Des voix se rejoignent dans le monde entier pour dénoncer les dangers liés à l’exploitation minière en haute mer, dite aussi « Deep Sea Mining ». Un projet écocidaire qui progresse en silence pour le pire.
Bien que cette pratique soit encore peu connue, l’exploitation minière en haute mer passait déjà ses premiers essais après guerre. Les années 60 marquent en effet un tournant avec les premières explorations de fonds marins dans l’objectif d’extraire des métaux rares.
Les découvertes de matériaux polymétalliques comme le nickel, le cobalt et le cuivre attisent alors l’envie de quelques compagnies privées, qui concrétisent aujourd’hui leurs projets à l’abri des critiques. Retour sur ce phénomène grave qui est en train d’échapper à notre vigilance collective.
Rétrospective d’une quête impossible
Les entreprises ne sont en réalité pas seules à s’intéresser aux richesses des abysses : les gouvernements comme celui des États-Unis mènent également leurs propres recherches scientifiques depuis plusieurs décennies. En ce sens, l’USS Chesapeake, dès 1960, se présente comme une mission pionnière menée par la marine américaine et dédiée à l’évaluation des ressources minières des fonds marins. Aussitôt, des recherches scientifiques indépendantes dénoncent cette destruction des fonds marins.
« cette pratique reste encore marginale, notamment en raison de ses coûts faramineux et de l’impossible progrès technique à la hauteur des objectifs ».
Fondée en 1982, l’Autorité internationale des fonds marins est alors une des rares organisations internationales à réglementer l’exploitation des fonds marins. Son avènement est un premier pas dans la prise en compte d’un domaine qui n’était encore pas du tout réglementé. Cependant, ces inquiétudes n’empêcheront pas, dès les années 2000, que des bonds manifestes en robotique sous-marine amènent des pays comme la Chine et le Japon à investir dans de telles explorations. Pour autant, cette pratique reste encore marginale, notamment en raison de ses coûts faramineux et de l’impossible progrès technique à la hauteur des objectifs.
Ces obstacles n’ont pas empêché la naissance d’un consortium d’entreprises visant à exploiter les fonds marins : l’OMA, Ocean Mining Associate. Suite à des années de recherches, l’Ocean Mining Associate s’implique dès les années 70 au sein de missions d’extraction de ces métaux, mais l’expérience est encore souvent soldée par des échecs comme pour l’expédition de 1980. Et c’est loin d’être la seule déconvenue. Coûts supplémentaires qui gonflent des prix déjà vertigineux, lots de problèmes techniques de leurs dispositifs… Cet exemple illustre bien l’importance du frein financier pour des entreprise. Citons le Nautilus Minerals qui avait aussi tenté d’investir dans le filon pour finir en faillite économique en 2018.
Par ailleurs, la pression croissante d’ONG sur les enjeux écologiques et éthiques, comme la Deep Sea Conservation Coalition active dès 2010, renforce l’impossibilité d’agir aussi librement que ces entreprises le souhaiteraient. Nous les avons interrogés.
Une réglementation effective ?
Deux organisations : la Deep Sea Conservation Coalition et Tara Ocean nous expliquent en quoi l’exploitation des fonds marins pourrait bien être un enjeu à prendre en considération parmi les problématiques écologiques auxquelles nous sommes et serons bientôt davantage confrontés.
Ces deux organisations luttent à leur échelle contre une exploitation des fonds marins encore peu pratiquée mais qui pourrait bien s’intensifier. Des zones dans l’océan Pacifique sont déjà prompts à ce type d’exploration.
André Abreu, directeur des relations internationales de Tara Ocean, démontre en quoi exploiter les fonds marins, un des écosystèmes les moins étudiés, est une totale hérésie : » On ne sait même pas tout ce qui se cache dans ces profondeurs, mais on veut y aller à tout prix pour exploiter des métaux. C’est une folie ! Ce n’est pas seulement une menace pour les espèces marines, mais aussi pour la biodiversité qui dépend de ces sédiments marins qui jouent un rôle essentiel dans la photosynthèse sous-marine. Si on les détruit, on détruit aussi une partie de la capacité de la mer à respirer ! «
La Deep Sea Conservation Coalition (DSCC), un groupe d’organisations non gouvernementales, militants actifs pour la protection des écosystèmes marins profonds s’empare de ce problème depuis de nombreuses années. Travis, un de ses employés porte-parole, assure que des lois sont déjà votées pour réglementer l’exploitation minière des fonds marins. Comme celle, récente, de juillet 2023, via laquelle le parlement français a choisi d’interdire l’exploitation minière en haute mer dans ses eaux. C’est une des premières lois qui montre le caractère indispensable de la préservation des espaces marins trop souvent malmenés et encore méconnus.
Des députés français et un membre du Vanuatu ont même lancé une déclaration parlementaire mondiale appelant à un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins avec 262 signataires dans 52 pays afin de contrer les états qui ne voudraient pas se plier aux réglementations.
Au niveau mondial, la dynamique en faveur d’un moratoire continue de croître d’après Travis : « Il existe une coalition intersectorielle de 32 gouvernements, entreprises (Google, Samsung, Philips, Volvo), institutions financières, experts des droits de l’homme, scientifiques, groupes de pêcheurs et même communautés autochtones qui tirent tous la sonnette d’alarme ».
