Le mercredi 26 mai 2021 à 16h30, la Charte du droit du vivant a été proclamée. Il s’agit de l’aboutissement du programme de recherche français de l’Université de Toulon sur la personnalité juridique de l’animal, en partenariat avec le programme des Nations Unies Harmony with Nature. Retour critique sur les enjeux qu’elle soulève et sa relation avec la protection globale de l’environnement et l’urgence climatique. Un défi majeur de notre société pour lequel les citoyens s’impliquent de plus en plus.

Selon le site de l’Université de Toulon, « La Charte du droit du vivant […] rappelle certaines solidarités et la nécessité de maintenir un équilibre entre les intérêts des humains, des animaux et de la Nature. Elle offre ainsi différentes clés d’interprétation textuelles pour assurer la transition d’un droit « sur » le vivant à un droit « du » vivant. » La proclamation de cette Charte se situe dans la continuité des travaux menés par des spécialistes du droit des animaux, après une première Déclaration proclamée, sur la personnalité juridique de l’animal, dite « Déclaration de Toulon », le 29 mars 2019.

« A l’ère de l’Anthropocène, face au déclin sans précédent de la nature et à l’accélération du taux d’extinction des espèces », des changements majeurs « pourraient passer par des nouveaux paradigmes, objectifs et valeurs » [1]. Il s’agit de repenser les principes et objectifs du droit afin de protéger l’environnement et plus largement le vivant de manière réelle et efficace, en tant que titulaire de droits et non plus simplement l’objet d’une règlementation, manifestement insuffisante.

Le droit opère une division fondamentale (summa divisio) depuis la Rome Antique entre les personnes et les choses. Juridiquement, les titulaires de droits (et d’obligations) sont les personnes juridiques. Pour être titulaire de la personnalité juridique, une personne physique doit être née, vivante et viable, ce qui, en principe, dénie la qualité de personne juridique aux fœtus, aux robots, mais aussi aux animaux. Depuis la loi du 16 février 2015, ils sont reconnus comme des « êtres doués de sensibilité » mais, « sous réserve des règles qui les protègent, sont soumis au régime de biens » (article 515-14 du code civil). Ainsi, les animaux sont juridiquement considérés comme des « choses ».

La Déclaration de Toulon propose d’introduire au sein du code civil la « personne juridique non-humaine ». Il s’agirait de préserver la summa divisio, héritage de notre histoire et l’un des piliers de l’édifice juridique français, tout en permettant aux animaux d’être titulaires de droits.

La proclamation de la Charte du droit du vivant peut-elle constituer un espoir pour les citoyens, de voir leurs attentes quant à la lutte contre le changement climatique et pour la protection de l’environnement et des êtres vivants, prises en compte ?

Cette avancée se place dans la continuité d’un mouvement juridique récent, en faveur de la reconnaissance d’une responsabilité du fait de la dégradation de l’environnement. Plusieurs décisions de justice récentes témoignent d’un consensus général à propos de l’urgence que constitue la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de l’environnement, mais aussi d’une volonté de reconnaître la responsabilité et les carences des autorités dans ce cadre.

La décision de la Cour suprême des Pays-Bas de 2019 (State of the Netherlands v. Urgenda Foundation) constitue le premier recours contre un État afin que soit reconnue sa responsabilité dans la lutte contre le changement climatique, fondé sur le respect des droits de l’Homme proclamés par la législation de l’Union Européenne en particulier.

Le Conseil d’État, dans sa décision de 2020 dite « Commune de Grande-Synthe », a pour
la première fois accepté de se prononcer dans une affaire portant sur le respect par la France de ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La commune contestait le refus du Gouvernement de prendre des mesures qui permettraient de respecter les objectifs issus de l’Accord de Paris de 2015. Le Conseil demande au Gouvernement de justifier la compatibilité de ce refus avec la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixée avant de prendre une décision définitive [2].

L’ « Affaire du siècle » est une campagne de justice climatique initiée par plusieurs associations militant pour la protection de l’environnement. Le 3 février 2021, celles-ci ont obtenu une décision du Tribunal administratif de Paris reconnaissant une carence fautive de l’État en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Le Conseil constitutionnel, le 31 janvier 2020, consacre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, « patrimoine commun des êtres humains », permettant de limiter l’exercice de droits et libertés fondamentaux sur ce fondement, notamment la liberté d’entreprendre.

