Le compte à rebours a commencé : dans six mois la COP 15 (la conférence de l’ONU sur la biodiversité) va se réunir pour qu’ensemble, enfin, les gouvernements puissent remédier à la crise environnementale. Et le miracle semble pouvoir bientôt s’opérer : cela fait plusieurs mois que des gouvernements, la France en tête, et des grandes organisations de la nature clament avoir trouvé la solution. Si nous transformons 30 % des surfaces maritimes et terrestres en aires protégées et bien nous serons toutes et tous sauvés ! Vraiment ?

Si cela semble trop beau pour être vrai, c’est parce que c’est le cas. Loin d’être LA solution miracle, le projet des 30 % ne sauvera pas la planète et détruirait au contraire la vie de millions de personnes.

Le projet des 30 % ou l’avènement du colonialisme vert

Les aires protégées sont généralement construites sur un modèle que l’on appelle le modèle de « conservation-forteresse ». Il a débuté à la fin du XIXème siècle avec la création des premiers parcs nationaux aux États-Unis – comme celui de Yellowstone en 1872 – lorsque les peuples autochtones furent expulsés pour laisser place à la « nature sauvage ».

En effet, dans la culture occidentale la nature est depuis longtemps associée à l’image de la beauté d’une nature immaculée – non contaminée par l’humain : un refuge paradisiaque, un antidote à la vie urbaine. Pour qu’elle soit préservée, la nature doit être vierge.

Alors même que cette conception est scientifiquement fausse : les dernières recherches indiquant que les grandes aires « sauvages » sur Terre (l’Amazonie, les plaines africaines, les jungles indiennes, etc.) sont des créations humaines façonnées sur des milliers d’années ; elle a influencé les politiques de conservation de la nature. L’historien William Cronon a d’ailleurs écrit : « durant des décennies, l’idée d’une nature sauvage a été un principe fondamental du mouvement environnementaliste. »

Cette approche raciste considère les habitants originels du territoire – que sont les peuples autochtones et les communautés locales – comme des nuisibles qui ne savent pas gérer leur environnement. Ils en sont expulsés et les violations de droits humains telles que la torture, le viol ou le meurtre sont monnaies courantes s’ils tentent de retourner sur leurs terres pour se nourrir, visiter leurs sites sacrés ou récolter des plantes médicinales. Des organisations de conservation de la nature, parmi les plus connues, telles que le WWF ou la WCS, sont au courant de ces atrocités depuis de nombreuses années. Pire, elles continuent de financer et soutenir le colonialisme vert en équipant et formant directement les écogardes responsables de ces abus.

À Messok Dja, le projet phare du WWF dans le bassin du Congo, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a lancé une enquête sur le projet controversé de transformer la région en un parc national. Cette enquête faisait suite à une plainte officielle déposée par Survival International en 2018. Ses conclusions sont accablantes et ont révélé un niveau d’abus et de violations de droits contre les Baka à un niveau choquant. Le WWF était au courant de ses abus mais a décidé de les dissimuler. Sans compter que le consentement libre, préalable et éclairé pour la création du parc n’avait, comme c’est souvent le cas, jamais été donné par le peuple baka.

Dans le parc de Kaziranga en Inde, les peuples autochtones et populations locales risquent d’être arrêtés, battus ou torturés s’ils osent retourner sur leurs terres, car le parc applique la fameuse politique anti-braconnage du « tir à vue », à savoir que les gardes de Kaziranga ont pour instruction de tirer sur tous les « intrus ». En l’espace de vingt ans, 106 personnes y auraient été tuées dont un homme autochtone gravement handicapé qui avait erré dans les limites non balisées du parc.

Ce modèle inhumain de protection de la nature est soutenu par le gouvernement français : depuis 2012 au moins, la France contribue directement, par le biais de l’Agence française de développement (AFD), au financement de l’équipement et du “renforcement des capacités” des gardes forestiers responsables des atrocités.

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Des femmes mising dénoncent le harcèlement des écogardes et la menace d’expulsion de leurs terres ancestrales. Réserve de tigres de Kaziranga. © Survival

Cette nouvelle forme de colonialisme, le colonialisme vert, veut que les humains, surtout s’ils ne sont pas blancs, à l’intérieur d’aires protégées sont une menace pour l’environnement.

Dans son ouvrage, L’invention du colonialisme vert. En finir avec le mythe de l’Eden africain, l’historien Guillaume Blanc fait le constat suivant : « Là où les Occidentaux exploitent les ressources, les Africains les détruisent. Ces analyses reposent sur des représentations racistes […] Après les théories racistes qui légitimaient le fardeau civilisationnel de l’homme blanc, l’heure est au colonialisme vert, né des théories déclinistes qui légitiment le fardeau écologique. »

Si le projet des 30 % se réalise, ce sera le plus grand accaparement de l’histoire de l’humanité et détruirait les modes de vie d’environ 300 millions de personnes [1].

Les meilleurs gardiens de la nature dont l’empreinte carbone est plus faible que celle de quiconque, seraient privés de leur autosuffisance et finiraient par contribuer au surpeuplement urbain.

La vérité sur les aires protégées

Peu d’éléments donnent à penser que les aires protégées sont réellement efficaces dans la protection de la biodiversité. Il est impossible de mesurer avec précision leurs effets. Pire, dans la majorité des cas, une fois les habitants partis, les touristes, les industries extractives et d’autres y sont accueillis.