Contourner la loi par la corruption
« Ces entreprises sont prêtes à tout pour pouvoir investir dans cette industrie hautement destructrice et irréversible dans un environnement fragile ! »
D’après la Deep Sea Coalition, plusieurs états tentent cependant parallèlement de négocier un code minier avec l’Autorité internationale des fonds marins qui permettrait la mise en route commerciale de l’exploitation minière en eaux profondes s’il était adopté : “Les activités d’exploration minière en eaux profondes se déroulent dans des zones situées au-delà de la juridiction nationale. Ces entreprises sont prêtes à tout pour pouvoir investir dans cette industrie hautement destructrice et irréversible dans un environnement fragile ! » s’indigne Travis.
Il s’agira d’un combat sur le temps long car c’est une pratique marquée par une corruption faisant obstacle à de réels progrès : » Il nous faudra au moins une décennie pour disposer de ces données afin de développer et de mettre en œuvre un code minier efficace. La confiance dans l’Autorité internationale des fonds marins, en tant qu’institution responsable de la gestion du patrimoine commun de l’humanité s’est considérablement érodée. Son code minier actuel contient un programme tourné uniquement sur l’industrie. Une évaluation scientifique indépendante fait totalement défaut. Celle-ci n’est donc pas équipée pour agir en tant que protecteur des profondeurs et réglementer une industrie émergente « s’insurge Travis.
Des écosystèmes marins rares voire inexplorés à préserver
Travis perçoit ces fonds comme un écosystème rare, « un trésor inestimable d’espèces inconnues, de médicaments potentiellement salvateurs et même d’indices sur les origines de la vie elle-même”. Les conséquences potentielles de l’exploitation minière en eaux profondes vont donc bien au-delà de sa destruction immédiate. Seraient envisageable des risques imprévus, comme un impact sur la régulation du climat, avec des conséquences durables sur la santé de nos océans pour des générations et des générations.
Nul besoin de rappeler que ces écosystèmes des fonds marins sont riches en biodiversité, extrêmement fragiles et déjà mis à rude épreuve par les effets du changement climatique, la pêche de fond, la pollution et les plastiques.
Travis ne s’arrête pas là sur l’ampleur de ces conséquences dévastatrices : « Chaque exploitation minière peut exploiter 15 000 kilomètres carrés sur une licence de 30 ans. Si les 17 permis de la zone Clarion Clipperton étaient exploités, une zone de la taille de la France pourrait être touchée, détruisant la plupart de la vie sur et juste en dessous du fond marin. Les panaches de sédiments issus des activités minières pourraient se propager bien au-delà des sites miniers, étouffant ou tuant les organismes filtreurs et d’autres espèces des profondeurs ».
Chargés de métaux rejetés par les navires pendant les opérations minières, ils pourraient parcourir des centaines de kilomètres depuis les sites miniers, affectant les écosystèmes océaniques à plusieurs profondeurs, pouvant même entrer dans la chaîne alimentaire marine.
« Cette exploitation minière va en outre perturber certains des plus grands puits de carbone de la planète »
Cette exploitation minière va en outre perturber certains des plus grands puits de carbone de la planète et compromettre le rôle crucial des fonds marins dans l’atténuation des impacts du changement climatique. Ces monts sous-marins constituent un des plus grands réservoirs de biodiversité de la planète d’après André Abreu. Ce sont des viviers de vie. Il cite les travaux de son ONG et de l’Ifremer qui étudient de près le rôle vital des sédiments : « Leur rôle écologique est essentiel. Si on les détruit, on détruit bien plus que des ressources naturelles. On met en péril toute la biodiversité marine. »
Le potentiel enfoui de la recherche scientifique face à la corruption
Le tollé de la communauté internationale en faveur d’un moratoire est un signal d’alarme qui ne peut être ignoré. « L’exploitation minière en eaux profondes perpétuerait le modèle destructeur de l’industrie des combustibles fossiles sur terre qui perdure déjà bien assez à un moment où nous devons tous trouver des alternatives à notre système mondial défaillant » conclut Travis.
Sans compter que la recherche en eaux profondes est sous-financée, ce qui oblige les scientifiques à dépendre ironiquement de partenariats avec des sociétés minières pour accéder aux navires et aux équipements les plus évolués. Cette dépendance peut compromettre l’intégrité des efforts de recherche.
Heureusement pour la lutte écologique, ces technologies utilisées demeurent encore trop coûteuses en plus d’être résolument destructrices : « Des machines qui raclent le fond marin, ça ne peut pas être la solution. On ne peut pas accepter ça » selon André Abreu qui précise que des alternatives comme le recyclage des métaux existent mais elles sont moins attirantes pour ces entreprises : « Les métaux qu’on veut exploiter sont aussi dans nos batteries, nos téléphones. On commence à les recycler, et dans dix ans, on sera capables de recycler encore plus. Alors, pourquoi ne pas investir dans ça plutôt que de détruire nos océans ? »
Un secteur à surveiller et contrer
Les eaux profondes sont de toute façon trop éloignées, ce qui nécessite des équipements spécialisés comme des véhicules télécommandés (ROV), des submersibles et des navires de recherche avancées pour atteindre les profondeurs. Ces outils sont trop coûteux, ce qui rend difficile la réalisation d’études complètes.
Cependant, les avancées technologiques peuvent s’avérer plus rapides qu’on ne l’imagine. André Abreu rappelle l’importance de la pause de précaution : » C’est un terme technique pour dire qu’il faut arrêter avant qu’il ne soit trop tard. On est à un point de rupture. Soit on arrête maintenant, soit on laisse l’industrie miner les derniers espaces intacts de la planète ! Nous devons continuer à lutter pour protéger nos océans. Si on attend trop longtemps, il sera trop tard. L’année à venir est cruciale. C’est maintenant ou jamais. »
– Audrey Poussines
Image d’entête @OceanCare