Malgré les inquiétudes émises fin juin par la Commission du Royaume-Uni sur le Changement Climatique (Climate Change Committe) concernant la lenteur du pays dans la mise en œuvre de sa stratégie de neutralité carbone d’ici 2050, le Premier Ministre Rishi Sunak annonçait le 31 juillet dernier sa volonté d’accorder plus de 100 licences d’exploitation de gaz et de pétrole en mer du Nord. En septembre, ce dernier enfonce le clou et repousse les dates d’interdictions de vente de voitures thermiques et d’installations de nouvelles chaudières à gaz. 

La fuite en avant du Premier Ministre Rishi Sunak remet indéniablement en question les ambitions climatiques du pays alors que le Royaume-Uni vient de connaître son mois de septembre le plus chaud jamais enregistré, et qui confirment la tendance des conservateurs de s’éloigner de leurs engagements climatiques ces dernières années.

La stratégie de neutralité carbone d’ici 2050

En termes de politiques climatiques, le Royaume-Uni a toujours fait partie des « bons élèves » mondiaux et mise depuis plusieurs décennies sur des stratégies ambitieuses et pionnières (même si le pays n’en reste pas moins un grand pollueur et faisait toujours partie des 20 pays émettant le plus d’émissions carbone en 2021 selon les calculs de Global Carbon Atlas).

En effet, en 2008, le Climate Change Act  fixait l’objectif de réduire de 80% les émissions de gaz à effet de serre du pays pour 2050 par rapport aux niveaux des années 1990, avant d’être actualisé en 2019 en objectif de zéro émission à l’horizon 2050. Le Royaume-Uni est ainsi devenu l’un des premiers pays à inscrire l’objectif de neutralité carbone dans sa loi.

Après le Brexit, la loi sur l’environnement de 2021 est venue à son tour remplacer les législations européennes sur des questions telles que la qualité de l’air, d’eau, de biodiversité, d’efficacité des ressources ou encore de réduction des déchets. Dans la foulée et en prévision de la COP26 que le pays s’apprêtait à recevoir à Glasgow, le gouvernement britannique de l’époque a décidé de rehausser ses objectifs intermédiaires de réduction de gaz à effet de serre en 2021, pour viser une réduction de 78% des émissions à l’horizon 2035, soit un objectif plus grand que celui fixé par l’Union Européenne.

COP26 à Glasgow. Wikimedia

À l’heure actuelle, les émissions de gaz à effet de serre du pays ont diminué de 46% par rapport aux niveaux de 1990, en grande partie grâce à la transition énergétique du pays qui a réduit drastiquement l’utilisation du charbon pour sa production d’électricité et développé ses énergies renouvelables. Une bonne avancée certes, mais si le Royaume-Uni souhaite effectivement atteindre une réduction de 78% d’ici 2035 comme annoncé à la COP26, il va falloir mettre les bouchées doubles. À ce jour, c’est malheureusement le contraire que est observé.

Des avancées trop lentes

Aujourd’hui, les engagements environnementaux du Royaume-Uni n’en font plus un « leader mondial » en matière de climat. C’est ce qu’affirme en tout cas le Climate Change Committee (CCC), organisme consultatif indépendant, dans son rapport annuel sur l’avancement du Royaume-Uni dans ses réductions d’émissions carbone présenté fin juin au Parlement britannique.

Parmi les principaux messages du rapport, le pays est épinglé pour son « manque d’urgence » face à la gravité de la crise climatique. Le rapport indique que les engagements sur papier sont ambitieux mais qu’ils doivent toutefois être rapidement réaffirmés et surtout mis en œuvre en menant des actions « plus ambitieuses ».

Selon le CCC, le gouvernement se base sur « des solutions technologiques qui n’ont pas encore été déployées à une échelle suffisante, plutôt que d’encourager les gens à réduire leurs activités émettrices de CO2 ». À cela, s’ajoutent des problèmes tels que le manque d’isolation des maisons, la lente installation de pompes à chaleur, les projets d’expansion d’aéroport ou encore l’allure trop faible du développement des énergies renouvelables et de la décarbonisation du secteur de l’industrie.

Une autre faiblesse de ces ambitions réside dans le manque de moyens octroyés à la transition écologique et énergétique. À la suite de la publication du rapport, un collectif de plus de 90 organisations de société civile ont d’ailleurs lancé un appel au gouvernement pour qu’il respecte ses engagements pris en matière de finances destinées à la lutte contre le changement climatique. Lors de la COP26 à Glasgow, le gouvernement avait en effet promis d’accorder une enveloppe de 11,6 milliards de livres entre avril 2021 et mars 2026, montant qui serait loin d’être engagé à ce jour.

