Nous vous alertions en début de semaine sur les intérêts pétroliers et milices armées qui menacent le parc national des Virunga situé dans l’Est du Congo. Pour approfondir ce dossier, nous vous proposons le décryptage du nouveau rapport publié par Rainforest Foundation Uk et Earth InSight. Présenté lors de la COP 27 qui s’est récemment clôturée à Sharm El-Sheikh en Égypte, il dénonce les menaces qui pèsent sur le bassin du Congo, ses riches écosystèmes et les millions de personnes qui en dépendent. Le rapport cartographie les potentiels futurs projets d’expansion pétrolière et gazière dans la région. Alors qu’un consensus scientifique exhorte de ne développer aucun nouveau projet d’exploitation d’énergie fossile pour respecter les Accords de Paris, cette expansion dans la deuxième plus grande forêt tropicale du monde pourrait libérer plusieurs milliards de tonne de carbone dans l’atmosphère, compromettant nos objectifs climatiques, déjà peu ambitieux, et constituer une véritable menace existentielle pour notre futur et celui des prochaines générations.
Fin juillet, la République démocratique du Congo (RDC) a ouvert un nouveau cycle de mise aux enchères/octroi de licences pour l’exploitation de 27 blocs pétroliers et 3 blocs gaziers dans le bassin du Congo. Parmi ces différents blocs, trois se situent dans le bassin côtiers de la province de Kongo-Central, onze à proximité du lac Tanganyika, neuf dans la province de la Cuvette-Centrale, et quatre aux abords du lac Albert. Les trois blocs gaziers sont, quant à eux, situés sur le lac Kivu.
Avec ces offres d’exploitation, la RDC entend stimuler son secteur des hydrocarbures en soutenant l’exploitation de ces énormes ressources d’énergie fossile. En effet, jusqu’à présent la production du pays est restée à environ 25 000 barils par jour par an, couvrant seulement 4,5% de son potentiel de ressources en hydrocarbures. Avec ces nouvelles licences, la RDC pourrait exploiter pas moins de 22 milliards de barils de réserves d’hydrocarbures bruts et atteindre une production de 200 000 barils par jour.
Sur fond de crise climatique, le Président Félix Tshisekedi a voulu se montrer rassurant, et a affirmé que les méthodes de forage modernes et la mise en place de réglementation environnementale stricte minimiseraient l’impact écologique de ces futurs potentiels projets d’exploitation d’hydrocarbures. Il a également déclaré que ces exploitations respecteraient les engagements du pays pris pour protéger ses forêts tropicales lors de la conférence COP 26 organisée à Glasgow, en 2021.
Une alternative au gaz russe
« Dans un contexte où les combustibles fossiles, notamment le pétrole brut et le gaz, sont au centre des questions mondiales de paix et de stabilité en raison du conflit russo-ukrainien, ce processus d’appel d’offres témoigne de notre volonté de mettre notre potentiel de ressources au service de notre pays », a déclaré le Président Tshisekedi. En effet, selon Vincent Rouget, directeur Afrique auprès de Control Risks, le gouvernement congolais espère tirer profit des prix élevés du pétrole, ainsi que du regain d’intérêt de l’Occident pour les alternatives aux énergies fossiles russes.
Alors que la RDC est déjà une puissance mondiale minière, produisant de grandes quantités de cuivre, de cobalt, d’or et de diamants, le pays reste profondément appauvri, notamment à cause de la corruption et de la mauvaise gouvernance qui sévi parmi les élites politiques du pays. Ainsi, malgré des investissements dans l’exploitation des hydrocarbures du pays, il n’est pas certain que les recettes profiteront réellement au peuple congolais.
En revanche, il peut être affirmé que ces projets d’exploitation impacteront grandement les droits et la santé des communautés locales du bassin du Congo, mais également les écosystèmes et la riche biodiversité de la région, de nombreuses concessions pétrolières et gazières se situant dans des zones naturelles protégées.
Une véritable bombe à carbone
Plusieurs blocs pétroliers proposés s’étendent sur des tourbières, zones humides et marécageuses caractérisées pour une grande concentration de matière organique en raison de la saturation en eau qui constituent d’importants puits de carbones.
