Alors que la parole des femmes se fait entendre et que les violences dont elles sont victimes se sont récemment imposées dans le débat public, on peine encore à analyser l’implication des hommes dans cette violence. Dans le livre au titre évocateur, Le Sexisme : une affaire d’hommes, l’écrivaine Valérie Rey-Robert entend prendre le problème à bras le corps afin de mettre chacun face à ses responsabilités. Analyse.
Les violences que subissent les femmes dans nos sociétés ont éclaté au grand jour depuis la prise en compte de la parole des victimes dans le débat public, notamment grâce aux réseaux sociaux. Seulement, le débat se cantonne souvent à la situation des femmes et élude, en grande partie, le rôle des hommes dans ce phénomène.
Pourtant, les viols contre les femmes sont commis par des hommes à 98%, ce qui en fait de facto une problématique systémique. En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint. L’implication des hommes dans les violences faites à l’encontre des femmes, des enfants et des hommes eux-mêmes est totale « Nous devons arrêter de croire que le sexisme est un problème de femmes ; les hommes en sont les principaux auteurs, ils ont donc collectivement la responsabilité d’y mettre fin. » explique l’autrice.
Qu’est-ce qui explique ce rapport des hommes à la violence ? Si beaucoup se contentent de fausses évidences et d’idées préconçues, arguant que les hommes sont « comme ça » et qu’ainsi va la vie, l’écrivaine Valérie Rey-Robert entend démontrer que cette propension à la violence prend source dans une construction problématique de la virilité. Dans le Sexisme une affaire d’hommes, publié aux éditions Libertaria, l’animatrice du blog Crêpe Georgette met les hommes face à leur responsabilité, et invite chacun à prendre part à un changement culturel de fond.
Une éducation genrée qui prédispose à la violence ?
Comme souvent quand on s’intéresse au sexisme, l’enfance offre les premiers éléments de réponses. La sociologie a largement décrypté les différences d’éducation entre les filles et les garçons, ce que l’on appelle généralement la socialisation primaire. Un monde sépare les premiers pas d’une petite fille à ceux d’un petit garçon et ces différences dépassent de loin la couleur du papier peint des chambres à coucher.
« La virilité n’est ni statique ni intemporelle; elle est historique et construite. Elle n’est pas la manifestation de quelque chose de biologique; elle est culturelle » nous explique Valérie Rey-Robert. En effet, ce que l’on prend généralement pour des aptitudes inhérentes au sexe de chacun sont en réalité des constructions sociales. En d’autres termes, des choix de société qui nous semblent imperceptibles à l’échelle individuelle mais qui génèrent des tendances systémiques à l’échelle des populations.
À titre d’exemple, on apprend aux filles à se montrer plus discrète et à faire attention à leur attitude et à leur apparence. Dès l’école maternelle, les instituteurs et institutrices auront une plus grande propension à laisser libre court à la parole des garçons quand on interrompra plus facilement une fille. On apprend globalement aux filles à faire attention, à elle comme aux autres. Leur socialisation passe principalement par le vêtement et l’effacement, quand la socialisation des garçons passe par l’action et l’exubérance.
Chez les garçons, c’est davantage le leadership qui est valorisé tout au long de l’apprentissage, ainsi que la prise de risque et l’activité physique. Plus problématique cependant, on apprend également aux garçons à camoufler leurs émotions qui sont vues comme des attributs féminins. Nous transposons les attentes perçues de la société sur nos enfants, perpétuant des schémas dont bien des adultes eux-mêmes refusent d’admettre l’existence. Ce qui est vu comme de la colère chez un garçon sera perçu comme de la peur chez une fille sans aucun autre critère d’analyse que le sexe de l’enfant, et ce car on attend d’un garçon qu’il réagisse par de la colère (action) quand on attend d’une fille qu’elle prenne peur (inaction) face à l’inconnu.
Ces attentes de genre sont intériorisées par une partie des garçons. Ils auront tendance à moins pleurer, à moins s’émouvoir, à inhiber leurs sentiments, ce qui entraîne à l’âge adulte une plus grande difficulté à se confier ou à demander l’aide d’un spécialiste pour apaiser des problèmes psychologiques. Pour l’autrice, cette inhibition originelle des sentiments chez le garçon, ainsi que la grande attente qui repose sur eux, seraient des explications du développement de la frustration chez l’homme, facilitant la détresse psychologique et l’usage de la violence pour y répondre « Les hommes représentent les trois quarts des personnes suicidées chaque année ».
La violence, un élément central dans la construction de la virilité
L’affirmation de la virilité chez les hommes se construit ainsi en opposition aux critères jugés féminins, puis s’évalue par le regard que posent les garçons les uns sur les autres. Une sorte de « police de la virilité » se noue entre les garçons par l’intermédiaire de la moquerie et du rejet. « On leur apprend le plus rapidement possible à se dissocier de tout ce qui pourrait être considéré comme féminin ». Les garçons ne répondant pas aux stéréotypes de la virilité seront rejetés, ramenés à une homosexualité réelle ou supposée, et féminisés par l’insulte, illustrant au passage l’image déplorable de la féminité dans l’imaginaire masculin.
Dans cette socialisation secondaire, ayant cours dès l’adolescence, la violence et la prise de risque demeurent des éléments déterminants. Les garçons se jaugeront les uns les autres à travers une propension à la prise d’alcool et de drogue, par la capacité à résister à l’autorité. La virilité se construit dans une logique de domination des uns par rapport aux autres. Une domination où la violence finit par occuper une place centrale. Le rapport aux filles s’oriente souvent du côté de la sexualité. Une sexualité à satisfaire et à multiplier comme gage de virilité.
Une virilité associée à la violence par l’intermédiaire de la culture pop et du cinéma notamment qui, eux-aussi, sont des vecteurs de reproduction des perceptions. On ne compte plus les films où le personnage principal, masculin, fait usage d’une violence, jugée légitime et divertissante, pour protéger les autres et affirmer la masculinité du héros. Nos contenus culturels de masse ont ainsi généralement tendance à amplifier nos perceptions. Dans le paysage médiatique, la colère masculine est souvent valorisée quand celle des femmes est ressentie comme le signe d’une hystérie incontrôlable, d’une perte de contrôle. Lors du débat entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, par exemple, la colère de la candidate socialiste fut publiquement dénigrée, ramenée à sa féminité plutôt qu’à des considérations politiques. A contrario, un homme politique en colère jouira d’une certaine aura : on pense au même Nicolas Sarkozy dont on ne compte plus les coups d’éclats, mais également à Emmanuel Macron, Jean-Marie le Pen et bien d’autres.
« pathologiser les violences évite d’en voir le côté systémique et lié à la construction de la virilité ».
Valérie Rey-Robert.
Pour l’autrice, c’est dans cette construction artificielle de la virilité que l’on trouve la source du rapport problématique des hommes à la violence « Les hommes violents le sont car ils ont intériorisé des croyances au sujet de la virilité qui légitiment leurs actions violentes.« La violence que les femmes subissent de la part des hommes s’inscrit dans un continuum qui démarre dans cette familiarité que chaque garçon entretient avec l’usage de la force.
Quand les hommes abordent le problème des viols et des féminicides, ils préfèrent souvent souligner une forme de responsabilité individuelle, en commençant par celle de la victime (un phénomène que Valérie Rey-Robert avait parfaitement analysé dans son précédent ouvrage Une Culture du viol à la française). Quand la victime est exempte de tout reproche, on soulignera alors la déviance psychologique de l’agresseur. Mais jamais on ne mettra en avant un élément global et récurrent, le fait que la majorité des agresseurs soit des hommes : « pathologiser les violences évite d’en voir le côté systémique et lié à la construction de la virilité ». En éliminant le caractère systémique de la problématique, on élimine aussi toute possibilité de faire évoluer positivement la société.
Le fait est que la violence, la domination et la sexualité sont intrinsèquement liées à la masculinité. Ce sont également des facteurs constitutifs de la plupart des agressions sexuelles et des féminicides. Comment ne pas faire de rapprochement entre ces attributs de la masculinité telle que nous la concevons en société et les violences que subissent les femmes ? N’y aurait-il pas là un déni visant à masquer cette corrélation flagrante ?
Alors, que peut-on faire quand on est un homme ?
Si beaucoup d’hommes opposent aux thèses féministes un contre-mouvement réactionnaire allant d’une exaltation de la virilité à un discours sur une masculinité en crise – une crise dont ils peinent à dessiner clairement les contours – il existe également des hommes, sensibles à la condition féminine, cherchant à changer les choses à leur échelle.
Car le féminisme et le sexisme, vous l’aurez compris, ne sont pas des problèmes féminins. Ils influencent le rapport des femmes aux hommes et des hommes aux femmes. La situation n’évoluera pas si la moitié des concernés s’entête à esquiver le sujet : « il est temps de prendre conscience, individuellement et collectivement, que le sexisme et les violences qu’il engendre sont l’affaire de ceux qui les créent et non de celles qui les subissent« . Alors comment faire ?
« C’est l’apanage de tout privilège de se légitimer comme ordre naturel des choses »
Peut-être faudrait-il commencer par aborder le sujet sans a priori en cessant de se sentir accusé à la moindre constatation. Observer des faits, pas des jugements. La littérature féministe dévoile, depuis de longues années, des effets structurels, dépourvus de jugement moraux. Il ne faut pas chercher à se défendre d’être un potentiel agresseur ou d’avoir, par notre attitude ou notre silence, participé au sexisme ordinaire. Ce n’est pas un procès envers les hommes, c’est une leçon qu’il faut chercher à comprendre. Le meilleur moyen d’aider les femmes, c’est avant tout d’écouter ce qu’elles ont à dire. Des intellectuelles du monde entier ont réalisé un travail extraordinaire qu’il est important de lire, encore et encore, pour mieux comprendre les mécanismes sociaux qu’elles dénoncent. Réagir par le déni en s’enfermant dans une prétendue naturalité de la violence masculine ne fait que perpétuer le problème.
Les témoignages des femmes qui vous entourent, si vous savez les entendre, pourront vous être aussi instructifs que des heures de lecture. Il ne tient qu’à chacun de nous de participer au changement en assumant notre part de responsabilité et en prenant réellement conscience que, par nos actes ou par nos mots, chacun oriente la société dans une certaine direction. Des attitudes toxiques qui peuvent parfois paraître dérisoires, ont en réalité, collectivement, des répercussions dramatiques.
C’est l’apanage de tout privilège de se légitimer comme l’ordre naturel des choses. De la lutte des classes au racisme, toute domination cherche avant tout à se perpétuer dans l’espace et dans le temps à travers un système de pensée. Ce modèle nous a longtemps poussés, en tant qu’hommes, à vouloir asseoir notre domination tant sur l’environnement que sur les femmes.
Sans comprendre pleinement ces mécanismes, il n’est pas possible pour les hommes de penser objectivement leur rapport aux femmes. Car le féminisme n’est pas qu’un combat pour une égalité juridique entre les sexes, c’est avant tout la dénonciation des structures sociales qui rendent illusoire toute égalité effective.
– T.B.
Le Sexisme une affaire d’hommes. 264 pages – 18 €
Parution : 5 mars 2020
ISBN physique : 9782377291304
ISBN numérique : 9782377291311