Annulation des fêtes religieuses, réduction des cadences dans les abattoirs, fermeture des restaurants et des marchés… le Covid19 bouscule les filières et les circuits de distribution. Certains éleveurs se voient obligés de donner leurs animaux. Certains envisagent de les abattre faute de débouchés.

Le marché de Pâques est « mort »

Les éleveurs ovins attendaient Pâques avec impatience. La filière déjà fragile, qui voit dégringoler ses ventes depuis les années 90, mise beaucoup sur cette période. L’année 2020 s’annonçait pourtant prometteuse pour le secteur. Exceptionnellement, les fêtes des trois grandes confessions juive (8 avril), chrétienne (dimanche 12 avril), et musulmane (23 avril au 23 mai) étaient concentrées sur le calendrier, laissant espérer 80% des ventes annuelles d’agneaux…

Sauf qu’avec la crise du coronavirus, ce marché s’est soudainement effondré. Avant le week-end de Pâques, il y avait près de 500.000 agneaux à « écouler » dans les fermes françaises selon Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. Que faire de ces centaines de milliers d’agneaux qui devaient se retrouver sur les tables familiales pendant les fêtes religieuses ? (On se questionnera une autre fois sur le lien entre la compassion prônée par la religion lors de ces fêtes et l’acte de tuer un agneau pour la célébrer).

Depuis le début de la crise, la filière ovine fait donc pression sur les grandes surfaces pour « sortir l’agneau néo-zélandais des rayons ». Cet agneau déjà découpé est arrivé par bateau, stocké dans de l’azote liquide. Il a été commandé en prévision par les distributeurs qui ont eu peur de manquer. Les frigos des supermarchés sont donc déjà pleins, mais peinent à se vider.

Rappelons qu’en France, plus de 50% des agneaux sont importés. Royaume-Uni, Irlande, Espagne et Nouvelle Zélande fournissent le pays. Alors que le lien entre élevage et pandémie se renforce, nous pourrions aussi nous remémorer l’épidémie de fièvre aphteuse de 2001. Partie d’un élevage de porcs au Royaume-Uni, cette épizootie avait décimé une partie du cheptel. Même si elle n’était pas transmissible à l’humain, 60 000 animaux avait été abattus en France, par mesure « préventive ».

Mais revenons à nos moutons.

Maintenir le rythme de la tuerie

Autre problème majeur de la filière, le ralentissement des cadences d’abattage. En effet, le marché habituel impose un rythme d’abattage ultra-rapide, symbole d’un modèle industriel qui semble avoir perdu la raison. Même s’il y a eu un regain d’activité avant le confinement dû aux provisions faites par les français, les abattoirs et ateliers de découpe sont désormais confrontés à la problématique du personnel manquant. La réduction des effectifs dans les abattoirs est estimée entre 10 et 15 % à l’échelle nationale. Avec certaines régions plus touchées que d’autres comme le Grand Est où le taux d’absentéisme frôle les 30 %, ou encore la région Auvergne-Rhône-Alpes avec 25 % actuellement.

Sur les sites internet de certaines chambres d’agriculture, on peut voir une information en direct sur les possibilités actuelles de chaque abattoir. Ceux qui maintiennent leur activité précisent la possibilité de prendre de nouveaux usagers « au compte-goutte ». Certains ont aussi tendance à privilégier les gros clients, ce qui rend l’exercice encore plus difficile pour un petit producteur de faire abattre seulement quelques bêtes.

Un maillon de la machine se grippe et c’est tout le système qui est en panne. Avec
3 millions d’animaux qui passent chaque jour sur les chaînes d’abattage française,
on comprend pourquoi.

Une filière complètement déstructurée qui doit s’adapter

La filière ovine n’est pas la seule touchée. Avec la fermeture de la restauration hors domicile, la fermeture de certains rayons traditionnels dans les grandes surfaces, l’interdiction des marchés de plein air… de nombreuses filières viande n’ont plus de débouchés, pour le plus grand bonheur des défenseurs des animaux qui démontrent qu’une existence est possible en mangeant moins de viande.

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C’est notamment le cas de certaines volailles comme les pintades, canards, cailles ou encore poulet de Bresse… traditionnellement valorisées en restauration hors domicile. Des aides européennes au stockage privé sont demandées afin de pouvoir faire abattre les bêtes, et les stocker une fois abattues, faute de pouvoir conjuguer absence de revenus et paiement des coûts de stockage.

