Depuis mercredi 22 novembre, plusieurs dizaines de mineurs issus de l’immigration ont trouvé refuge dans le bâtiment Censive de l’Université de Nantes. Les militants à l’origine de cette occupation dénoncent la mollesse de l’action nationale en général et de l’action municipale en particulier sur ce sujet pourtant sensible. Rencontre avec ces étudiants « anonymes » qui ont décidé de leur venir en aide.
Dans plusieurs villes de France, des bénévoles ont décidé de venir en aide aux jeunes migrants laissés seuls dans les rues, en investissant des lieux leur permettant de passer la nuit en toute sécurité. Un amphithéâtre a, par exemple, été occupé à Lyon et une quarantaine d’exilés dorment dans une église de la capitale Phocéenne. À Nantes, c’est d’abord l’ancienne École des Beaux-arts qui a servi de refuge à la soixantaine de migrants, en attente d’une reconnaissance officielle de leur minorité par les institutions françaises. « La prise de l’ancienne école des Beaux-arts était réfléchie, il y avait un mouvement de 150 à 200 personnes, place Bouffay. On s’est mis en route vers le bâtiment avec l’idée de l’occuper. On a investi les lieux vers 15 h (le samedi 18 novembre). On a passé une nuit là-bas. Une fois sur place, il y a eu une permanence à la mairie qui nous a dit que nous ne serions pas expulsés, un dialogue s’est construit avec différents élus » nous glisse une militante qui préfère garder l’anonymat.
Seulement, l’optimisme va rapidement laisser place à l’indignation chez les occupants « Nous avons commencé à y croire, à s’imaginer dans le lieu, à se projeter. Mais le dimanche, vers 14h, la police a débarqué. L’expulsion, contrairement à ce qu’ont pu en dire certains médias, a été assez violente. Un groupe de mineur s’est fait courser jusqu’à un cul-de-sac, les mineurs ont préféré sauter par la fenêtre plutôt que de risquer de se faire renvoyer au pays et l’un d’entre eux s’est cassé les deux chevilles ». Résultat des courses : une soixantaine de migrants, tous mineurs, sont condamnés à passer une nouvelle nuit dans le froid, sous les étoiles, sans les produits de première nécessité et à la merci de groupuscules violents d’extrême droite.
Ces jeunes mineurs, originaires d’Afrique, ont donc trouvé asile dans l’Université de Nantes avec l’aide de certains étudiants, en investissant le rez-de-chaussée d’un des bâtiments de Lettres et Sciences-humaines, tout un symbole. Si les autorités de l’université contestent l’occupation, ils n’ont pas pour le moment exprimé le souhait de procéder à une expulsion policière, préférant instaurer un rapport de dialogue avec les jeunes. Dans un communiqué, elle concède cependant que la situation ne peut pas s’étaler sur le long terme et espère ardemment une réaction de l’État face à ce problème d’envergure nationale. Cette initiative, au-delà de l’aspect humanitaire, permet de poser dans le débat public la question de la prise en charge des mineurs issus de l’immigration par les autorités françaises.
Le règne de la suspicion au détriment de la morale républicaine
Selon l’article 20 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, L’État se doit de prendre en charge, sur son territoire, « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial ». Mais voilà, depuis 2015 et l’arrivée importante de migrants, les associations ont constaté une plus grande réticence des pouvoirs publics à reconnaître les exilés en tant que mineurs. « Normalement, l’État doit mettre en sécurité les mineurs qui se trouvent sur le territoire sans distinction de nationalité. Depuis 2015, l’aide sociale à l’enfance fait une distinction entre les jeunes nationaux et les jeunes étrangers. Le grand problème c’est que dès lors, ils vont accueillir ces jeunes en leur faisant passer une évaluation de minorité et d’isolement. Ils partent donc du principe que ces jeunes mentent » nous explique Julien, doctorant à l’Université de Nantes et militant dans l’association AJS (Action Jeunesse Scolarisation). Durant cette période d’évaluation, les jeunes migrants ne sont ni hébergés, ni pris en charge et ce, en dépit d’une minorité non officiellement contestée.
Si certains d’entre eux trouvent un toit grâce aux hébergements solidaires et au travail des bénévoles, beaucoup sont pris au piège de la rue et courent le risque de tomber dans les filets des réseaux de prostitution et des différents trafics. C’est pour limiter ce phénomène que Julien et les autres associations se mobilisent : « Ce que l’on essaye de faire, c’est justement de venir en aide à ces jeunes qui sont en attente de l’attribution d’un statut par la juge des enfants. On essaye de leur donner un accès aux besoins élémentaires, les études, la santé ». Les militants l’espèrent, cette occupation de l’université devrait faire réagir la municipalité.
» Il y a toute la façade d’une ville accueillante, ouverte sur le monde et qui, pourtant, se désolidarise complètement du sujet du relogement des jeunes immigrés au sein de sa propre ville »
Le double discours de la ville de Nantes au cœur des critiques
Le désintérêt des pouvoirs publics pour la sécurité des mineurs isolés et étrangers apparaît d’autant plus révoltant, dans une ville comme Nantes, se targuant d’un idéal de gauche, bastion historique du Parti Socialiste. Un slogan local affirme d’ailleurs « Français, étrangers, tous Nantais » nous indique Julien, un sourire un brin moqueur aux coins des lèvres, avant de nous décrire les relations ambiguës qu’entretient la municipalité avec les différentes associations d’aide aux migrants « La ville de Nantes adopte une posture assez cynique vis-à-vis de ce sujet. En avril dernier, après une expulsion, ils nous ont reçus en versant des larmes de crocodile, nous proposant des paniers avec du foie gras de la confiture de figues pour les jeunes. Je ne sais pas si c’est quelque chose qui est propre à Nantes, mais toujours utile qu’il y a quelque chose de particulier dans cette ville sur le traitement de la question des migrants ». Il dénonce notamment un double discours, une instrumentalisation médiatique de ce sujet sensible qui n’est pas suivie d’action concrète. « Il y a une exposition à la médiathèque Jacques Demy qui s’appelle : « Regards de migrants », il y a toute la façade d’une ville accueillante, ouverte sur le monde et qui, pourtant, se désolidarise complètement du sujet du relogement des jeunes immigrés au sein de sa propre ville ».
En investissant le terrain médiatique et politique, ils espèrent : « qu’une ville comme Nantes, prenne en compte ces personnes qui sont à la rue. Nous voudrions qu’il y ait une posture sur l’éthique qui soit beaucoup plus ferme et pas simplement du discours larmoyant. » En attendant, l’occupation se poursuit, l’université a pris les mesures nécessaires pour permettre le bon déroulement des cours, des étudiants curieux viennent donner de l’aide ou s’informer, main dans la main, migrants et militants ont plutôt bien réussi leur coup. Affaire à suivre.
-T.B.