Source : flickr

Ce mouvement témoigne d’une prise de conscience, aux niveaux national et international, de l’importance de l’enjeu de protéger l’environnement et de lutter contre le changement climatique, mais démontre aussi une volonté des institutions, en particulier juridictionnelles, d’intégrer des revendications citoyennes, longtemps ignorées par les pouvoirs publics.

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Quelle valeur accorder à la proclamation de la Charte du droit du vivant ? Celle-ci possède une dimension principalement symbolique. Cela témoigne d’un changement de paradigme et d’une percée des préoccupations à propos de la protection de l’environnement, dans le champ juridique et politique. La prise de conscience générale tend vers une reconnaissance de l’urgence de la nécessité de prendre des mesures en faveur de la protection de l’environnement et du vivant. Néanmoins, ce texte est issu d’un travail d’universitaires et de personnes intéressées, invitées à participer à plusieurs conférences sur ce thème. Il ne s’agit pas de l’aboutissement d’une consultation citoyenne.

On observe une demande des citoyens de participation et d’audace dans la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement. Une enquête de 2014 (Taylor Nelson Sofres), commandée par la Commission Nationale du Débat public, a révélé que 96% des citoyens consultés souhaitent que les pouvoirs publics tiennent compte de leur avis avant de prendre une décision.

Six mois avant la COP21, une consultation citoyenne mondiale sur les thèmes de l’énergie et du climat a réuni 10 000 citoyens pour débattre et se prononcer sur les enjeux des négociations climatiques internationales. Trois affirmations fondamentales ont fait l’objet d’un consensus général :

« Oui, l’avenir de la planète est pour nous une priorité. »

« Oui, nous voulons que nos gouvernants prennent des décisions courageuses, même si le
pays voisin ne suit pas. »

« Non, nous ne pensons plus que lutter contre le réchauffement climatique serait une atteinte à notre qualité de vie. C’est, au contraire, une opportunité. »

78% se disent très concernés par le changement climatique, particulièrement dans les pays dits « en développement » [3]. La prise de conscience des citoyens à propos de la nécessité de protéger l’environnement et le vivant ne fait que croître. Christian Leyrit, président de la Commission Nationale du Débat public de 2013 à 2018 et haut fonctionnaire, en conclut que « Le peuple est devenu plus ambitieux que ceux qu’il a élus. [ …]. L’égoïsme national a cédé devant l’intérêt général mondial. Les citoyens ont compris qu’il était urgent d’agir. » [4]

Cette prise de conscience politique des revendications citoyennes en matière de protection de l’environnement et de participation s’est traduite par la création de conventions citoyennes, comme la Convention citoyenne pour le Climat en France ou la Climate Assembly au Royaume-Uni.

La Conférence sur les changements climatiques de 2021 (COP26) qui se tiendra à Glasgow, organisée par les Nations Unies, a pour ambition de déterminer une action coordonnée à propos du changement climatique. Il s’agit de réunir des chefs d’États, des experts en matière d’environnement et de climat, des membre de la société civile, de syndicats, des jeunes, des groupes religieux et peuples indigènes, afin de travailler ensemble pour sauver l’environnement. [5]

Source : flickr

L’élargissement des personnes amenées à participer à la Conférence révèle une prise en compte de la demande citoyenne de participer à la prise de décision politique, mais aussi le constat, largement partagé au sein de la population mondiale, de l’urgence de la situation climatique et environnementale. Cela démontre aussi la dimension globale des enjeux climatiques et environnementaux, mais aussi la nécessité d’une action collective pour y remédier.

Les gouvernements et parlements dans le monde, ont de plus en plus recours aux assemblées citoyennes dans le cadre de leur travail [6]. Les autorités publiques semblent réaliser l’importance de développer la participation citoyenne, dans un contexte de crise de légitimité des modèles représentatifs de gouvernement dans les démocraties occidentales. Le taux d’abstention régulièrement élevé aux élections est un symptôme de cette fracture sociale, économique, politique, dont est victime la démocratie française. Le refus de considérer la demande citoyenne de participer à la prise de décision politique menace la légitimité des représentants politiques, mais aussi celle de leurs décisions et l’efficacité de celles-ci.

