La Ministre de la transition écologique et le Garde des Sceaux ont annoncé dimanche dernier vouloir inscrire le délit d’écocide dans le droit français. Punir les pollueurs ? Quelle bonne nouvelle ! Et pourtant, il n’y a pas de quoi se réjouir. Leur annonce vient en réalité s’accaparer et détricoter la proposition inédite faite par les citoyens de la Convention Citoyenne pour le Climat en juin 2020. Un effet d’annonce et une récupération politique plutôt qu’une réelle avancée juridique. Explications.
Dimanche dernier, la Ministre de la transition écologique et le Garde des Sceaux ont annoncé dans le Journal du Dimanche vouloir inscrire un délit d’écocide dans le droit français. Ne nous y trompons pas. Ce qui est annoncé ici n’est que l’actualisation du délit générique d’atteinte à l’environnement, une mesure que le gouvernement proposait depuis la remise en octobre 2019 du rapport « Une justice pour l’environnement ». Et renommée « délit d’écocide » afin de simuler une mise en conformité avec la proposition faite lors la Convention Citoyenne sur le Climat (CCC) en juin… alors même que les citoyens demandaient la reconnaissance d’un crime d’écocide.
Ce lundi, Wild Legal, une association qui œuvre pour la reconnaissance des droits de la nature – notamment le crime d’écocide – , était aux côtés des citoyens de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) pour échanger avec les deux ministres. Les citoyens ainsi que Wild Legal ont exprimé à leur sortie une profonde déception : la proposition de la CCC a été largement détricotée et vidée de sa substance par le gouvernement. Il s’agirait donc d’un effet d’annonce, plutôt que d’une réelle avancée juridique.
De la proposition de reconnaissance d’un crime d’écocide …
En juin dernier, les citoyens de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) ont proposé différentes mesures dans le champ de la répression judiciaire des atteintes à l’environnement dont l’introduction d’un crime d’écocide, la création d’une haute autorité des limites planétaires et le renforcement du contrôle et des sanctions. Concrètement, cela s’est traduit par deux propositions emblématiques :
D’une part, adopter une loi qui pénalise le crime d’écocide dans le cadre des neuf limites planétaires, qui intègre le devoir de vigilance et le délit d’imprudence, et dont la mise en œuvre serait garantie par la Haute Autorité aux Limites Planétaires. Le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé fin juin aux citoyens que cette proposition était inconstitutionnelle et qu’il fallait approfondir ce sujet dans un groupe de travail. Ce groupe de travail s’est réuni à deux reprises.
D’autre part, contrôler et sanctionner plus efficacement et rapidement les atteintes aux règles en matière environnementale. Concernant cette proposition, un rapport conjoint de l’inspection générale de la justice et du conseil général de l’environnement et du développement durable avait conduit à une vingtaine de propositions.
A sa réduction au simple « délit d’écocide »
Barbara Pompili et Eric Dupond-Moretti, respectivement Ministre de la transition écologique et Garde des Sceaux, ont annoncé vouloir inscrire le délit d’écocide dans le droit français. Pourtant, il n’y a pas de quoi se réjouir. Et ce pour plusieurs raisons. Avant tout, le délit d’écocide, comme ils l’entendent, n’est qu’une pâle actualisation du délit générique d’atteinte à l’environnement, une mesure que le gouvernement proposait déjà en octobre 2019 depuis la remise du rapport « Une justice pour l’environnement ». Cette mesure a été renommée « délit d’écocide » davantage pour simuler la mise en œuvre de la proposition faite par les citoyens de la CCC que pour opérer une réelle avancée juridique. Certes, ce délit permet de faire en sorte que la sanction soit possible sans attendre la réalisation d’un dommage environnemental. Or il n’est en réalité qu’une conformation à la directive de l’Union européenne sur la protection de l’environnement par le droit pénal datant de… 2008, et dont la révision est prévue pour 2021. Avec 12 ans de retard sur le droit européen, on ne peut donc pas vraiment parler d’avancée juridique.
Marine Calmet, présidente de Wild Legal souligne :
« Le coup de poker consistant à renommer le “délit générique d’atteinte à l’environnement” en “délit d’écocide” n’est pas digne de l’espoir que les membres de la CCC ont placé en la parole du Président et en ce gouvernement »
En effet, le délit d’écocide est à l’opposé de la reconnaissance de crime d’écocide qu’ils avaient proposéef. Il se limite aux problématiques de pollutions locales, là où la proposition des citoyens vient prendre en compte la mise en péril des conditions de vie sur Terre dans leur globalité suite aux atteintes à l’équilibre des milieux naturels. Il est sanctionné de 4,5 millions d’euros, là où les citoyens réclamaient une amende de 10 millions d’euros ou, dans le cas d’une entreprise, de 20 % du chiffre d’affaires annuel mondial.
