Principalement due aux dégradations des écosystèmes terrestres et marins induites par nos modèles de société[1], on a observé, ces cinquante dernières années, une perte de plus de 60% de la population des vertébrés à échelle globale, et presque 90% de ces populations dans les tropiques. Ce constat de l’effondrement de la biodiversité à travers le monde constituait le point central des thèmes abordés lors du Congrès Mondial de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), qui s’est tenu au début du mois de septembre à Marseille. En 2020 seulement, l’organisation dénombre 31 nouvelles espèces déclarées « éteintes » (disparues à l’état sauvage), dont notamment le requin perdu, plusieurs espèces de poissons d’eau douce et trois espèces de grenouilles sud-américaines[2]. Alors que la pression subie par la faune et la flore atteint déjà un niveau alarmant, une étude publiée dans le journal Ecology & Evolution révèle que le changement climatique pourrait entrainer une modification de l’apparence physique d’une grande variété d’espèces animales, et menacer l’existence de celles qui ne parviennent pas, ou plus, à s’adapter suffisamment rapidement aux fluctuations des températures.

Alors que Darwin publiait « l’origine des espèces » en 1859 et poursuivait ses études sur la théorie de l’évolution, Carl Bergmann, biologiste allemand, émettait l’idée qu’au sein d’un groupe d’organismes présent sur un vaste territoire, les espèces les plus grandes se développaient généralement dans un environnement plus frais. En effet, Bergmann démontrait qu’en minimisant leur rapport-surface, on observait chez les espèces évoluant dans les régions les plus froides une réduction de perte de chaleur.

Quelques années plus tard, Joel Asaph Allen, ornithologue et zoologiste américain, approfondi la règle de Bergmann et théorise sa propre règle selon laquelle, les organismes adaptés aux environnements plus chauds ont généralement des membres et autres parties du corps plus grands afin de maximiser leur perte de chaleur, en augmentant leur surface. Ainsi, pour s’adapter aux températures plus chaudes, les éléphants d’Afrique possèdent de plus grandes oreilles que leurs cousins asiatiques[1].

Dans cette nouvelle étude, des chercheurs de l’Université australienne de Deakin ont identifié de nouvelles preuves qui soutiennent la théorie selon laquelle certains animaux à sang chaud subissent des changements physiques afin de s’adapter à la hausse des températures. Ils expliquent que selon la règle d’Allen, les animaux à sang chaud vivant des dans régions plus froides ont tendance à avoir des membres plus petits que les individus de la même espèce vivant dans des climats plus chauds. Dès lors, l’étude observe qu’en raison de l’accélération de l’augmentation de la température, certaines espèces voient leur apparence modifiée pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique[2].

Une course contre la montre

La récente étude menée par les chercheurs australiens observe qu’à mesure que la planète se réchauffe, les becs, pattes et oreilles des animaux s’agrandissent pour leur permettre de mieux réguler leur température corporelle face à la hausse des températures. Ce phénomène étant particulièrement observé chez les oiseaux. Une plus grande surface leur permet ainsi de contrôler leur température plus facilement et diminuer les pertes de chaleur.

Perroquet australien – Flickr

L’étude suggère que ces adaptations physiques sont susceptibles de se poursuivre à mesure que le climat se réchauffe car la hausse des températures contraindra les espèces à s’adapter pour réguler leur température corporelle. Toutefois, comme l’averti Sara Ryding, une des auteurs de l’étude, « Nous ne savons pas si ces changements aident réellement à la survie des espèces ou non. Ce phénomène d’adaptation physique ne doit pas être considéré comme positif, mais plutôt comme alarmant, car le changement climatique pousse les animaux à évoluer de la sorte, dans un laps de temps relativement court »[3]. L’évolution des espèces s’est habituellement observée au cours de plusieurs milliers d’années.

Bien que ce phénomène montre que certaines espèces évoluent pour s’adapter aux températures plus élevées, cela ne signifie en revanche pas qu’elles soient armées pour faire face aux conséquences de la crise écologique. Comme s’en soucie Ryding, « Cela signifie simplement qu’elles évoluent pour survivre. Nous ne sommes cependant pas certains des autres conséquences écologiques que ces changements apporteront, ni que tous les animaux seront capables d’évoluer à mesure que la crise climatique s’aggrave »[4].