Actuellement, les tourbières du bassin du Congo renferment environ 30 milliards de tonnes de carbone, soit l’équivalent de l’ensemble des émissions mondiales calculées sur trois ans. Selon Simon Lewis, spécialiste des ces écosystèmes du Congo, le forage dans les blocs soumis aux octrois de licences pourrait libérer jusqu’à 5,8 milliards de tonnes de carbone, nous éloignant définitivement de l’objectif de limiter l’augmentation de la température globale à 1,5°C par rapport au niveau préindustriel.
Or, selon une étude menée par Simon Lewis, les tourbières sont déjà vulnérables et menacées par les effets du changement climatique. La destruction d’une partie des tourbières, et les émissions de CO2 qu’elles libèreraient, exacerberaient alors davantage les risques de perte totale de ces écosystèmes et l’accélération du changement climatique. En effet, l’intensification des épisodes de sécheresse extrême les rapproche déjà d’un point de basculement, la sauvegarde des tourbières dépendant d’un climat humide.
Une menace pour l’environnement et pour les communautés locales
Outre les tourbières, les blocs pétroliers et gaziers couvrent pas moins de 30% des forêts tropicales d’Afrique, dont 90% se trouvent dans le bassin du Congo. Parmi les 180 millions d’hectares de ces forêts, 64 millions d’hectares sont désormais menacés par les concessions d’hydrocarbures.
Ces zones naturelles menacées comprennent également des savanes et de nombreux systèmes fluviaux essentiels pour la sauvegarde de la biodiversité qu’elles abritent, dont notamment des milliers d’espèces de plantes tropicales, d’oiseaux et de mammifères déjà menacées d’extinction. Le parc national des Virunga, zone protégée la plus riche en biodiversité d’Afrique rendu particulièrement célèbre pour abriter un tiers des gorilles de montagne, figure notamment parmi les parcs nationaux menacés par certains blocs pétroliers.
Enfin, les droits et terres ancestrales de plus de 35 millions de personnes issus de 150 groupes ethniques différents, dont plusieurs centaines de milliers issus de peuples autochtones, sont aujourd’hui menacés par l’octroi de ces licences.
« Ce rapport dévoile la grave menace que l’expansion pétrolière et gazière fait peser sur la forêt du bassin du Congo et ses millions d’habitants, qui n’ont que peu de responsabilités dans la crise climatique. Pour obtenir la justice climatique, il faut que les pays pollueurs de l’hémisphère nord s’engagent à décarboniser rapidement leurs propres économies et à soutenir les pays de la forêt tropicale afin d’assurer la transition vers un avenir à faible émission de carbone », déclare Joe Eisen, directeur exécutif de RFUK.
Quelles solutions ?
« Nous ne devons pas permettre qu’une expansion chaotique des combustibles fossiles dans le bassin du Congo mette en danger nos précieuses forêts tropicales, les hauts lieux de la biodiversité tels que le Parc national des Virunga, ainsi que les droits et les moyens de subsistance des communautés forestières qui ressentent déjà les effets du changement climatique. Avec son vaste potentiel d’énergie renouvelable, la RDC peut ouvrir la voie à un avenir vert et prospère », a déclaré François BILOKO, secrétaire général du Réseau environnemental CREF.
Face à ces nombreuses menaces environnementales et socio-économiques, le rapport propose notamment de concentrer les investissements dans une transition énergétique verte et durable, le bassin du Congo disposant d’un énorme potentiel de développement des énergies renouvelables.
Pour y arriver, il propose par exemple d’investir dans des chaînes d’approvisionnement transparentes, réglementées, durables et équitables pour les minéraux, en veillant à ce que les installations de traitement et autres chaînes de valeur restent situées dans les pays du bassin du Congo. Cette bonne gouvernance pourrait notamment profiter aux communautés locales de la région.
Enfin, le rapport appelle également les pays du G20, dont les émissions de gaz à effet de serre représentent pas moins de 80% des émissions globales, à apporter un soutien technique et financier aux pays du bassin du Congo pour les aider à assurer la protection des forêts tropicales et tourbières, ainsi que le développement des communautés locales, premières concernées par la menace de la déforestation tropicale et du développement des projets d’exploitation d’énergie fossile.
– W.D.