté mon instinct, d’avoir eu soif de découvertes et d’expériences tout au long de ce voyage.

En définitive, quel bilan tirez-vous de cette aventure humaine ?

C’était une des plus belles expériences de ma vie. Il y a eu des hauts et des bas, j’ai parfois été perdue et découragée, mais j’ai toujours trouvé du soutien et des solutions au gré de mes pérégrinations. Depuis, j’ai trouvé ma place et mon bonheur. Aujourd’hui, je participe à des projets sociaux et artistiques et j’ai réalisé un rêve d’enfant en écrivant un livre et en ayant la chance d’être éditée par un formidable éditeur.

Quelle que soit la forme et le chemin, il ne faut pas hésiter à se lancer et à faire un pas en avant vers une voie qui nous appelle. Même si cela fait peur, même si cela demande du courage, même si ça n’est pas toujours rose et facile. On peut y trouver de bien belles surprises.


Est-ce que cela a changé votre regard sur votre vie future et le monde qui vous entoure comme vous l’espériez ?

Je suis restée la même, mais tout a changé. J’ai les mêmes idées et mêmes idéaux qu’avant, sauf que j’ai compris que je pouvais les vivre au quotidien, et c’est cela qui a tout changé. J’ai découvert des gens qui montaient des projets fantastiques à partir de presque rien et avec l’aide de tous. J’ai découvert aussi un mode de vie qui me permet d’être plus en rapport et en accord avec la nature, de donner à d’autres comme j’ai envie de le faire et d’être épanouie dans ce que je fais au quotidien. Au fond, c’est ce que je cherchais depuis que je suis adolescente (et j’ai aujourd’hui 36 ans).

Pourquoi raconter ce voyage dans un livre ?

Au fur et à mesure des mois, le projet Ordinary Happy People est devenu une galerie de portraits de gens ordinaires et heureux que je croisais dans la rue et qui partageaient avec moi ce qui les rendait heureux. J’allais également faire sourire les gens dans les endroits où ils sont en « mode automatique », dans le métro ou à La Défense par exemple, avec un grand panneau jaune. Je recevais de magnifiques retours. Certaines personnes me disaient qu’elles avaient surmonté des épreuves difficiles grâce aux portraits que je partageais, d’autres, que je croisais avec mon panneau, revenaient sur leurs pas et me disaient que grâce à ce sourire partagé, ils voyaient leurs soucis autrement. Le projet avait donc un sens.

Mais je souhaitais aller encore plus loin, rentrer dans l’intimité de cette joie et montrer ce qui pouvait mener à elle. Alors c’est mon histoire que j’ai choisi de raconter, celle d’une fille ordinaire qui a trouvé le bonheur en se lançant vers l’inconnu. Parce que les lecteurs du projet me l’avaient demandé. Parce qu’aussi, c’est apparu comme une évidence et même une nécessité à un moment du voyage. Et pour continuer à rendre des gens heureux.

Embrasser l’inconnu, Éditions Anne Carrière, 2019, 240 pages, 18 euros – Dessin : Daria Gatti. ISBN : 978-2-8433-7936-9

Crédit image : Ordinary Happy People

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