Avec ses 3,6 Gigatonnes de CO2 émis tous les ans, le secteur de la construction est, avec celui du transport, le plus polluant du monde. Et s’il était possible de construire autrement ? La SCOP « Les Grands Moyens », agit en faveur d’un secteur plus vertueux, en s’appuyant sur des matériaux écologiques locaux, tels que la terre crue et la paille, dont les qualités techniques, bien connues de nos ancêtres, sont à prouver de nouveau. Reportage.
En plus de son empreinte carbone, les problématiques de conditions de travail, de production de déchets et de dévastation de la biodiversité viennent compléter le tableau sinistre du secteur de la construction.
Au cœur de ce milieu hiérarchisé, dominé par multinationales et lobbies puissants, des visions différentes voient peu à peu le jour. Leur but, « réinjecter de la vertu » et faire une place à un idéal différent, loin du productivisme à outrance, de la performance verticale et des écocides programmés.
Le tableau sinistre de la construction
Avec la responsabilité de 37% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde (chiffres de 2021), le secteur de la construction est l’un des postes les plus polluants du globe. De l’extraction des matières premières à la fin de vie des bâtiments, béton, verre, matières synthétiques, produisent plusieurs gigatonnes de CO2 chaque année dans le monde à extraire, chauffer, mettre en œuvre, recycler, incinérer ou enfouir.
À ce bilan désastreux, on peut ajouter son aptitude à la consommation effrénée de matières premières, dont l’exploitation de certaines a fait l’objet d’avertissements par les Nations Unies. Pour exemple, entre 27 et 40 milliards de tonnes de sable marin sont prélevés par an, ressource rare et dont les conséquences de son prélèvement outrancier ont des conséquences dramatiques sur l’érosion des sols, la biodiversité, les humains victimes de filières illégales, …
Avec l’industrie du bâtiment viennent l’occupation des espaces de vie par les carrières, dont 3600 sont actives en France, leur accaparement des terres, l’artificialisation des sols
(la France, c’est près de 5 millions d’hectares de sols artificialisés, soit 9% de la superficie du pays). Citons également les dérogations obtenues par certaines usines pour polluer plus, au détriment de ses voisins, les décharges illégales qui fleurissent dans le pays, les projets de bétonisation contestés absurdes. Le secteur semble faire du zèle là où il pourrait l’éviter.
Écologiquement répréhensible, le secteur souffre également de conditions de travail parfois pénibles et qui, en 2018, avaient produit l’équivalent de 1 accident du travail toutes les 2 minutes dans le pays. Intempéries, charges lourdes, bruit assourdissant, exposition aux produits chimiques, participent à rendre cette statistique.
L’écoconstruction, une alternative crédible
#Construire en terre crue ? une solution bioclimatique économe en énergie mise en pratique par @Ogic_officiel à #Lyonhttps://t.co/zc1btXQSpx #immobilier #Confluence #pisé pic.twitter.com/rNOzgGva9s
— Le Plan Immobilier (@planimmobilier) December 7, 2020
Au cœur de la ville de Bagneux, en région parisienne, la SCOP « Les Grands Moyens » travaille sur le projet qu’elle a décroché, au cours d’un appel d’offre. Le remplissage de façades et la réalisation de cloisons intérieures en terre crue, pour un projet de 42 logements en région parisienne. Un projet d’ampleur pour une coopérative d’un an d’existence, qui redécouvre, réinvente et impose progressivement la construction en terre crue et en paille comme relève au béton, au verre, au plastique, aux isolants industriels.
Adrien, co-fondateur de « Les Grands Moyens », nous fait visiter le site. « Pour nos projets, nous utilisons des matériaux locaux, dont nous connaissons toute la chaîne de production. Dès que nous pouvons, nous utilisons les terres excavées du Grand Paris, issues de l’usine francilienne Cycle Terre. En fin de vie du bâtiment, briques de terre crue ou bottes de pailles peuvent tout simplement être remises en terre. Ces matériaux ne sont pas cuits, donc provoquent moins d’émissions de CO2, sont locaux, mis en œuvre localement, recyclables à l’infini et compostables. »
Et la terre crue n’est pas seulement un réutilisable et compostable : les propriétés de l’argile en font un élément technique très intéressant, pour le confort des utilisateurs.