Plus précisément, sous ce « délit d’écocide » sont créés deux délits environnementaux : le « délit général de pollution » et le « délit de mise en danger de l’environnement ». En résumé :
Un tel détricotage de la proposition des citoyens, passant alors du statut de crime à celui de délit, montre bien que la proposition du gouvernement ne tient pas compte des origines historiques et du contexte international qui entoure la reconnaissance du crime d’écocide. En effet, le terme d’écocide est né dans le cadre de la guerre du Vietnam pour dénoncer la destruction massive de l’environnement et les séquelles sur la santé causées par l’Agent Orange. L’écocide ne désigne pas n’importe quel crime environnemental : il est d’entre tous, LE, crime environnemental. Celui qui s’impose à tous et toujours, puisqu’il vise les atteintes à l’environnement d’une gravité telle qu’elles sont irréparables car elles mettent en péril la sûreté de la planète. Un écocide est aussi grave qu’un génocide, ce n’est pas un simple délit.
Sous couvert de mettre en application une proposition de la CCC, le gouvernement protège en réalité ses intérêts, notamment économiques. Et cela va même plus loin : il met fin à toute possibilité de faire reconnaître le crime d’écocide au niveau international. En affaiblissant la portée du crime d’écocide, cette définition proposée par le gouvernement, porte atteinte aux mouvements juridiques internationaux tels que End Ecocide on earth qui milite depuis plus de dix ans pour l’introduction de ce crime devant la Cour pénale internationale (CPI). Alors même que Emmanuel Macron s’était engagé le 29 juin 2020 à « faire en sorte d’inscrire le terme d’écocide dans le droit international pour que les dirigeants qui sont chargés par leurs peuples de protéger le patrimoine naturel et qui faillissent délibérément rendent compte de leurs méfaits devant la Cour pénale internationale. »
De la mauvaise volonté ?
Alors qu’au niveau mondial, les juristes luttent pour demander la reconnaissance du crime d’écocide devant la CPI, le gouvernement français se contente d’accoler une étiquette greenwashée à n’importe quel délit de pollution. Et ce, volontairement. Les juristes de Wild Legal ainsi que les citoyens de la CCC ont travaillé conjointement sur la définition du crime d’écocide avec le gouvernement. Emmanuel Macron lui-même a connaissance de ce qu’implique cette notion ! Ses propos tenus le 23 août 2019 le montrent bien : « Un écocide est en train de se développer à travers l’Amazonie, et pas seulement au Brésil ». Marine Calmet, présidente de Wild Legal explique :
«alors qu’Emmanuel Macron avait lui-même qualifié la déforestation liée aux incendies en Amazonie de crime d’écocide, la définition proposée par ses ministres ne permettrait pas de poursuivre la destruction de forêts sur le territoire français. Un décalage qui montre bien que cette mesure n’est pas à la hauteur des enjeux de ce siècle ».
Pourquoi un tel rejet de la proposition des citoyens de la CCC ? Parce-qu’elle implique une révolution juridique. Reconnaître le crime d’écocide, ce serait opérer un véritable changement de paradigme dans le droit pénal environnemental, par la création d’un crime autonome, décorrélé des enjeux triviaux du droit administratif. A titre d’exemple, une pollution légale (selon le délit d’écocide) telle que la pollution industrielle due aux rejets de boues rouges de l’usine Alteo au large de Marseille, ne pourrait plus être autorisée par de simples autorisations préfectorales de droit administratif. Elle pourrait enfin être poursuivie pour crime d’écocide. Une avancée que le Garde des Sceaux a rigoureusement écartée.
Par conséquent, les citoyens de la CCC ainsi que les juristes de Wild Legal demandent au gouvernement de retirer l’appellation de délit d’écocide à ce texte qui ne respecte ni les volontés de la CCC, ni les ambitions du mouvement international pour la reconnaissance de l’écocide. Les échanges se poursuivront devant les parlementaires au cours des débats sur le projet de loi Parquet européen, à partir du 8 décembre prochain.
Pour soutenir les citoyens de la CCC et sauver leurs propositions, une pétition a été mise en place, s’adressant directement à Emmanuel Macron : « Parce que vous l’avez promis, et parce que la crise climatique à venir ne s’accomodera pas de demi-mesures, nous vous demandons de tenir votre engagement formel et public de reprendre “sans filtre” les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, en les soumettant au référendum, au Parlement ou à application réglementaire directe.»
Et pour en savoir plus sur les enjeux liés à la reconnaissance du crime d’écocide et des limites planétaires, nous vous conseillons de relire le décryptage que nous avions écrit en juin dernier à ce sujet.
– Camille Bouko-levy