Les changements climatiques que nous avons créés exercent une dangereuse pression sur la biodiversité et sur l’intégrité des espèces animales à travers le monde. Alors que nous connaissons déjà un effondrement de la biodiversité, face à l’accélération de la hausse des températures et au changement climatique, certaines espèces s’adapteront, d’autres non.

Une grande variété d’espèces

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Parmi les espèces observées, les chercheurs ont constaté que les oiseaux sont susceptibles de connaître des changements importants en raison du réchauffement climatique. 58% de toutes les espèces d’oiseaux suivraient la règle d’Allen en ce qui concerne la taille de leur bec, leur permettant de réguler leur température corporelle. Par exemple, certaines espèces de perroquets australiens ont vu la taille de leur bec augmenter de 4 à 10% depuis 1871. Cette tendance s’est observée dans de nombreux types d’espèces et lieux différents, avec un dénominateur commun, les conséquences de l’accélération du changement climatique.

D’autres espèces subissent également ces transformations physiques. La queue et les pattes des souris des bois et musaraignes masquées deviennent plus longues, les chauves-souris vivant dans les régions désormais plus chaudes connaissent un accroissement de la taille de leurs ailes, oreilles et queue[5].

Chauve-souris tropicales – Pixabay

Biodiversité en danger

Outre la rapidité à laquelle ces évolutions doivent intervenir pour permettre aux espèces de s’adapter aux conséquences négatives du réchauffement climatique, la pérennité d’un grand nombre d’espèces est menacée par une multitude d’autres risques liés à ces adaptations physiques. L’étude rappelle que la capacité d’adaptation n’est pas universelle dans le royaume des animaux. En effet, tous ne sont pas capables de modifier certaines caractéristiques physiques en réponse à la hausse des températures.

Par ailleurs, bien qu’elles apparaissent comme étant bénéfiques à court ou moyen terme, ces capacités d’adaptation ne sont pas infinies. Si la crise climatique poursuit sa trajectoire, les espèces ne pourront continuellement s’adapter aux conséquences écologiques du réchauffement climatique et de ces évolutions précoces. Par exemple, malgré qu’un bec plus large puisse être utile pour la régularisation de la température corporelle des oiseaux vivant dans les régions plus chaudes, si cette adaptation rend le bec moins efficace pour se nourrir, ce changement physique pourrait entraîner un déclin des populations, voire leur extinction[6].

Alors que la liste rouge des espèces en danger ou en voie d’extinction ne cesse de s’agrandir, il est urgent de prendre les mesures exigées pour assurer la sauvegarde de l’intégrité de la biodiversité.

W.D.

[1] Ashworth, J., “Animals’ shapeshifting’ to adapt to rising temperatures” in Natural History Mysuem News, 16 septembre 2021, disponible sur: https://www.nhm.ac.uk/discover/news/2021/september/animals-shapeshifting-to-adapt-to-rising-temperatures.html

[2] Franklin, J., “Climate Change is making some species of animals shape-shift” in NPR, 9 septembre 2021, disponible sur: https://www.npr.org/2021/09/09/1035503769/climate-change-animals-shape-shift-australia?t=1632224652758&t=1632317064696

[3] Hunt, K., “animals are ‘shape shifting’ in response to climate change” in CNN, 7 septembre 2021, disponible sur: https://edition.cnn.com/2021/09/07/world/animals-climate-change-shape-shift-scn/index.html

[4] Ibid., https://edition.cnn.com/2021/09/07/world/animals-climate-change-shape-shift-scn/index.html

[5] BBC News, “Climate change : Animals shapeshifting to stay cool, study says”, 8 septembre 2021, disponible sur: https://www.bbc.com/news/newsbeat-58487050

[6] Ibid., https://www.nhm.ac.uk/discover/news/2021/september/animals-shapeshifting-to-adapt-to-rising-temperatures.html

[1] WWF (2018) Rapport Planète Vivante 2018, en 40 ans, nous avons perdu 60 des populations d’animaux sauvages, disponible sur : https://wwf.be/fr/communiques-de-presse/rapport-planete-vivante-2018-en-40-ans-nous-avons-perdu-60-des-populations

[2] UICN, « Liste rouge de l’UICN : le bison d’Europe en bonne voie de rétablissement et 31 espèces déclarées éteintes », 10 décembre 2020, disponible sur : https://uicn.fr/mise-a-jour-liste-rouge-uicn-decembre-2020/

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