Adrien explique : « La terre a de très bonnes propriétés thermiques et hygrométriques. C’est un matériau qui a une forte inertie thermique, donc par exemple, en été, il absorbe la chaleur et la rediffuse plus tard, c’est ce qu’on appelle le déphasage thermique. Cela permet de garder un meilleur confort, été comme hiver. Également, il absorbe le surplus d’humidité de l’air, et le restitue lorsque l’humidité relative de la pièce diminue. On peut aussi citer sa capacité à absorber les sons, les odeurs et à éviter la résonnance acoustique ».
La paille fait également partie des matériaux étudiés et mis en œuvre dans le cadre des chantiers d’écoconstruction. Disponible sur tout le territoire et fort de ses propriétés isolantes ainsi que d’une très grande longévité, ce matériau a des propriétés techniques intéressantes.
Tout comme la terre crue, il dispose d’un déphasage thermique important, environ 12h, c’est-à-dire qu’en été, lorsque la chaleur commence à entrer dans le logement, il fait assez frais dehors pour ouvrir ses fenêtres afin de ventiler. À titre de comparaison¸ pour des épaisseurs classiques, la laine de verre et le polystyrène ont un déphasage thermique de seulement 6h. Au cours d’une enquête réalisée par l’association APPROCHE PAILLE en 2018, les températures d’une maison isolée en paille n’avaient augmenté que de 3,3 ° entre le matin et l’après-midi, contre 12°C de différence à l’extérieur (20.8°C le matin, 33°C l’après-midi).
Outre ses propriétés thermiques, et contrairement à la croyance populaire, la paille de construction ne prend pas feu facilement : son compactage est si intense que l’air ne passe pas en son sein. Enfin, le prix attractif dont bénéficie ce « déchet » agricole (tiges du blé, du seigle, de l’orge, …) permet de le considérer facilement pour des chantiers de construction (chantiers de paille porteuse) ou encore de rénovation thermique.
Et ces matériaux, utilisables sans structure porteuse en béton dans la réalisation de bâtiments entiers, font déjà leurs preuves en France et dans le monde.
Villeurbanne. Un bâtiment en paille porteuse, projet pilote – Tribune de Lyon https://t.co/MDdA1QHPEQ pic.twitter.com/bG5SdPgeqg
— Info Immobilier Lyon (@InvestirLyon) March 30, 2022
Sortir des sentiers battus
Le bâtiment est un secteur régi par un système normatif et réglementaire très strict. La connaissance approfondie du béton, verre et autres matériaux conventionnels a permis la création de normes, de coefficients de sécurités, de documents techniques spécifiquement créés pour chaque composant des ouvrages modernes. Or, la terre crue et la paille doivent se faire une place dans un système créé pour le béton, et les isolants synthétiques.
Alors que la construction en terre crue fait partie des méthodes les plus anciennes, comme en témoignent les ziggourats mésopotamiens ou la muraille de Chine dont de longues sections sont construites en terre crue, il faut réinventer et prouver, encore et encore, que ces techniques oubliées sont fiables et efficaces.
« Tous les jours, on expérimente. Dès qu’on doit fixer la moindre vis, il nous faut appeler le bureau d’études, le bureau de contrôle, faire des tests … cela peut être stressant. On est toujours dans l’innovation, on apprend en avançant. » Adrien, co-fondateur de « LES Grands Moyens ».
Adrien continue : « L’une des difficultés dans la réalisation de structures en terre crue, c’est que les normes de la construction ont calé les coefficients et les attentes de performance sur le béton. Or, les marges de sécurité sont trop grandes. On n’a pas besoin de demander autant à un matériau. Par ailleurs, on leur demande déjà beaucoup : de répondre aux contraintes techniques, d’avoir de bonnes qualités thermiques et hygrométriques naturelles, d’être recyclables, compostables et esthétiques, … on ne peut pas tout avoir, mais il faut faire évoluer notre conception des bâtiments et l’adapter aux éco-matériaux. L’écologie ne peut plus être une variable d’ajustement ».
