Le Jeudi 15 juin au soir s’ouvre officiellement l’édition 2017 du Refugee Food Festival, une initiative lancée il y a un an par l’association Food Sweet Food en partenariat avec le HCR, l’Agence des Nations Unis pour les Réfugiés. Jusqu’à la fin du mois de juin, des restaurants de treize villes européennes vont ouvrir les portes de leurs cuisines à des chefs réfugiés. À Lyon, Paris, Bordeaux, Marseille, Lille, Athene, Florence, Madrid, Bruxelles, Amsterdam, Milan, Bari et Rome, des citoyens vont organiser des évènements autour des savoir-faire et talents des chefs réfugiés, contribuant à changer notre regard sur ces individus et à promouvoir leur intégration. Initiative ambitieuse et originale qui fait de la cuisine une porte d’entrée sur le monde.
La cuisine pour sensibiliser
À l’occasion de la journée mondiale des réfugiés, le 20 juin, pas moins de 80 restaurants vont accueillir, en quinze jours, 84 chefs réfugiés originaires d’Afghanistan, d’Érythrée, d’Iran, de Somalie, de Syrie, d’Ukraine et d’autres pays. Conjointement avec le HCR, le festival a été pensé par l’association Food Sweet Food, qui s’attache à développer des projets avec la cuisine comme porte d’entrée vers l’autre et sur le monde. L’association n’en est d’ailleurs pas à son premier projet puisqu’elle avait créé Very Food Trip, série documentaire diffusée sur la chaîne Planète +. Un tour du monde qui a permis un véritable déclic chez les fondateurs de l’association, Marine Mandrila et Louis Martin: « Nous nous sommes rendus compte à quel point la cuisine révèle ce qu’il y a de plus beau chez l’Homme : sa générosité. Partout, nous avons été accueillis avec naturel, sympathie et gentillesse. Nous avons réalisé à quel point la cuisine et le repas sont deux moments précieux qui forment ensemble une porte d’entrée pour comprendre le monde et ses habitants. »
C’est dans cette volonté même de compréhension et de création de lien que le Refugee Food Festival a été créé. Des menus composés à quatre mains, ou uniquement par le chef réfugié, pour des repas un peu particuliers, entre dégustation, rencontre et dépaysement. Nous avons rencontré Alexandra Deon, membre de l’équipe, qui nous a expliqué les trois objectifs du festival :
« Le premier objectif, c’est de changer le regard autour les réfugiés et casser un peu cette vision misérabiliste qu’on peut avoir en admettant que ce sont des gens qui ont des talents, et donc en valorisant leurs talents et leurs compétences. Le second, c’est de bien manger et de faire découvrir des cuisines qu’on ne connait pas forcément, albanaise, géorgienne, syrienne, etc. Et le dernier objectif c’est vraiment de faire de ce festival un tremplin pour l’insertion socio-professionnelle de ces chefs réfugiés. Faire en sorte que, avec ce réseau qu’ils vont se créer, ils puissent être mis en relation et accélérer leur insertion. »
Alexandra nous raconte que si le message et les valeurs transmises sont les mêmes dans toutes les villes du festival, chaque édition est marquée par la personnalité de sa ville et des organisateurs locaux. Car, il s’agit bien d’une des particularités de ce festival, il repose sur des initiatives citoyennes dans chacune des villes. L’équipe fondatrice, à Paris, a développé un kit méthodologique à destination des organisateurs locaux, et les accompagne tout au long des projets. Une idée chère à l’équipe qui entend bien faire en sorte que le festival garde une certaine fraîcheur, que les programmations correspondent aux sensibilités de chaque ville, que la mobilisation citoyenne puisse permettre de recréer du lien. D’autant plus que les porteurs de projets sont entourés d’équipes de bénévoles, ce qui créé une réelle effervescence et des liens durables entre restaurateurs, bénévoles, porteurs de projets et chefs réfugiés.
La cuisine pour commencer une nouvelle vie
Un an après sa création, le festival a déjà un succès retentissant. Les deux premières éditions avait eu lieu à Paris en juin 2016 et à Strasbourg à l’occasion du marché de Noël avec une forte mobilisation du public. Tout de suite après les deux éditions, des personnes du monde entier ont appelé l’équipe du festival pour pouvoir l’organiser dans leurs villes, lui permettant ainsi de prendre l’ampleur qu’il connait aujourd’hui. Un succès qui s’explique, selon l’équipe, par le fait que de nombreux citoyens manifestent leur souhait de s’engager auprès des réfugiés et de se mobiliser pour leur intégration.
Et le pari du Refugee Fodd festival est tenu. En fait, tous les chefs réfugiés ont eu des opportunités professionnelles suite au festival. C’est notamment le cas du chef syrien Mohammad El khaldy, qui a monté son entreprise de traiteur, et qui a élaboré le dîner de la marque kenzo lors de la dernière fashion-week parisienne. Chef et entrepreneur à Damas, il avait été contraint de partir en 2012 par le régime de Bachar Al-Assad, laissant sa femme et ses trois enfants durant deux ans et demi. Lorsque sa famille a finalement pu obtenir des passeports, elle l’a rejoint en Egypte, où ils ont ensemble essayer de recréer une nouvelle vie. Mais sans succès. Pour sauver sa femme et ses enfants, Mohammad a choisi de venir en Europe, en passant 12 jours en mers, avec 750 autres personnes. Une fois installés au Danemark, Mohammad a trouvé un travail mais n’a pas pu obtenir de papiers, et la famille a finalement décidé de rejoindre la France en 2015. Aujourd’hui, il a le statut de réfugié, comme tous les chefs qui participent au Refugee Food festival et peut donc travailler librement et légalement.
Mohammad est l’un des meilleurs exemples de ce que le festival propose, et de sa réussite. Et si certains participants étaient, comme lui, des chefs reconnus dans leurs pays d’origine, d’autres parient sur la cuisine pour leur intégration dans le pays d’accueil. Dans ces cas là, ils bénéficient de formations grâce à l’association. Alexandra nous raconte que derrière la durée du festival, l’équipe se mobilise tout au long de l’année pour permettre aux chefs réfugiés de s’intégrer grâce à leurs talents.
« On a la volonté d’accompagner ces chefs après le festival. Si un coup de lumière médiatique est mis pendant le festival, on les accompagne aussi tout au long de l’année pour qu’ils trouvent des opportunités socio-professionnelles. De vraies relations se sont créées avec les chefs. Quasimment tous ceux qui ont participé à l’édition 2016 de Paris reparticipent cette année, et pareil pour les restaurants. Ce qui ressort, c’est avant tout la dimension humaine et de partage qu’on peut avoir autour de la cuisine, entre les chefs réfugiés et les restaurateurs. »
On ne peut que saluer cette initiative et lui souhaiter tout le succès possible tant elle est une belle preuve que la mobilisation citoyenne peut permettre de franchir toutes les barrières. Si le festival a pris, un an, une dimension européenne (les dates de l’édition européenne 2017 sont disponibles sur le site du festival), on ne peut s’empêcher de penser qu’il nous réserve encore de belles surprises pour les éditions prochaines.
Propos recueillis par Mr Mondialisation + Refugee Food Festival / Food Sweet Food / Nouvel Obs