Parcourant les steppes, savanes et forêts tropicales d’Asie et d’Afrique depuis des dizaines de millions d’années, les espèces de rhinocéros « modernes », autrefois florissantes, font actuellement l’objet de plans de protection et de réintroduction. Le but ? Lutter contre les risques d’extinction qui pèsent sur les cinq dernières espèces existantes. Victime de la perte d’habitats et de décennies de braconnage intensif pour les prétendues propriétés curatives et aphrodisiaques de ses cornes, le rhinocéros blanc du Nord n’y fait pas exception. Alors qu’au XIXe siècle, la population de cette sous-espèce de rhinocéros dépassait encore le million d’individus, Najin et sa fille Fatu sont aujourd’hui les deux dernières représentantes de leur espèce. Depuis 2019, une équipe de chercheurs travaille sans relâche sur le développement de techniques de procréation médicalement assistée afin de sauver l’espèce de l’extinction. Cependant, les scientifiques en charge du programme de survie ont récemment annoncé l’arrêt du prélèvement des ovules de Najin pour des raisons éthiques. Désormais, les chances de succès de ce projet de réintroduction reposent entièrement sur les épaules de Fatu, dernier espoir pour la survie de son espèce… Zoom sur un récit peu commun.

Autrefois répandues dans les plaines congolaises jusque dans la vallée du Nil, les populations de rhinocéros blanc du Nord ont subi un déclin catastrophique dû à l’intensification du braconnage et à la perte de leur habitat.

Incapable de se reproduire naturellement depuis la mort de Sudan en 2018, dernier mâle, le rhinocéros blanc du Nord est aujourd’hui considéré comme « fonctionnellement éteint». Dernières représentantes de cette sous-espèce sur la planète, les deux femelles, Najin et Fatu, ont été transférées en 2009 dans la réserve naturelle kényane d’Ol Pejeta, et placées sous une très haute surveillance militaire et médicale[1].

Ces dernières années, une équipe de chercheurs de Biorescue, dirigée par des scientifiques de l’Institut allemand Leibniz pour la recherche sur les zoos et la faune sauvage, a mené une course contre la montre pour assurer la sauvegarde de l’espèce, en développant notamment des techniques de fécondation in vitro.

Toutefois, Fatu souffrant de lésions dégénératives de l’utérus et Najin d’un bassin fragile, aucune des deux femelles ne peut mener de grossesses à terme. Les scientifiques devront donc recourir à des mères porteuses, rendant le succès de la réintroduction encore plus incertain.

Sudan et son gardien. Sudan était le dernier représentant mâle de la sous-espèce de rhinocéros blanc du Nord. Il s’est éteint à l’âge de 45 ans dans la réserve d’Ol Pejeta au Kenya – Flickr

12 embryons développés avec succès

Depuis 2019, BioRescue, un consortium de scientifiques, œuvre activement à la création d’embryons de rhinocéros blancs du Nord dans le cadre de son programme de reproduction et de sauvegarde de l’espèce.

Depuis le lancement du programme, les chercheurs sont parvenus à extraire 80 ovocytes sur les deux femelles, et a ensuite les fertiliser à l’aide de gamètes mâles préalablement prélevés sur quatre rhinocéros mâles avant leur disparition. Bien que le prélèvement d’ovocytes soit un processus relativement simple pour les humains, il s’agit d’une procédure délicate comportant des risques considérables pour les rhinocéros, notamment en raison des dangers liés à l’anesthésie.

Toutefois, malgré les difficultés de cette technique de procréation médicalement assistée, BioRescue a récemment annoncé que son équipe était parvenue à créer 12 embryons de rhinocéros blancs du Nord. « Il est très encourageant de constater que le projet continue de faire de bons progrès dans sa tentatives ambitieuse de sauve une espèce emblématique de l’extinction »[2], a déclaré Najib Balala, secrétaire du Cabinet du tourisme et de la faune du Kenya.

Les chercheurs doivent maintenant sélectionner les mères porteuses parmi les groupes de rhinocéros blancs du Sud afin d’atteindre l’objectif final du programme de reproduction.

Rhinocéros blanc du Sud – Flickr

Najin, retirée du programme

Les résultats de récentes échographies sur Najin ont révélé plusieurs tumeurs bégnines sur le col du l’utérus et l’utérus, ainsi qu’un kyste sur son ovaire gauche. Dès lors, après d’intenses réflexions et le fait qu’aucun ovocyte prélevé sur Najin depuis le début du programme n’a été fécondé avec succès, BioRescue a décidé de la retirer du programme pour garantir que sa santé et son bien-être soient respectés.

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« Ce fut une décision difficile car nous avons dû évaluer la conservation de l’espèce par rapport au bien-être et à la vie de l’animal individuel concerné », – a déclaré Barbara Mori, directrice du laboratoire d’éthique pour la médecine vétérinaire à l’université de Padoue en Italie.

« Normalement la décision de retirer un individu d’un programme de conservation pour des raisons de bien-être animal est facile à prendre. Dans le cas du rhinocéros blanc du Nord, quand un individu représente 50% de toute la population, cela devient très difficile. Ainsi, il faut trouver un équilibre entre la conservation de l’espèce et la santé d’un individu en particulier »[3].

Cependant, malgré les conséquences que cette décision pourraient avoir pour le futur de l’espèce, Mori considère qu’elle était la seule acceptable d’un point de vue éthique pour Najin.

Rhinoceros blancs du Sud – Flickr

Par ailleurs, BioRescue a tenu à rappeler que le rôle de Najin restera fondamental pour le succès de la réintroduction du rhinocéros blanc du Nord. En effet, dans le cadre du programme de reproduction par cellules souches en cours de développement avec la collaboration du zoo de San Diego, Najin continuera de fournir des échantillons de tissus cellulaires, essentiels pour l’amélioration et la sauvegarde du patrimoine génétique de l’espèce.

Enfin, Najin aura la mission cruciale de transmettre sa culture et son savoir aux futures progénitures. Bien que les rhinocéros blancs du Sud et du Nord soient étroitement apparentées d’un point de vue génétique, ils évoluent dans des habitats fort différents. Par conséquent, le transfert des connaissances sociales et culturelles de Najin et Fatu aideront les futures générations de rhinocéros blanc du Nord à s’adapter à leur environnement, et ainsi accroitre les chances de succès à long terme du programme de réintroduction.

W.D.

 

 

[1] Certain, O., « La PMA pour sauver l’espèce » in VSD, 30 septembre 2021, disponible sur : https://vsd.fr/diaporamas/25759-la-pma-pour-sauver-l-espece

[2] Bennett, P., “One of the last two surviving Northern white rhinos is being retired from breeding program” in Ecowatch, 2 novembre 2021, disponible sur: https://www.ecowatch.com/northern-white-rhinos-breeding-2655480620.html#toggle-gdpr

[3] Cowan, C., “One of world’s last two northern white rhinos withdrawn from breeding program” in Mongabay, 1 novembre 2021, disponible sur: https://news.mongabay.com/2021/11/one-of-worlds-last-two-northern-white-rhinos-withdrawn-from-breeding-program/

 

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