En Europe, la terre crue peut être mise en œuvre dans des bâtiments jusqu’à des types R+2 (rez-de-chaussée + 2 étages) dans des villes que, dans le futur, Adrien imagine plus basses : « Il faut adapter nos villes aux éco-matériaux. Par exemple, les tours vitrées de 50 étages ont un potentiel d’adaptation très faible aux enjeux climatiques : larges vitres qui surchauffent (et donc, climatisation), hauteur qui ne tolèrent pas les escaliers et donc l’absence d’énergie… il est plus facile de faire évoluer des bâtiments plus compacts et plus bas. La question est de savoir comment utiliser nos espaces. Le modèle Suisse, qui s’appuie sur des logements plus petits et des espaces partagés, est inspirant ».
Un modèle social moderne
Alors que le secteur du BTP encaisse le nombre le plus élevé d’arrêt maladie et d’accidents du travail du pays, auxquels les conditions de travail (chaleur, lourdes charges, exposition aux poussières et produits chimiques, …) participent, « Les Grands Moyens » tente une réinvention dans un modèle social particulier, couché dans une charte rédigée par un groupe réunissant ingénieurs, architectes, urbanistes, constructeurs.
« L’idée est de passer les salariés en associés, pour que tout le monde soit patron et salarié. Comme ça, tout le monde partage les enjeux, et donc est plus investi. Par ailleurs, tout le monde est rémunéré de la même manière, maçons ou architectes. » explique Adrien.
« On tente aussi d’équilibrer le travail, que tout le monde passe aux tâches les plus pénibles. On ne veut pas de hiérarchie entre travail manuel et intellectuel. On essaye de réinjecter de la vertu dans un milieu très hiérarchisé d’habitude, en mettant en place une cogérance, une hiérarchie horizontale. » Adrien, co-fondateur de « LES Grands Moyens »
Outre le respect interprofessionnel, la présence de femmes maçonnes interpelle certains travailleurs d’autres entreprises. Et pour cause, c’est 60 % de femmes ouvrières que l’on trouve sur le chantier de Bagneux. Valérie travaille dans les systèmes d’information depuis 24 ans, dans l’industrie, et a obtenu un diplôme après une formation de quelques mois dans l’écoconstruction.
« À la base, j’ai un diplôme de génie civil, mais quand je suis sortie d’école en 96, le BTP n’embauchait pas trop. Ils n’embauchaient ni les débutants ni les femmes, alors que, dans ma formation, la moitié étaient des femmes. Il y a quelques temps je me suis demandé comment aller vers ce qui m’intéressait, et ait découvert cette formation. » et puis, de rire : « ils n’ont pas voulu de moi par la porte, je suis rentrée par la fenêtre ».
Delphine, elle a réalisé cette formation en reconversion. « J’avais un peu la pression, parce que j’avais le sentiment que c’était physique, un métier d’homme. Mais j’avais envie de faire quelque chose à contre-courant de ce pourquoi j’ai été éduquée. Mon père a fait des construction seul, moi je ne m’en sentais pas capable, et c’est lié au fait que je suis une femme. Se sentir légitime, cela prend du temps ».
Un modèle essentiellement plus vertueux, c’est ce que prône la SCOP les Grands Moyens. Écologiquement et socialement indispensable, ce travail d’ampleur permet également la diffusion d’un message : il est possible de faire autrement. Que ce soient les passants, qui s’interrogent devant un titre de journal, une vitrine Hermès où trône la terre crue, ou un bâtiment à l’esthétique nouvelle, la nouveauté amène à l’interrogation et la réflexion.
« À chaque fois qu’on dessine un trait, on se demande si écologiquement et structurellement, ça tient la route ». Adrien, co-fondateur de « LES Grands Moyens »
Et les pistes ne manquent pas. Repenser la ville, prioriser l’économie des espaces de vie à la logique productiviste, changer de mode de pensée pour garder l’écologie au centre des préoccupations. Au cœur d’un urbanisme réfléchi à la hauteur des enjeux, les tours miroir de la Défense ne seraient peut-être pas démolies après 42 ans de vie pour faire place à des tours de presque 200 mètres de hauteur.
– Claire d’Abzac
Photo de couverture : « Les Grands Moyens ».