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

En bref, selon le Secrétaire d’État au Climat et Zéro Carbone, Ed Miliband, « ce rapport met en évidence la négligence catastrophique dont a fait preuve ce gouvernement, qui a laissé la Grande-Bretagne avec des factures plus élevées, moins d’emplois de qualité, notre sécurité énergétique affaiblie et l’urgence climatique non résolue ».

Le Secrétaire d’État au Climat et Zéro Carbone, Ed Miliband. Wikimedia

Le retour des énergies fossiles malgré tout

Malgré les inquiétudes exprimées par le Climate Change Committee envers les avancées du pays, le Premier Ministre Rishi Sunak provoquait déjà l’indignation en annonçant, un mois après la sortie du rapport, accorder des licences de forage et d’exploitation d’énergies fossiles en Mer du Nord dès septembre. Une solution qu’il décrit comme « meilleure pour leur sécurité énergétique ». Le Premier Ministre affirme par ailleurs que ces licences de pétrole et de gaz ne seraient pas en contradiction avec le plan zéro carbone pour 2050, ce que dément fermement le Climate Change Committee.

Cette décision s’ajoute par ailleurs à l’approbation hautement controversée en décembre dernier de l’exploitation d’une nouvelle mine de charbon, la première depuis 30 ans, à Cumbria dans le Nord-Ouest de l’Angleterre. Une décision qui semble venir tout droit d’une autre époque…

Plateforme pétrolière en Mer du Nord. Source : Wikimedia

Fin août, nouvelle marche arrière du gouvernement sur le plan environnemental : des contraintes pour la construction de logement issues d’une législation européenne sont adoucies. Le règlement prévoyait que les promoteurs immobiliers soient contraints de compenser les rejets de substances polluantes dans l’environnement émanant de leurs projets, et représentait, selon le Premier Ministre, un « obstacle » à la construction de nouveaux logements.

Ces décisions viennent s’ajouter à la tendance des gouvernements conservateurs à la tête du pays depuis plusieurs années de faire progressivement passer la crise climatique au second plan… Le gouvernement de Rishi Sunak en est une illustration parfaite. À cet égard, le secrétaire d’État au climat, Zac Goldsmith, a d’ailleurs démissionné le 30 juin dernier avec le motif explicite de « l’absence d’intérêt » pour l’environnement de la part du Premier Ministre.

À Londres aussi, les conservateurs n’ont pas le climat en ligne de mire, puisqu’ils sont actuellement en train de lutter pour l’arrêt du projet de zone à basses émissions étendue à toute la périphérie de Londres, défendu par le maire travailliste Sadiq Khan.

Sadiq Khan accueille l’ambassadeur américain au Royaume-Unis Woody Johnson. Wikimedia

Demi-tour à 180°

Le 20 septembre, Rishi Sunak enfonce définitivement le clou et ne s’en cache plus : lors d’une conférence de presse organisée à cette fin, il annonce officiellement mettre un frein aux stratégies engagées jusque-là, malgré les nombreuses condamnations au sein du pays et à l’international, et fait demi-tour sur une série de mesures de la stratégie neutralité carbone.

Concrètement, l’interdiction de ventes des voitures à essence ou diesel prévue pour 2030 a été repoussée jusque 2035. Une décision difficile à avaler même auprès des constructeurs automobiles qui se sont indignés de l’inconsistance des politiques du gouvernement, après avoir été encouragés à développer l’électrique depuis des années. Même sort pour l’interdiction d’installation de nouvelles chaudières à gaz ou autres énergies fossiles qui sera, quant à elle, repoussée de 2026 à 2035.

Après toutes ces annonces, Rishi Sunak qualifie sa démarche de « plus pragmatique, proportionnée et réaliste » et dit quand même être confiant que les politiques en place permettront au pays d’atteindre ses objectifs climatiques, des propos pour le moins contradictoires.

La ministre de l’Intérieur Suella Braverman déclarait dans la foulée de ces annonces : « Nous n’allons pas sauver la planète en ruinant le peuple britannique ».

À un an des législatives britanniques, les conservateurs tentent de se démarquer des travaillistes en tenant des positions contraires à des actions climatiques qu’ils font passer pour défavorables à la population. Encore une fois, l’enjeu climatique est sacrifié au profit de manœuvres électoralistes.

Alors qu’aux 4 coins du monde, les températures explosent et les catastrophes climatiques s’enchaînent, le déni des conservateurs est à l’image du film Don’t look up. Il ne reste à espérer que la population britannique saura faire preuve d’ingéniosité et de sens des priorités pour exiger du gouvernement des actions à la hauteur de l’urgence environnementale. 

– Delphine de H.


Photo de couverture : Prime Minister Rishi Sunak arrives in Downing Street. Wikimedia

Sources :

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation