Une nouvelle étude estime que la protection immédiate de 16 825 sites naturels couvrant seulement 1,22% de la surface terrestre serait suffisante pour enrayer l’extinction des espèces les plus rares et menacées. Un objectif prometteur qui se veut « urgent à court terme », dans le cadre d’une stratégie mondiale plus large en matière de protection de la biodiversité.

Et s’il était possible de sauver les espèces les plus rares et menacées d’extinction en protégeant en priorité 1,22% des terres de la planète ? C’est le constat encourageant d’une nouvelle étude publiée le 24 juin dernier dans la revue Frontiers in Science.

Les chercheurs y attestent que la sanctuarisation immédiate de 16 825 sites, représentant 164 millions d’hectares au total, permettrait la sauvegarde de plus de 4 700 espèces rares et menacées, comme l’éléphant de forêt d’Afrique, le macaque à crête, la tortue des Galápagos ou encore la mygale bleue. Une piste insuffisante à elle seule pour enrayer le déclin de la biodiversité, mais prometteuse au regard de son accessibilité temporelle, pratique et financière.

Sur les 15 espèces de tortues géantes endémiques des Galápagos, deux sont éteintes et 12 sont menacées d’extinction selon  – Source image : Wikicommons

Au coeur de la stratégie 30×30

Fin décembre 2022, lors de la dernière COP15 sur la biodiversité tenue à Montréal (Canada), plus de 190 parties adoptaient l’objectif 30×30, visant à protéger au moins 30 % des terres, des océans et des eaux intérieures de la planète d’ici 2030.

Si cet accord encourage manifestement la protection de vastes étendues terrestres, « cette stratégie peut facilement entraîner une sous-représentation des objectifs de sauvegarde de la biodiversité », estiment les auteurs de l’étude, tenant compte « de l’urgence d’empêcher l’extinction de nombreuses espèces et la disparition de populations petites, rares et à aire de répartition limitée ».

À cet effet, l’étude définit des « impératifs de conservation », soit quelques 16 825 sites actuellement non protégés qui abritent des espèces endémiques rares, menacées et à répartition étroite. Les chercheurs détaillent :

« Plus précisément, notre approche consiste à cartographier les sites non protégés abritant des espèces rares tout en tenant compte des habitats convertis et en estimant les coûts pour placer ces terres sous gestion de conservation »

Protéger en priorité des sites à haute valeur biologique

Si les États parties à l’accord étendent peu à peu le réseau de zones protégées de 17 à 30% d’ici 2030, ils ne privilégient pas toujours les sites à haute valeur biologique. « Il y a un consensus scientifique pour dire que la protection d’une zone est trop rarement guidée par la richesse (ou non) de la biodiversité de ce territoire, au profit du côté pratique de l’opération », confie Victor Cazalis, spécialiste de la protection des espèces menacées, à Libération.

Les zones nouvellement protégées sont souvent caractérisées par une faible productivité agricole ou un potentiel économique modéré. Finalement, seuls 7 % des 1,2 million de km² ajoutés au domaine mondial des aires protégées au cours des cinq dernières années couvraient des sites d’espèces rares non protégés, estime Eric Dinerstein, pilote de l’étude et directeur de l’ONG américaine RESOLVE.

La ceinture tropicale : paradis de biodiversité

Pour tordre le cou à cette tendance, les scientifiques appellent à cibler les efforts politiques autour de ces zones prioritaires. Concrètement, plus de 75 % d’entre elles sont localisées dans les forêts humides tropicales et subtropicales. Rien d’étonnant lorsque l’on sait que les forêts tropicales comptent parmi les écosystèmes les plus diversifiés au monde, abritant plus des deux tiers de toutes les espèces terrestres, même si elles ne couvrent qu’environ 6 % de la surface du globe. À eux seuls, les Philippines, le Brésil, la Colombie, l’Indonésie et Madagascar concentrent 59 % des espaces ciblés par l’étude.

On appelle forêts tropicales les forêts situées entre le tropique du Cancer et le tropique du Capricorne. Les trois principaux massifs forestiers tropicaux sont l’Amazonie, le bassin du Congo en Afrique et l’Asie du Sud-Est. – Source image : Pixabay

En outre, 38% des sites se situent en bordure ou à moins de 2,5km de zones déjà protégées. Une aubaine pour minimiser les « coûts d’acquisition des terres » et les dépenses de « gestion » ultérieures, tout en consolidant le rôle de « point d’ancrage » de tels espaces à partir desquels bâtir des stratégies de préservation de la biodiversité à l’échelle régionale.

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« Prévenir l’extinction est abordable et réalisable »

En terme budgétaire, l’équipe de chercheurs estime que la sanctuarisation de l’ensemble des 16 825 sites impératifs de conservation impliquerait un investissement total de 263 milliards de dollars sur cinq ans.


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« En se concentrant plus étroitement sur les 10 écorégions néotropiques contenant le plus grand nombre d’impératifs de conservation, on atteindrait 23 % de tous les sites identifiés, ce qui impliquerait un coût d’acquisition foncière de 1,4 milliard de dollars par an pendant 5 ans », affirme Eric Dinerstein, pour qui ces dépenses sont tout à fait « réalisables » au vu des précédents estimations, bien plus importantes, parues dans la littérature scientifique.

Pour les scientifiques, il est clair que la stratégie actuelle n’est pas suffisante pour enrayer le déclin de la biodiversité et accroitre la protection des zones naturelles de la planète.

« De toute évidence, les efforts combinés des ONG de conservation internationales et locales, des fondations et des agences gouvernementales pour accroître la couverture des aires protégées afin d’éviter les extinctions et les extirpations d’espèces ont besoin d’un soutien plus important ».

Sanctuariser rapidement les impératifs de conservation devraient être « un élément central » des objectifs ambitieux visant à protéger au moins 30 % de la surface de la Terre d’ici 2030. L’appel est lancé, à l’aube de la prochaine COP16 sur la biodiversité qui aura lieu à Cali en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre prochain.

– L.A.


Photo de couverture : Maki, Madagascar. Pixabay.

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