Néanmoins, l’un des risques de cette prise en main par les autorités de la revendication citoyenne de participation est l’instrumentalisation de cette nouvelle source de légitimité, ayant pour corollaire la non-restitution des idées et propositions exprimées. L’exemple le plus récent de cette dérive a été la suite donnée aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, qui « a jugé sévèrement […] la « prise en compte » de ses propositions par le gouvernement » [7]. Il s’agit d’un danger particulièrement important dans un contexte de perte de confiance des citoyens dans les institutions et le système de la démocratie représentative, mais aussi dans leur capacité d’influencer les décisions politiques.

Les citoyens ont été appelés à se déplacer, à s’exprimer et à consacrer du temps à travailler pour aboutir à des propositions en matière de protection de l’environnement. La réaction des « représentants » politiques, pire que de ne pas consulter, a été de passer outre ce travail, cet engagement, outre l’expression du peuple souverain de la démocratie française. Ils ont sélectionné ce qui leur convenait, vidant ces propositions de leur substance, les privant de leur audace, pour finalement se targuer d’une légitimité populaire.

De plus, la consultation des citoyens impose d’y consacrer des moyens adaptés et de prévoir une organisation permettant la tenue d’un débat réel, une diversité des opinions et des intérêts, desquels pourraient surgir des propositions, que les autorités seraient prêtes à prendre en considération. Il ne s’agit pas d’organiser un simulacre de débat comme a pu l’être le Grand « débat » national.

Une autre limite serait la valeur largement non-contraignante des instruments de droit international tels que cette Charte, dont l’effectivité dépend souvent de la bonne volonté des autorités.

Ainsi, il s’agirait de réfléchir au monde que nous souhaitons construire, dans la perspective
d’une élection déterminante pour notre pays, mais également d’anticiper le passage vers un autre modèle de société. Notre modèle actuel, aboutissant à l’accumulation des richesses et du pouvoir dans les mains d’une minorité et promouvant une croissance infinie, est incompatible avec toute perspective de protection et de vie en harmonie avec le reste du vivant mais aussi d’égalité au sens le plus large.

Source : flickr

L’enjeu serait de proposer une convergence des luttes, pour le développement et le
renouvellement des outils de participation directe, pour la construction d’un « autre » modèle de société, pour la protection de l’environnement et contre le réchauffement climatique mais plus largement pour la justice sociale, environnementale, économique. Le droit de l’environnement a été la première branche du droit dans laquelle la participation citoyenne à la prise de décision a pu se développer et obtenir une protection constitutionnelle (article 7 Charte de l’Environnement).

La conférence sur l’environnement et le développement organisée au sein des Nations Unies ou « Sommet de la Terre » (Rio de Janeiro, 1992) pose un principe général de participation du public pour traiter des questions environnementales. La convention d’Aarhus (1998) consacre le droit de participer au processus de prise de décision en tant que droit de l’Homme, particulièrement pour les décisions impactant l’environnement (articles 6 et 8).

Aujourd’hui, la participation à la prise de décision politique pour la protection de
l’environnement et la lutte contre le changement climatique est un droit internationalement reconnu et constitutionnellement protégé. Il est de notre responsabilité de le défendre et se l’approprier dans l’intérêt général et pour construire un monde dans lequel nous pourrions continuer à vivre, en harmonie avec le reste du vivant.

Marine Brenet

Sources

[1] Proclamation internationale Charte du Droit du Vivant
[2] « Émissions de gaz à effet de serre : le Gouvernement doit justifier sous 3 mois que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée »
[3] Christian Leyrit, « Remettre le citoyen au cœur de la décision publique », Pouvoirs, Le Seuil, 2020/4 n°175, 13 novembre 2020, p.101-112, p.106 « Le débat citoyen planétaire sur l’énergie et le climat » (cairn.info)
[4] Ibid. p. 107 « La plus grande consultation citoyenne jamais réalisée » (cairn.info)
[5] Guidance pack of the COP26 website p.3, à télécharger sur https://unfccc.int
[6] « About Citizens’ Assemblies », Climate Assembly’s
[7] Agence France Presse, « La Convention climat juge sévèrement la prise en compte de ses propositions par le Gouvernement », Médiapart, publié le 28 février 2021


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