L’ouvrage Les semences en questions : de la terre à l’assiette, publié par « Les Ateliers d’argol », nous livre un rare témoignage de la lutte idéologique qui traverse les agricultures contemporaines. Les quarante interviews menées par Catherine Flohic* auprès de représentants du monde agricole de tous les horizons, de Kokopelli à Bayer-Monsanto en passant par bon nombre de scientifiques, explorent de manière subtile les avenirs de notre alimentation.
Les semences en questions, deuxième ouvrage de la série « Vivre », est remarquable à plus d’un titre. D’une part, en raison du travail de terrain mené pendant deux ans par Catherine Flohic, qui est allée à la rencontre de quarante personnalités du monde agricole pour les interviewer. D’autre part parce que cette enquête-reportage nous fait découvrir dans la bouche même des agriculteurs, agronomes, scientifiques et semenciers, les enjeux qui traversent aujourd’hui le secteur de la production alimentaire dans son ensemble en partant des problématiques posées par les semences et leur marchandisation.
C’est ainsi que Catherine Flohic donne la parole à des personnes bien connues par les cercles militants. Son ouvrage s’ouvre sur le diagnostic de 70 années d’agriculture intensive (Claude et Lydia Bourguignon), se poursuit plus loin par une analyse d’Ananda Guillet, fils de Dominique Guillet, fondateur de Kokoppeli et donne une fois de plus la parole à Périne Hervé-Gruyer de la Ferme du Bec-Hellouin. Mais ce qui est véritablement passionnant, c’est que ces entretiens sont ponctués d’une part par ceux de scientifiques, comme François Léger, chercheur à l’INRA, et d’autre part par ceux d’acteurs souvent décriés, comme le GNIS (Groupement national interprofessionnel des semences et plants) ou même Bayer-Monsato. Le discours et les arguments des seconds se trouvent directement confrontés à celui des premiers, ce qui est inhabituel et pousse le lecteur à se forger une opinion sur la base de ces différents points de vue.
Les débats scientifiques, éthiques et idéologiques qui nous sont ainsi exposés le long des 360 pages du livre se lisent presque comme un roman qui raconterait les combats de notre époque. Juxtaposées les unes à côté des autres, les différentes visions de l’agriculture qui ressortent de ces conversations sont parfaitement résumées par Véronique Chable, ingénieure agronome (pp. 88) : « Ce que nous vivons aujourd’hui est une scission entre deux mondes agricoles contemporains, chacun porté par un regard différent sur le monde vivant. Le monde ‘conventionnel’ s’est limité à l’apprentissage de la lutte contre les adversités de la nature ». Ainsi alors que Monsanto ou le GNIS défendent bec et ongle le « Catalogue Officiel » comprenant aujourd’hui plus de 7000 variétés inscrites, au motif que cela protégerait les agriculteurs et les consommateurs, quitte à multiplier les artifices chimiques, d’autres, comme Guy Kastler (Confédération paysanne), plaident la possibilité pour les paysans de se réapproprier les semences. Il s’agit non seulement d’encourager l’usage de variétés adaptées aux conditions locales et de permettre l’indépendance des paysans, mais aussi de promouvoir une plus grande diversité biologique pour s’adapter à la nature et non, au contraire, de la contraindre.
Les semences en question – De la terre à l’assiette est « animé par l’ambition personnelle de comprendre l’articulation entre les différents protagonistes du milieu de l’alimentation » nous explique Catherine Flohic. « Ce n’est pas un livre polémique » et pourtant il permet de se faire une idée claire sur le monde d’aujourd’hui. « Le lecteur n’est pas dupe des raisons qui m’ont poussée à faire cette enquête » développe l’auteure, qui raconte dans son éditorial que ce livre est né à la fois de « l’indignation », face à un modèle agricole insoutenable, les logiques économiques, mais aussi son admiration pour « de jeunes chefs, naturellement engagés pour une alimentation juste, un respect des produits ».
Quand restaurateurs et artisans défendent des légumes de goût
Cette série d’interviews nous surprend d’ailleurs également en nous faisant découvrir d’autres figures, moins connues, qui se battent elles aussi pour préserver une alimentation saine et protéger la biodiversité des logiques purement marchandes. Il en est ainsi de Julie Bertrand et Florian Marteau, paysans-boulangers dans le Morbihan ou encore d’Hervé Bourdon, cuisinier-jardinier à Quiberon. Selon Catherine Flohic, ces portraits ont toute leur place dans l’ouvrage, car « on ne peut comprendre aujourd’hui l’importance du goût, qui n’est pas une notion très étudiée en France, contrairement à d’autres pays, comme le Japon, si on ne s’intéresse pas à la fois aux producteurs et aux restaurateurs ». Coup de cœur au sein de la rédaction de Mr Mondialisation, Les semences en questions s’adresse non seulement à des personnes qui ne sont pas familières avec les problématiques agricoles, mais aussi à celles qui voudraient explorer la question sous un nouvel angle.
*Catherine Flohic, auteure de Les semences en questions est à l’origine la maison d’édition « Les Ateliers D’argol ». Elle travaille dans le milieu de l’édition depuis les années 80. Dès cette époque, elle accorde dans ses publications une place particulière aux « rencontres et aux entretiens », un format qui s’inscrit dans la volonté de « s’intéresser au parcours des gens et de comprendre leurs motivations ». Depuis plus de 10 ans, elle a développé un intérêt particulier pour les questions liées au goût, à l’alimentation et à l’alimentation durable.
Les semences en questions : de la terre à l’assiette, Catherine Flohic, Les Ateliers D’argol, 2018, 360 pp. / ISBN : 979-10-94136-05-8
Image d’entête : Perrine Hervé-Gruyer ( Ferme du Bec Hellouin) et Benjamin de Coster (Alternoo). Crédit image : François Flohic
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