Un autre exemple avec ce fabriquant de fromage de chèvre en Lozère, dont l’appel à l’aide est relayé sur France 3. « L’abattoir de la Drome avec qui il travaille depuis 20 ans ne peut plus lui acheter ses chevreaux, cette année. En temps normal, cet abattoir travaille beaucoup avec l’Italie. Depuis la crise du coronavirus et la fermeture des frontières, ses gérants se sont repliés sur la France. » Il ne sait pas quoi faire de ses 60 chevreaux qui, en buvant le lait destiné aux fromages, risqueraient bien de mettre à mal la production de l’année…

On oubliera pas de noter que les chevreaux, tout comme les veaux, sont communément appelés des « sous-produits » du lait dans le secteur. Une fois nés, ils représentent une charge pour l’éleveur qui doit rapidement « s’en débarrasser ».

Se débarrasser des animaux, coûte que coûte…

Sauf que des agneaux ou des chevreaux, ça ne se jette pas aussi facilement que des fraises, ou des asperges.

Les éleveurs ne pourraient-il pas les garder en attendant ? Et bien non. Dans l’état actuel du modèle productif, les éleveurs ne peuvent pas nourrir indéfiniment les animaux, et supporter des coûts imprévus sans revenus en face. À mesure qu’ils prennent du poids, certains animaux comme les agneaux perdent de la valeur commerciale. Bientôt, ils ne correspondront plus à la demande et seront déclassés !

On voit même l’Institut de l’élevage proposer des « plans de rationnement » : « Si le départ des agneaux prêts à partir est reporté, un rationnement sévère les maintiendra approximativement au même poids », explique Laurence Sagot dans une interview pour La France Agricole. Résumons : après les avoir engraissés, rationnons-les ! Une fois encore, les animaux payent le prix des incohérences des choix économiques humains.

Des petites annonces sur les réseaux sociaux pour donner les animaux

Alors, les éleveurs se débrouillent comme ils peuvent : petites annonces, bouche-à-oreilles, certains lancent des appels aux particuliers pour désengorger leurs bergeries. Depuis quelques jours, on commence à voir circuler ce genre de petites annonces sur les réseaux sociaux.

Les associations pour la protection des animaux se mobilisent, voyant là une opportunité pour faire un maximum de sauvetages. Avec l’enjeu de ne pas donner les bêtes pour qu’elles terminent…dans une assiette : URGENT Don de chevreaux de compagnie, se voient elles obligées de préciser. Ce qui n’empêche pas de trouver des questions de ce type dans les commentaires : « Est-ce que la viande de chèvre est adaptée pour un pot-au-feu ? »

Inciter à consommer des animaux en solidarité aux éleveurs ?

Certains en appellent alors au « patriotisme » des grandes surfaces et des consommateurs pour inciter les gens à augmenter leur consommation de viande. Mangez des agneaux français, au nom de la solidarité nationale ! Voilà une injonction qui pose toutefois question. À l’heure où cette crise sanitaire nous conduit à l’évidence du lien entre notre consommation animale et les grandes pandémies, est-il vraiment responsable d’appeler à manger de la viande ? Alors que la communauté scientifique internationale appelle à adopter un régime végétal pour sauver ce qu’il reste des écosystèmes, la solidarité avec le plus grand nombre ne commencerait-elle pas justement, à changer drastiquement nos habitudes de consommation et transitionner enfin vers une alimentation davantage végétale en circuit court ?

Charlotte Arnal

Sources :
USINE NOUVELLE : Pourquoi les abattoirs s’inquiètent malgré une hausse des commandes
LA DEPECHE – Pamiers. L’abattoir poursuit son activité et a renforcé les mesures barrière
LA DEPECHE : Le marché de Pâques est mort
FRANCE AGRIMER : La consommation de viande ovine 2012
CHAMBRE D’AGRICULTURE MEURTHE ET MOSELLE
PAYSAN BRETON : le marché de l’agneau décrypté
ACADEMIE DE MEDECINE – communication sur la fièvre aphteuse
FRANCE 3 OCCITANIE : Lozère : un éleveur de Langogne donne ses chevreaux, faute de pouvoir les abattre
LA FRANCE AGRICOLE : « Il y a urgence à vider les bergeries »
LA FRANCE AGRICOLE : Les agneaux sortent au compte-gouttes
INSTITUT DE L’ELEVAGE : Chiffres clés ovins
FACEBOOK : URGENT Don de chevreaux de compagnie
LA FRANCE AGRICOLE : Ralentir la croissance des agneaux en urgence
SUD OUEST : Pyrénées-Atlantiques : un drive fermier pour se faire livrer en agneau
LA FRANCE AGRICOLE : Les filières de volailles sous label fragilisées
COVID-19 – ESPAGNE-PORTUGAL Conséquences sur le secteur Agriculture – Alimentation – Pêche


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