Dans une vidéo de quelques minutes, six étudiantes et étudiants nous expliquent l’intense campagne de lobbying européenne dont a fait l’objet le système d’étiquetage nutritionnel sous la forme de feux tricolores et qui devait aider les consommateurs à identifier les aliments les plus équilibrés. Une campagne jugée « hors norme ». Explications.


C’est une campagne de lobbying hors norme : au niveau européen, les industriels de l’agroalimentaire auraient dépensé 1 milliard d’euros au début des années 2010 afin d’empêcher une information nutritionnelle claire sur l’emballage des aliments. Leur principale cible : un étiquetage des aliments sur le modèle des feux tricolores, qui restera finalement dans les cartons.

Comment les lobbyistes ont-ils réussi ce coup de force ? C’est ce que nous expliquent 6 étudiantes et étudiants de l’IHECS, une école de communication située à Bruxelles. Inquiétés par les possibles conséquences d’un étiquetage des aliments, les industriels mettent en effet tout en œuvre pour faire échouer l’idée. C’est ici que la stratégie d’influence prend forme : des dizaines de milliers de mails et autant de propositions d’amendements sont envoyés aux députés afin de les dissuader de voter en faveur d’un tel étiquetage. Les mêmes lobbyistes, prenant le chapeau d’experts, multiplient les interventions pendant les réunions afin de présenter leurs contre-arguments. Et n’hésitent pas à commander leur propres études scientifiques afin de faire valoir leurs positions. Leur coup de force ? À la place du feu tricolore, les industriels imposent leur propre alternative, les RNJ (Repère Nutritionnel Journalier), pourtant critiqués en raison de leur manque de clarté et de transparence. Au quotidien, ce système est pratiquement inutile et surtout inutilisé.

Cet épisode n’est pas sans rappeler un autre, plus récent, au moment des discussions à propos de la mise en place du Nutri-score ou « système cinq couleurs » en France. Finalement entré en vigueur en 2017, après avoir été freiné pendant 4 ans par les industriels qui voyaient dans le nouveau logo une notation « stigmatisante ». Le système reste facultatif (en application d’un règlement européen de 2011) et certaines grandes marques, telles que Coca-Cola, Mars, Mondelez, Nestlé, PepsiCo et Unilever, ont d’ores et déjà annoncé vouloir utiliser leur propre système à la place, contribuant à brouiller l’information.

En Europe, 1/4 des hommes et 1/3 des femmes sont en situation d’obésité. Crédit image : Fat Lobby.

Envoi massif de mail et présence sur le terrain

« Les lobbies construisent de la crédibilité pour pousser les députés à voter des amendements en faveur de leurs propres intérêts », analyse Pauline, l’une des auteurs de la vidéo. « Ils payent de fausses études, envoient des centaines de milliers de mails… C’est cette communication, fondée sur la répétition, qui permet d’infléchir le vote des élus », complète-t-elle. « Les stratégies sont toujours les mêmes que celles concernant le tabac », conclu Léa, une de ses partenaires de travail.

La vidéo a été publiée dans le cadre d’un projet étudiant intitulé Fat Lobby. « Fat Lobby a pour but de donner les clés afin que le plus grand nombre puisse complètement appréhender les systèmes d’influences que mettent en place les lobbies afin de faire peser la décision en leur faveur. Et si nous voulons changer le système dans lequel nous sommes, il nous faut, dans un premier temps, parfaitement le comprendre », nous expliquent les membres. Pour illustrer leur démonstration, les étudiants se sont saisis d’une problématique très actuelle et qui concerne de surcroît chacun d’entre nous, celle de l’étiquetage alimentaire. Leur campagne est composée de vidéos de vulgarisation et d’entretiens avec des experts qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement des lobbies ainsi que leurs manières d’influencer les décideurs politiques. L’équipe envisage désormais d’écrire eux aussi aux députés afin de défendre l’intérêt des consommateurs.

Pour en savoir plus et découvrir d’autres vidéos, rendez-vous sur la page Facebook de Fat Lobby.


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