En revanche, des études indiquent que les terres sous gestion autochtone sont bien plus efficaces que les aires protégées : environ 80% de la biodiversité se trouve en territoire autochtone. Si nous voulons vraiment freiner la perte de biodiversité, la méthode la plus rapide, la moins coûteuse et la plus efficace serait de soutenir autant de terres autochtones que possible, et de leur redonner le contrôle autant que possible de celles qui leur ont été volées.

Les parcs ont besoin des peuples, c’est une affirmation irréfutable ! Les images satellites démontrent clairement le rôle des territoires autochtones dans la prévention de la déforestation. En Amazonie, elles montrent les territoires autochtones comme étant des îles vertes (forêts) au milieu de la déforestation.

Territoire autochtone d’Arariboia en Amazonie, un îlot de verdure entouré de déforestation. © Survival

En Inde (alors que la politique est à l’expulsion des peuples autochtones des réserves de tigres) dans la première réserve d’Inde où les communautés autochtones et locales ont obtenu le droit de rester, le nombre de tigres est passé de 35 à 68 entre 2010 et 2014. Une moyenne bien supérieure à la moyenne nationale.

Il est aussi important de comprendre qu’il y a une différence entre la création d’aires protégées et la démarcation de territoires autochtones : il ne s’agit donc pas de la même chose. Souvent, les aires protégées excluent ou limitent les activités humaines, comme l’indique l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) sur son site. Il existe différentes catégories d’aires protégées. Tout ce qui appartient aux catégories I à IV de l’UICN est généralement exclusif de l’humain. En outre, ce sont les catégories les plus exclusives d’aires protégées qui ont la faveur des gouvernements et des ONG. La plus grande proportion de sites en Asie, aux Caraïbes, en Amérique centrale, en Europe et au Moyen-Orient sont classés dans la catégorie de gestion IV de l’UICN. En Afrique, la plus grande proportion de sites est classée dans la catégorie de gestion II de l’UICN.

Les Baiga et les Gond ont été bannis de la réserve de tigres de Kanha qui a été leur foyer durant d’innombrables générations. © Survival

Ainsi, au lieu de créer des aires protégées, il faut reconnaître les droits territoriaux des peuples autochtones et leur donner les moyens de protéger leurs territoires. Les peuples autochtones sont les meilleurs gardiens de la nature. Assurer la protection des terres autochtones doit être le principal mécanisme de préservation de la biodiversité.

Quand la nature se monnaie

L’objectif des 30 % fait partie d’une stratégie plus globale de financiarisation de la nature, une approche néolibérale où la nature est vue comme un capital. Pour faire face au changement climatique, plutôt que de changer nos modes de vie occidentaux, les gouvernements préfèrent financer des solutions fondées sur la nature, comme les compensations.

Les entreprises dépenseront simplement de l’argent pour continuer à agir comme avant et ces sommes iront dans les poches de l’industrie de la conservation de la nature.

Pas besoin d’être un expert en écologie pour se rendre compte que même si nous transformons 30 voire 50 % de la Terre mais que nous continuons à polluer comme on le fait, on n’arrêtera pas le changement climatique.

On peut bien planter des centaines d’arbres quelque part, cela ne réduit pas le CO2 dans son ensemble ; les émissions de combustibles fossiles continuent d’augmenter ; et le carbone stocké dans les arbres et autres « écosystèmes naturels » est très facilement libéré par les incendies ou autres perturbations. Cela pourrait également donner lieu à de vastes monocultures d’arbres à croissance rapide. Planter suffisamment de forêts pour atteindre ne serait-ce que la moitié des 37 % d’atténuation du climat nécessiterait une surface terrestre presque aussi grande que l’Australie.

Femme mising avec son enfant. Parc national de Kaziranga.© Survival

Pour conclure en citant Guillaume Blanc, toujours dans son ouvrage L’invention du colonialisme vert :

« Plus la nature disparait en Occident, plus nous la fantasmons en Afrique, plus nous détruisons la nature ici, et plus nous essayons de la sauver là-bas. Avec l’Unesco, le WWF ou l’UICN, nous croyons protéger, dans les parcs naturels africains, les dernières traces d’une monde autrefois vierge et sauvage. En réalité, ces institutions organisent à marche forcée la naturalisation de tout une partie du continent […] et ce combat pour une Afrique fantôme ne change absolument rien à la destruction de la biodiversité. Pire, ses effets sont désastreux pour tous les occupants de la nature. »

Il est essentiel que de véritables solutions pour lutter contre la crise climatique et la perte de biodiversité soient proposées et que les véritables causes – l’exploitation des ressources naturelles à des fins lucratives et la surconsommation croissante, poussée par les pays du Nord – soient reconnues et discutées comme il se doit. Il est cependant peu probable que cela se produise, car trop d’intérêts particuliers dépendent du fait que ces modes de consommation existants se maintiennent.

Avec plus de 230 organisations et experts, nous avons signé une déclaration commune pour alerter sur ce désastre. Nous avons également envoyé une lettre au Président Emmanuel Macron. Si nous voulons que les voix des peuples autochtones soient écoutées, nous avons besoin de votre soutien : envoyez un mail, partagez notre vidéo ou tout simplement parlez-en autour de vous.

Un mensonge reste un mensonge, même s’il est vert.

Marie Ndenga Hagbe

Note

[1] Schleicher J., Zaehringer J. G., Fastré C., Vira B., Visconti P., Sandbrook C., 2019, Protecting half of the planet could directly affect over one billion people. Nat Sustain 2, 1094–1096 (2019). https://doi.org/10.1038/s41893-019-0423-y


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